Rien d’humain ne se fait sous l’emprise de la peur

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État d’urgence

Ce texte a été publié dans la troisième revue d’Os Cangaceiros en Juin 1987. Il a été écrit après une série d’attentats perpétré en Février 1986 à Paris et revendiqué par le CSPPA (Comité de Solidarité aux Prisonniers Politiques Arabes).
Il paraît tristement d’actualité à l’heure où les parlementaires s’apprêtent à voter une énième loi antiterroriste et à faire passer un certain nombre de mesures répressives de l’état d’urgence dans le droit commun.

« La série d’attentats commis récemment à Paris a pour conséquence immédiate le renforcement du contrôle policier. Paris est aujourd’hui sous état de siège.

Le caquetage des médias sur le thème : « Qui a fait cela ? » masque la question essentielle : « A quoi cela sert-il ? » L’exploitation policière et spectaculaire de ces attentats participe d’une stratégie d’état : rendre le climat de défaite généralisée en France encore plus absolu. Une idée doit rentrer progressivement dans les têtes : l’accroissement et le systématisation des mesures répressives sont nécessaires et inéluctables. La banalité des lieux visés par cette stratégie de la panique diffuse, renforce chez chacun et chez tous le sentiment d’angoisse et d’impuissance. Le terrain est prêt, la justice peut enterrer vivant quiconque relève la tête.

Pendant ces quelques années d’existence (85-92) l’organisation Os cangaceiros prend part à différents conflits, tente de nouer des complicités, de rendre compte de situations, cherchant à créer par leur action des liens entre les luttes isolées les unes des autres. Leurs modes d’actions furent multiples : publications de revues, livres et tracts, sabotages, vie en commun, refus du travail, système D pour trouver de la thune... Rien de bien exceptionnel pour un groupe de quelques individus se considérant comme une association de délinquants, de chômeurs-à -vie - certes bavards - mettant à profit leur temps libre pour imaginer des formes de destruction du vieux monde, sans pour autant verser dans l’activisme gauchiste ou le militantisme armé qu’ils critiquent même sévèrement. Ils se refusaient à se qualifier de « politiques » et cherchaient par leurs pratiques à remettre en cause le principe même de politique comme activité séparée. Tout comme ils s’opposaient à la distinction entre prisonniers « politiques » et « droits communs ».
Introduction à la réédition de l’incendie millénariste, [1]

Dans ce pays maudit, tout prolétaire qui ne se sent pas coupable est suspect et peut se faire assassiner comme tel. Depuis l’embrasement des banlieues françaises en 81, l’État a laissé à l’initiative des beaufs la réaction sociale qui précipita l’écrasement de tous ceux qui s’agitaient dans ce pays. Les bombes déposées dans les cités marseillaises ( à la Cayolle et Bassens en 81, à la Bricarde en 82) et les étés meurtriers de 82 et 83 sont deux aspects d’un moment décisif. La terreur est l’isolement paralysent à présent la plupart de ceux qui ne se sont pas soumis, quand ce n’est pas la justice qui s’en charge.

L’État enfonce le clou. Il parachève dans la loi ce qui s’est déjà réellement imposé. Le projet Badinter de code pénal modernisé [2] entérine le permis de tuer en étendant la « légitime défense » à la défense des biens. Le décor est planté : garde-à-vue de 4 jours, réunion des fichiers criminels et terroristes, aggravation générale des peines pour toutes les formes de délinquance, suppression des remises de peines…

Les médias s’emploient à faire croire que seuls les terroristes s’attaquent à l’ État et que par conséquent tous ceux qui s’attaquent à l’État sont des terroristes. Leur intention est claire : assimiler tout acte de révolte à du terrorisme, tout en décuplant la charge émotionnelle attachée à ce mot. Le terrorisme est la continuation de la politique par d’autres moyens.

La campagne de sabotages menée en faveur des mutineries dans les prisons (été 85) était l’œuvre de quelques prolétaires organisés.
Les médias l’ont attribués à de mystérieux « terroristes du rail ». Plus récemment, le 20 décembre 85, les grévistes sauvages du métro furent accusés de prendre en otages les Parisiens. Ce même jour à Nantes, Courtois, Khalki et Thiolet auraient même pris les médias en otages. Abject renversement de la réalité de la part de ceux dont le métier est justement de coloniser les esprits ; ces requins qui nous déplaisent particulièrement.

L’intoxication touche ici à son but. Les procès à venir vont se dérouler dans l’ambiance la plus malsaine pour ceux qui sont réellement la cible de l’État. Après avoir été cloué au pilori du terrorisme ils prendront des peines ahurissantes.

Contrairement à ce qui s’est passé en Italie dans les années 70, ces attentats ne sont pas les dernière cartouche d’un État aux abois. En France ces partisans entendent consolider au maximum la positon de force qu’il a acquise ces dernières années.

L’État italien a usé de moyens expéditifs susceptibles de créer une terreur dans la population et de justifier par la même occasion le recours extraordinaire à sa police, voire à son armée. Mais on sait depuis, qu’un tel recours « extraordinaire », imposé à un moment, devient ensuite la règle.

Nous subissons directement l’intensification des moyens de contrôle. Le sinistre précédent allemand donne l’avant-goût de ce qui nous pend au nez. Il devient de plus en plus difficile de se dissimuler aux yeux de l’État. Dans ce monde, seules les marchandises peuvent circuler librement. Pour nous, les pauvres, le simple fait de circuler devient périlleux.

A bas la France !

Paris, le 12 Février 1986

Os Cangaceiros. »

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Notes

[1à lire ici ou là en PDF.

[2Robert Badinter, ancien avocat pénaliste devenu ministre de la Justice sous Mitterrand entreprend une refonte du code pénal. Il introduit de nombreuses nouveautés, dont par exemple la responsabilité pénale des personnes morales (mis à part celle de l’État, art. 121-2), et alourdit les peines prévues pour la quasi-totalité des délits et des crimes.

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