Jeudi prochain aura lieu la 5e journée de lutte organisée par les syndicats contre la réforme des retraites. La cinquième, déjà. Ces dernières semaines, des groupes aux prétentions révolutionnaires, constatant leurs difficultés à prendre pied dans les manifestations, mais aussi un manque d’ambition commun, ont commencé à écrire diverses analyses sur "le mouvement", parfois colorées de nostalgie et d’autocritique. Parmi celles-ci, on pouvait lire sur Lundi Matin, un appel à assurer la « transmission de la séquence de lutte de 2016 aux nouvelles générations ». C’est, en quelque sorte, ce que le texte qui suit vise : voir comment un récit situé du dépassement opéré en 2016 peut éclairer la situation présente. On y parlera donc de "2016". Ou plutôt, du mouvement contre La loi Travail depuis le point de vue du MILI(Mouvement Inter Luttes Indépendant. Comme la suite du texte le révèle, le MILI était à la fois une « bande » et un espace d’organisation entre lycéens parisiens et jeunes étudiants). Afin de montrer le rôle qu’ont eu certaines bandes dans cette séquence. Il s’agit de montrer l’envers d’un mouvement qui existe encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, que ce soit à travers de vieilles images de riot porn, ou dans certaines formes qui persistent aujourd’hui, parfois sur le mode du folklore, en particulier le Cortège de Tête. Ces résidus de 2016 peuvent pousser à la nostalgie ou suggérer un « temps béni des manifs à Paris », faisant oublier par là que toujours, le « zbeul ça se mérite ». C’est aussi l’occasion de rappeler qu’en 2016 on a hésité, flippé et qu’on a cru à de nombreuses reprises être dans une impasse.
2010 à 2016 : l’ennui
Pour comprendre en quoi 2016 fut une rupture dans l’histoire de la contestation des quinze dernières années, il faut resituer ce mouvement dans son contexte. En dehors de la ZAD et d’une poignée d’évènements, les premières années de la décennie 2010 étaient il faut bien le dire, tout à fait déprimantes : pas de mouvements d’ampleur, la mobilisation des retraites (déjà), avait marqué le retour aux formes traditionnelles de mobilisations. La question de la violence politique semblait anachronique et réservée à des bandes de lutins-marteaux fanatiques. En dehors de quelques dates, le moindre tag ou bris de vitre déclenchait l’ire des "bons" manifestants, au comportement au moins aussi problématique que celui du SO ou des flics, tandis que la petitesse et la mollesse du milieu radical facilitait sa surveillance. Il n’était d’ailleurs pas rare de se faire insulter de « flic infiltré » et démasquer par des pacifistes. C’était dans l’ordre des choses. Personne n’osait donc imaginer la possibilité d’émergence de quelque chose comme ce qui sera appelé "Cortège de Tête", et c’est bien sagement que les radicaux défilaient en queue de manif’, derrière la CNT et la FA, dans l’attente d’une éventuelle "sauvage", horizon suprême du radicool 2000 parisien. On passera sur le contexte marqué par les attentats : des milliers de gens applaudissant place de la République les flics et l’état d’urgence (et par là, les assignations à résidence et les interdictions de manifs, comme celle de la COP 21 en 2015). On trouvait quand même le moyen de rigoler un peu (big up Laffont), il y avait aussi l’horizon de la ZAD, mais lointain. Bref, une époque de merde.
Se créer une marge de manœuvre avant 2016
Malgré tout, il serait faux de dire que le dépassement de 2016 fut une surprise intégrale, dans le sens où il n’a pas surgi ex-nihilo. Son irruption est liée à la mobilisation de bandes, dans le cadre du mouvement, mais aussi en amont. Dans le texte de lundimatin « À la recherche du saut qualitatif », le MILI est décrit comme un « espace d’organisation ». Or, il s’agissait davantage d’un groupe attaché à la politique de l’émeute, parmi d’autres. Il s’en distinguait toutefois par sa publicité et l’écho que son discours trouvait au sein d’une génération de lycéens.
Avant le mouvement contre la Loi Travail la priorité du MILI était d’empêcher les organisations partisanes de jeunesses et les syndicats lycéens, la FIDL et l’UNL en tête, d’encadrer les manifestations lycéennes. Le conflit avec ces groupes s’expliquait pour plusieurs raisons. D’abord, nous, le MILI, considérions ces formations comme... molles. De notre côté, on portait le blocage à outrance, quand eux appelaient au calme, en expliquant qu’il fallait être raisonnable et accepter d’ouvrir le dialogue avec les institutions. Les plus gauchistes, comme le NPA jeune, ne faisaient pas beaucoup mieux et préféraient geindre que les « conditions objectives » n’étaient pas réunies. Ensuite, il y avait une divergence sur la finalité. Le MILI n’a pas toujours été un groupe d’autonomes et n’a peut-être jamais eu une homogénéité idéologique, mais après 2014 on était tout de même d’accord pour mettre en avant des mots d’ordres anticapitalistes et révolutionnaires pour le dire de façon grandiloquente. Enfin, il était évident que la majorité des militants des organisations de gauche étaient des gestionnaires-bureaucrates-en-herbe, des arrivistes qui souhaitaient faire carrière en politique et qui agissaient en politiciens. Ils utilisaient les mobilisations lycéennes pour donner une légitimité à leur organisation, bien qu’ils étaient inconnus de la majorité des lycéens, ils se posaient néanmoins en représentant du mouvement. Pour ce faire, ils disposaient de moyens conséquents du fait de leur proximité avec les partis politiques. Cette stratégie apparaissait clairement dans la version originale du rendez-vous « 11h Nation ». En effet, les syndicats lycéens appelaient à ce rendez-vous pour que les différents lycées bloqués forment un cortège jeune qui s’insérerait sagement dans la manif syndicale au sein de laquelle ils danseraient sur du David Guetta en chantant des slogans stupides. Bref, la manœuvre était détestable et il nous semblait important de faire cesser la farce. Naïvement, on pensait que chaque jeune avait un devenir-émeutier, ce que précisément ce dispositif syndical essayait de nier ou d’empêcher. On s’est donc mis en tête de le saboter, ce qui passait très concrètement par des gifles sur les cadres quand ils répondaient à des interviews, des bagarres avec le SO et le modeste débordement du cadre imposé : tags, pétards, fumigènes, se masquer, etc. Ce fût long et pénible, mettre des coups de pression aux bureaucrates en herbe était aisé, en réalité ils ne représentaient qu’eux-mêmes. La question devenait plus délicate quand ils nous balançaient aux flics ou se faisaient épauler par le SO de SOS Racisme ou de l’UNEF, matraques et gazeuses au poing. Si on devait être précis on choisirait la date du 14 novembre 2014, la manif à la suite de la mort de Rémi Fraisse, pour dater précisément la mise à l’écart des syndicats lycéens : en compagnie d’une autre bande, le MILI dégage le SO de la manif, des tags anticapitalistes se substituent aux drapeaux du PS et des slogans antiflics et des bruits de pétard remplacent David Guetta.
Les syndicats lycéens lâcheront progressivement l’affaire après ça. Si bien qu’en 2015, la manifestation contre la loi Macron est organisée par le MILI et son ambiance tranche avec les manifs lycéennes classiques. Bref, juste avant 2016, le MILI, aidé par d’autres et sous l’influence d’autres expériences politiques, s’était imposé dans le microcosme politique lycéen, s’y était construit une petite réputation, jouissait d’une certaine audience. On avait ouvert un espace d’intervention.
Trop vite trop fort ?
Pour autant, le Cortège de Tête n’est pas apparu dès la première mobilisation de 2016 et il a fallu que la tension monte crescendo. On est d’ailleurs presque parti trop vite-trop fort. Trop contents de pouvoir organiser le « 11h Nation », galvanisés à l’idée d’un probable mouvement d’ampleur et sous l’influence des rares manifs émeutières des dernières années, on décide de monter le niveau. Sauf qu’il pleut, qu’on n’est probablement pas plus de 200 et que si l’on a déjà participé à quelques situations émeutières ce n’est pas le cas de la grande majorité du cortège. Alors quand ça se met à jeter des pétards dans tous les sens, jeter des œufs et bouteilles de peinture et à sauter sur les banques du faubourg Saint-Antoine un vent de panique se répand dans la manif sans qu’elle ne se disperse pour autant. L’ambiance en prend un coup supplémentaire lorsqu’une lycéenne perd un bout de doigt en ramassant un pétard et qu’un ancien cadre de la FIDL se prend trois-quatres patates dans la tête en plein milieu du cortège stagnant dans une ruelle. L’ambiance est pesante malgré la sono qu’on trimballe pour donner un côté « festif » à la manif. En dépit de tout cela et de la pression des flics, le cortège se tient et arrive place de la République pour la manifestation syndicale durant laquelle il ne se passera rien de notable. On est contents de nous mais on se demande quand même si on n’est pas parti vraiment trop vite trop fort pour cette première date.
Néanmoins, la semaine d’après, le 17 mars, on reprend les mêmes et on recommence.... Cette fois il fait beau, on est encore plus nombreux à se retrouver au 11h Nation. Pour essayer de contrebalancer le décalage entre les lycéens black bloc et le reste du cortège on n’opte pas pour le nivellement par le bas. Au contraire, on se procure des masques à distribuer dans la manif pour inciter le plus de gens possible à se masquer, on choppe un mégaphone pour essayer d’atténuer les peurs et on décide de se masquer en couleurs pour être moins flippant. Sans que cela soit pensé stratégiquement, on décide de faire des banderoles avec des punchlines des rappeurs qu’on écoute et d’en tagguer. Ça peut sembler anodin, mais ça (nous) rappelle qu’on fait partie de la communauté lycéenne et qu’on ne veut pas de la politique chiante de tous ces militants troskystes ou socialistes qui même lorsqu’ils n’ont pas encore 18 ans ressemblent déjà à des bureaucrates de mille ans. On ne veut plus de D. Guetta, on ne veut plus du fameux « 3 pas en avant, 2 pas en arrière, c’est la politique du gouvernement », on veut du PNL, du SCH ou du Booba, quelque chose qui nous parle vraiment. Péniblement, on essaie de former un cortège pour s’engager sur le faubourg Saint-Antoine, on galère à faire passer les banderoles devant puis le cortège s’élance. Une demi seconde on croit qu’on va pouvoir driver la manif et faire monter la sauce crescendo avant de se faire déborder, pour notre plus grand bonheur, par nous-même mais aussi par une partie des lycéens.
La manif ira encore moins loin que la fois précédente et une grande partie du cortège se disperse en se donnant rendez-vous à la manif syndicale sans qu’il ne s’y passe quoi que ce soit d’intéressant.
On n’attend pas grand-chose des manifs syndicales, on est jeunes, un peu fous mais pour nous ça demeure un espace verrouillé et hostile. Si on y a déjà fait des petites dingueries on sait très bien que les actions offensives y sont condamnées par une partie importante des manifestants et des organisations syndicales. On est quelques-uns à avoir fugacement participé au mouvement des retraites en 2010, on se souvient des manifs sauvages à 100 ou 150 remontant un cortège de dizaine de milliers de personnes, de l’affaire du « coup de pied ninja » et des interventions de la BAC en civil dans la manif. On a même pu tester ce cadre là en 2014 lors d’une manifestation anti-FN : au premier bris de vitrine on s’est fait huer par des centaines de manifestants parmi lesquels il fallait jouer au chat et à la souris avec la BAC qui nous traquait. Bref, ça explique pourquoi on avait des réticences à l’investir.
Toute la vérité sur l’histoire de la réelle naissance du Cortège de Tête
La semaine d’après, on décide d’appeler à une manifestation lycéenne à 11h place d’Italie, ce qui devait nous permettre de rejoindre plus facilement le cortège syndical qui fait Montparnasse-Invalides le 24 mars. Bien qu’on ne soit pas très nombreux et qu’on ne soit pas forcément au diapason avec les lycéens de Paris-Sud la journée commence fort : jets de bouteilles et expulsion de la BAC manu militari.
Cette fois-ci l’ampleur du débordement s’explique surtout par l’arrivée d’autres bandes dans les manifs « lycéennes ». Nous on avait une petite force d’appel et on arrivait plus ou moins à donner un rythme au mouvement lycéen, par contre, on ne pouvait pas gérer seuls la question de la police. On a invité et on a commencé à se coordonner plus ou moins formellement avec d’autres bandes qu’on côtoyait depuis quelques temps, pas le milieu parisien rabougri mais ceux qui croyaient encore à la stratégie de l’émeute, qui bougeaient et qui s’en donnaient les moyens. Cependant, s’il y avait un accord sur la volonté d’élever le niveau de la confrontation, il n’y avait pas une homogénéité idéologique. En outre, il ne s’agissait pas d’une froide coordination groupe à groupe. Ce qui tenait ces bandes ensemble, c’étaient des complicités, des liens de camaraderies et parfois des amitiés. Le haut niveau de mise en jeu collective et les discussions renforçaient ces liens aussi bien que les à-côtés. Pour autant, il n’y avait pas non plus une homogénéité en terme de formes-de-vie. Bref, sans cette coordination, le « saut qualitatif » de 2016 n’aurait pas été possible à Paris et elle a joué un rôle important dans les premières dates du mouvement.
Le cortège lycéen réussit plus ou moins à arriver à Montparnasse et une fois de plus on en attend pas grand-chose. Mais là encore ,on se fait déborder par une partie des lycéens, et là encore ça nous ravit. Par audace ou par naïveté, on ne saura jamais, une partie du cortège décide de se positionner devant le carré syndical, ne comprenant pas pourquoi il devrait être relégués à l’arrière de la manifestation. On se décide naturellement à appuyer l’initiative, on déteste la gauche sous toutes ses formes : partis politiques, syndicats lycéens et étudiants ou centrales syndicales. Pour nous ce sont des réformistes avec qui l’on ne partage ni les moyens ni les fins et ce sentiment est accentué par le gouvernement PS. À bien des égards, pour nous 2016 fut un mouvement contre les formes traditionnelles de la protestation. Les syndicats n’apprécient pas le mouv (comment ? des jeunes veulent défiler devant, refusent qu’on les représente et qu’on les dirige ?), pas plus que les flics qui en profitent pour arrêter un militant dans ce tout premier Cortège de Tête. Ce dernier, composé majoritairement de lycéens, finit par avancer alors que le SO s’assure de laisser au moins 100 mètres entre lui et le reste de la manifestation. C’est plutôt calme jusqu’à Invalides et là ça part en sauvage. On est saucé de foutre le bordel chez les bourges d’autant plus que la composition de la manif ne se limite pas au milieu radical.
Sans que cela suive une progression linéaire, la tension est montée de dates en dates que ce soit vis-à-vis des flics ou du SO. Le matin dans le cadre de « manifestations lycéennes » qui de plus en plus n’ont de lycéennes que le nom : attaque d’un commissariat le 25 mars à la suite du coup de poing de Bergson.
Affrontements du pont d’Austerlitz la semaine suivante :
Par la suite les rendez-vous 11h Nation ont commencé à décliner sous l’effet de la répression, les flics les traitent de plus en plus comme un rendez-vous de radicaux et de moins en moins comme une manifestation lycéenne. Le premier rendez-vous d’avril est d’ailleurs fortement réprimé : grosses charges et nasse, les plus chanceux réussiront à s’enfuir par l’ancienne caserne de Reuilly.
Bagarres
La fermeture de cet espace ne se révèle pas problématique dans l’immédiat, il aura permis de donner un rythme et une intensité à la mobilisation en dehors du cadre des manifestations syndicales qui commencent d’ailleurs à s’ouvrir sous l’impulsion du Cortège de Tête.
Là encore ça ne s’est pas fait facilement, il a fallu s’imposer face aux flics et surtout face au SO pour qui le Cortège de Tête menace l’hégémonie syndicale sur le mouvement social, et certainement, plus important pour eux, remet en cause leur rôle de gros-bras-à-grosses-couilles. Différents éléments permettent d’expliquer la perte de légitimité des syndicats au profit du Cortège de Tête, parce que si le rapport de force était bel et bien matériel, c’était surtout la question de la légitimité des pratiques radicales et de ceux qui les portent qui étaient en jeu. Il a d’abord fallu s’imposer physiquement, une première bagarre a eu lieu le 31 mars avec FO, qui n’a pas réussi a défaire le Cortège de Tête. Une autre grosse bagarre éclate le 17 mai, le SO est mis en déroute (merci Monceau Fleurs).
Parallèlement, le contraste devient de plus en plus fort entre le Cortège de Tête, décidé à monter le niveau de conflictualité et s’organisant face à la répression, et la mollesse des organisations syndicales. Le Cortège de Tête incarne l’opposition la plus radicale, à la loi, au gouvernement et au capitalisme, et sûrement aux méthodes traditionnelles de la contestation qui essuie échec après échec depuis plusieurs décennies. Il est alors progressivement rejoint par tous ceux qui ne souhaitent pas se limiter aux manifs-merguez-bon-enfant, syndicalistes inclus. Les organisations syndicales et le SO ne semblent pas avoir saisi l’ampleur de ce retournement. Aussi, lorsque le SO tente une reprise en main du Cortège de Tête armé de battes de baseballs, matraques télescopiques, casques et gazeuses le 17 mai, c’est un groupe massif et hétéroclite (jeunes, radicaux en noir, syndicalistes, lambda, vieux etc…) qui le hue et scande « SO collabo ». Ce dernier, aura perdu, dans la même journée, la bagarre et sa légitimité dans l’espace de la manifestation, depuis il ronge son frein. L’humiliation des centrales syndicales deviendra éclatante, encore plus tard, le 1er mai 2018 : le nombre de manifestants dans le cortège de tête dépasse largement le cortège syndical qui n’est plus qu’anecdotique dans cette journée qui aura vu un énorme black bloc.
En plus des manifestations syndicales, la conflictualité continue à se déployer dans d’autres espaces : occupation de Tolbiac, manifs sauvages, Nuit Debout et son fameux apéro chez Valls et les blocages de lycées.
On ne contrôle plus rien, ça fait longtemps qu’on est débordés et c’est tant mieux. Si le mouvement nous galvanise, on est paradoxalement en perte de vitesse, le groupe commence à se désagréger sous l’effet de la (ré)pression. On sent qu’on est dans le collimateur, on nous présente comme un mouvement « ultra » ; quand les premières interdictions de manifs tombent c’est pour nous, certains se font malmener par les flics en rentrant chez eux, il y aussi la voiture brûlée. Bref, il devient de plus en plus difficile d’assumer une existence et des actions publiques et peut-être le plus problématique : on n’arrive pas à s’accorder sur un niveau de mise en jeu commun. De façon générale, il y a l’usure d’une bande qui s’est peut-être cramée trop vite et qui avait une tendance au nihilisme et à l’autodestruction. L’implosion de notre groupe n’a pas eu d’effet sur le mouvement, il avait trouvé un rythme qui lui était propre et il commençait à générer ses propres bandes. Le 14 juin en fut une démonstration éclatante, on y est pas présent en équipe et il y a une multitude d’autres groupes qui feront le taff.
Même chose à la rentrée, on appelle à une AG lycéenne, 50 jeunes dans la salle début septembre, ils ont l’impression d’être peu nombreux, on leur répond qu’on n’était pas plus de 10 pendant 4 ans.
Never grew up ?
Le Cortège de Tête n’est pas apparu par magie. Il n’était pas moins le produit de la spontanéité que celui des « conditions objectives ». C’est une forme de conflictualité qui s’est imposée et diffusée progressivement dans la manif syndicale sous l’impulsion des bandes, pour ensuite s’en autonomiser. C’est d’ailleurs cette même énergie, ce même dissensus, qui a tenté d’être déployé ailleurs - 11h Nation, Nuits Debout, manifs sauvages -, y trouvant sa place de manière plus limitée. sans rencontrer le même écho (avec une pertinence ponctuelle mais pas la même persistance). Le Cortège de Tête s’est d’ailleurs transformé tout au long de la séquence avant que sa forme ne se stabilise, ne se folklorise, voire ne se sclérose. Il était dominé tantôt par son côté festif, tantôt par un mode black bloc, ou bien encore une tonalité k-way-noirs-chasubles-rouges : ainsi la conflictualité ne s’y incarnait pas toujours de la même manière. Pourtant il a signifié un temps, pour ce mouvement là, le « saut qualitatif », la forme adéquate.
Voilà qui n’est a priori plus vrai en 2023.
Si le Cortège de Tête s’est installé, durablement, et jusqu’aux manifs actuelles contre la réforme des retraites, il n’est plus synonyme de franchissement d’obstacles (contestation de la main-mise de l’espace de la représentation politique par le conservatisme de gauche, moyens d’une offensivité collective, thématisation du mouvement sur un au-delà d’un combat réformiste). C’est un ersatz, tributaire d’une forme automatique mais progressivement évidée de sa substance : une salle d’attente. On y espère encore l’événement - certains tentent parfois de l’activer - mais il ne vient pas, ou peu.
On oublie peut-être qu’un tel lieu n’a été construit en 2016 qu’au travers d’une perpétuelle tension, d’un certain combat, et que la possibilité de son existence avait du réclamer de mettre le pied dans la porte (et parfois dans la gueule). Les difficultés étaient nombreuses, les perspectives minces - comme aujourd’hui - et pourtant il a fallu essayer, inventer, puis persister. Pour parfois - comme cela s’est encore vu le 16 mars 2018 ou en octobre dernier à Sainte-Soline - arriver au fameux dépassement.
Au fond, il ne s’agit pas ici d’un appel à un Cortège de Tête authentique ou éternel. S’il ne faut probablement pas le mettre à la poubelle - et considérer ce qu’il y a encore de continuité offensive avec son entêtement présent -, il faut encore comprendre sa stagnation comme une crise de foi(e). Le temps d’une émulation, d’une cohésion, et d’une détermination forte qu’on venait y chercher n’est plus. La qualité et le niveau de conflictualité générale qu’on y mettait en oeuvre se sont dissipés. Les assauts débridés des flics à son endroit depuis 2016, et ce particulièrement à Paris, n’ont par dessus tout pas laissé indemnes. Et pourtant cela vaut toujours mieux que de retourner à l’arrière de l’arrière, au fin fond des cortèges de drapeaux, dans une trajectoire minoritaire tendant vers l’infini.
Donc, quitte à y aller, autant y aller chargé de l’envie de son propre dépassement, n’étant d’ailleurs pas exclu que ce qui prendra la place du Cortège de Tête peut encore partir du Cortège de Tête lui-même. Il s’agit donc de se mettre en quête des nouvelles façons d’actualiser son hypothèse politique et qui fut : intervention et conflictualité de rue.
Retrouver le clivage, y compris au sein du mouvement social, pousser l’offensive.
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