La propreté à Lyon, est affaire d’obsession.
Tout ce qui n’est pas produit et labellisé
par la ville est sale, tout ce qui n’est
pas à la bonne place est sale. Les procédures
réservées aux clochards, aux prostituées,
aux tags et aux papiers gras sont
rigoureusement les mêmes, les êtres ou
les choses inappropriés à l’usage préconisé
de l’espace public font l’objet d’une éradication
systématique.
Outrage l’avait déjà présentée il y a quelques
temps : la brigade environnement de
Lyon est à la pointe du nettoyage urbain.
Regroupant depuis 2007 une trentaine
d’agents, elle est chargée de patrouiller en
ville à la recherche des fauteurs d’incivilités,
afficheurs sauvages et chiens déféquant
sur le trottoir. Depuis le mois de mars, une
nouvelle brigade lui prête main-forte. Son
rôle : vérifier immeuble par immeuble que
le tri sélectif a bien
été fait.
Les nouveaux héroïques
« messagers du
tri » sont chargés de
prêcher, de responsabiliser,
de mobiliser,
de surveiller,
et de punir… À la
première faute, un
avertissement pédagogique
est remis par
courrier aux habitants
de l’immeuble
incriminé, on leur
explique comment
s’y prendre, et surtout
pourquoi retraiter
les déchets. Au
second écart, c’est
direct le carton
jaune et la première
réprimande : le bac
de tri est ostensiblement
fermé au gaffeur,
et les habitants
reçoivent en personne
les « messagers
du tri » pour un
blâme domestique. À la troisième erreur,
c’est le carton rouge, le hors-jeu, le bac de
tri est retiré jusqu’à nouvel ordre et les
habitants se retrouvent fichés comme pollueurs
patentés. « Dans ce cas extrême, seule
une démarche très motivée permettra à l’habitant
de récupérer une poubelle de tri », dixit
la mairie. Si la grosse commission n’a pas
été faite convenablement, l’État se charge
de punir, c’est la gifle et le redressement
pédagogique. De ce point de vue le retrait
du bac de tri fait sérieusement penser aux
mauvais points que l’on recevait à l’école, à
ces punitions qui sont infligées aux enfants
un peu trop remuants. Retraits de permis,
radiation du RMI et de la CAF, confiscation
du scooter, ces punitions accompagnées
de stages et de formations que l’on infl ige
à ceux et celles dont le comportement
est jugé incivil. Phénomène d’actualité
s’il en est, illustré il y a peu encore avec
la prescription faite aux mis en examens
de Tarnac, tous presque trentenaires, de
demeurer au domicile de leurs parents le
temps de la procédure. L’Etat-pédagogue,
en bon pasteur, rétablit l’ordre naturel des
places.
Ça fait longtemps qu’on a compris qu’à
travers les banales injonctions relatives
à la gestion de nos poubelles se jouait
un contrôle insidieux et fondamental de
nos existences. Mais en passant de la surveillance
du bon ordonnancement des bacs
de tri dans la rue à celle du bon ordonnancement
de notre propre poubelle, on passe
du public au familier, du lointain à l’intime.
Subrepticement, le contrôle s’installe
au plus près de la vie quotidienne la plus
triviale, dans l’angle mort des déjections.
Subrepticement, il est demandé d’apprécier
et de juger les sales petites affaires privées
du voisin.
La gestion du tri sélectif n’est pas négligeable.
Elle fi gure l’ensemble d’un monde, un
monde fait de prescriptions bienfaisantes
et d’obligations salutaires, un monde terrifiant où le geste le plus insignifiant de
la vie quotidienne peut soudainement se
transformer en objet de délit.
Qu’on se le tienne pour dit, le nouvel ordre
est environnemental…
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