Un département-colonie ravagé
Samedi 14 décembre 2024, Mayotte est frappée par Chido, un cyclone tropical. Département le plus pauvre de France, 77% des 321 000 habitant•es de Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté, soit cinq fois plus qu’en Hexagone.
Un tiers vit dans des habitations précaires ne pouvant résister à la force du cyclone, d’une
ampleur inégalée depuis plus de 90 ans pour Mayotte. Pourtant située dans une zone cyclonique, cette crise met en lumière l’insuffisance des moyens et l’absence d’anticipation de la part des autorités françaises.
Les estimations les plus basses, largement relayées par les médias mainstream, estiment les pertes humaines à une trentaine à ce jour. Des médias ont pu relayer le nombre de 60 000, avant de se rétracter. Seules certain e•s habitantes et associations ont pu se rendre dans les bidonvilles. 10 jours après le drame, les autorités commencent à peine à y aller. S’il y avait des victimes encore vivantes, celles-ci n’auront jamais été secourues.
Les habitant•es de Mayotte étant majoritairement musulman•es, iels inhument en principe les corps des défunt•es dans les 24 heures. Entre cela et l’horreur que cela doit être à voir et à vivre, des corps sont enterrés sans forcément être comptabilisés.
Les survivantes se retrouvent à gérer pratiquement seul•es les ravages de ce cyclone. Un manque d’investissement, d’organisation et de communication sont à déplorer. Les distributions de denrées se font de manière inégale et limitée. On ne cesse de voir des sinistrés es qui s’activent mais on voit peu d’images de pompiers ou de militaires. Nombre d’habitant•es ont pu dire ne pas les voir elleux, mais aussi les élu•e•s.
Alors que le réseau de fourniture d’eau et d’assainissement a été coupé, que 95% du réseau mobile a été endommagé, et 80% des foyers ont été privés d’électricité. Et que les bangas, cases construites en tôle formant des bidonvilles, ont tous été détruits par des rafales de vent à plus de 220 km/h et des vagues de 9m30.
La seule réponse apportée depuis 2023 aux habitant•es : les opérations Wuambushu consistant à détruire les habitats précaires, proposer trois mois d’hébergement aux françaises et aux étranger•es en situation régulière, et expulser les personnes sans-papiers. En l’absence de solution pérenne et sans construction d’habitat en dur, les personnes délogées se déplacent pour vivre de manière encore plus précaire.
Une semaine avant le cyclone, des cases du bidonville de Mavadzani, le plus grand de Grande-Terre, étaient encore détruites. Chido aura réalisé le rêve délétère du pouvoir d’anéantir les bidonvilles. Les plus précarisé•es seront les plus exposées aux pénuries d’eau, de nourriture et à une potentielle épidémie de choléra, la dernière s’étant étendue de mars à juillet 2024.
Mayotte est le plus grand centre de rétention de France. Les enfermements et expulsions se font de manière dérogatoire et expéditive. Des adultes sont abusivement renvoyées aux Comores, même en étant gravement malades et/ou en ayant des enfants sur place. De nombreux ses enfants se retrouvent ainsi livré•e•s à elleux-mêmes. En 2011, 3 135 d’entre elleux sont en rétention administrative : Depuis 2012, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France à 11 reprises pour traitement inhumain et dégradant. Les droits tels que la scolarisation ne sont pas non plus assez respectés.
Le préfet François-Xavier Bieuville active la phase de sauvegarde cyclonique 2 jours après le passage du cyclone. 4 jours après, le ministre démissionnaire chargé des Outre-mer, François-Noël Buffet, annonce l’activation de l’état de calamité naturelle exceptionnelle. 5 jours après, le 19 décembre, le président Macron rejoint Mayotte mais lâche que, « si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ».
Aveu en creux que Mayotte n’est pas vraiment un territoire français, mais bel et bien une colonie. Logiciel colonial qui implique que les autorités françaises ne mandatent pas l’UNICEF, ou encore qui a pu faire tarder l’arrivée d’aides des Comores qui n’a a priori et heureusement vécu que des dégâts matériels.
Une stigmatisation renforcée des Comorien-nes, mais aussi de Malgaches, Africain•es...
En dépit des protestations de l’ONU, la France a maintenu Mayotte comme territoire français alors que les trois autres principales îles de l’archipel des Comores devenaient indépendantes en 1975 dans le cadre de l’État des Comores.
En 1995, le premier ministre Édouard Balladur a instauré un visa préalable pour les Comorien-nes souhaitant se rendre à Mayotte. Il a ainsi réduit à néant la liberté de circulation entre les îles de l’archipel des Comores, nié les fortes proximités culturelles, religieuses, linguistiques et familiales entre leurs habitant•es et renforcé les inégalités économiques.
Jusque là, les ressortissant•es Comorien•nes obtenaient automatiquement la délivrance d’un visa de trois mois à leur arrivée qu’iels pouvaient en général renouveler en quittant Mayotte.
Balladur a fait des Comorien•nes arrivé•es sans visa, au péril de leurs vies, des personnes sans-papiers, des « étranger’es ». Les 70 kilomètres d’Océan indien qui séparent Mayotte d’Anjouan ont longtemps été considéré comme constituant le plus grand cimetière marin au monde.
Les Comorien-nes en situation irrégulière, qui sont majoritaires dans les bangas, sont les principales victimes du cyclone. Les polémiques se sont toutefois très vite focalisées sur leur présence considérée comme problématique.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a déclaré sur le réseau social X : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire ». Il a également promis d’être « beaucoup plus dur avec les Comores » qui, selon lui, « poussent des populations vers Mayotte pour susciter une forme d’occupation clandestine ».
Pour éviter tout risque d’expulsion, un grand nombre de personnes sans papiers a évité les établissements scolaires transformés en centres d’hébergement d’urgence, en pensant qu’il s’agissait d’un piège. L’information n’a pas toujours été transmise ou alors mal transmise, c’est à dire en français. Il s’agit de la langue officielle alors que, selon une étude qui date de 2011, 43% de la population ne parle pas français. Les langues majoritairement parlées au quotidien sont le shimaoré et le kibushi.
Parmi celleux informées de ce dispositif et ayant fait le choix d’y aller, beaucoup ont perdu la vie en chemin. Le parc scolaire a lui-même été entièrement affecté par le cyclone.
L’État français a donc délibérément exposé les populations les plus vulnérables aux risques climatiques en organisant la précarité de leurs conditions de vie, en réprimant les migrations et en ne fournissant pas une réponse humanitaire adaptée à l’urgence. Cette situation reflète une logique « nécropolitique » : certaines vies, considérées comme plus « disposables » que d’autres, sont davantage exposées à la mort.
La gestion différenciée de la vie humaine selon le statut juridique et social des personnes place implicitement certaines vies en « zone de sacrifice », zone où les écosystèmes sont sacrifiés par les autorités et généralement habitées par des communautés racisées précarisées, ici maioritairement noires et musulmanes.
Lutter pour décoloniser le changement environnemental global
L’accaparement, la déforestation et l’exploitation des terres sont des pratiques typiques de l’’habiter colonial". Le résultat est la fragilisation des écosystèmes et le recul des mangroves de Mayotte, en plus du changement environnemental global.
Suite à des sécheresses répétées, Mayotte vit depuis 2023 une crise de l’eau. L’État français a mis en place des dispositifs insuffisants prévus au moins jusqu’en 2025 : coupure de l’eau du robinet deux jours sur trois, distributions quotidiennes de seulement un litre d’eau en bouteille par personne et plafonnement de leur prix.
Les « Outre-Mer » représentent moins de 6% des émissions de gaz à effet de serre mais se retrouvent en première ligne des conséquences du réchauffement climatique, phénomène qui augmente l’intensité des cyclones.
Les plus grands pollueurs sont donc directement responsables de la formation de cyclones de plus en plus ravageurs mais continuent tranquillement de s’enrichir pendant que les populations dites du « Sud », noires, racisées, paupérisées et marginalisées sont les premières victimes de la dette écologique.
Face aux habitant•es à bout de souffle, Macron se pose en sauveur blanc innocent, paternaliste, entretenant le rapport colonial entre l’hexagone et Mayotte. Mais même dans les missions de la gendarmerie, les secours passent au second plan après le « maintien de l’ordre public ».
Au 22 décembre, 150 gendarmes mobiles ont été envoyés de l’hexagone pour assurer l’ordre public (600
au total sur place) contre 100 gendarmes départementaux pour « concourir aux secours » (550 au total). Un couvre-feu de 22h à 4h est instauré pour éviter les pillages et assurer la sécurité, surtout donc, des entreprises. Et dans les médias, porter secours à des personnes en situation irrégulière est contesté.
Nous exprimons notre soutien et nos encouragements aux survivantes de Chido, à Mayotte, dans l’archipel d’Agaléga, au Mozambique, au Malawi, et nos condoléances à celles et ceux qui ont perdu des proches.
Nous appelons à soutenir les actions de solidarité qui priorisent le secours aux victimes, notamment en contribuant aux cagnottes créées par les habitantes de Mayotte, mais aussi celles du Secours Islamique Français, de la Fondation des Femmes, du Secours Populaire Français, de la Fondation de France, etc.
À Lyon, une collecte de dons est organisée par la communauté mahoraise au local du 20 avenue d’Ocha à Vaulx en Velin (Tiktok @mangrove_lyon).
Plus fondamentalement, nous appelons à combattre le racisme environnemental, à l’intersection du racisme systémique, du colonialisme, de l’exploitation destructrice des écosystèmes, et de toutes les autres formes d’oppressions en investissant les luttes d’émancipation et de transformation des rapports sociaux.
Sources :
CADTM, 18/12/2024, « Mayotte face au cyclone Chido : quand l’obsession migratoire écrase la justice climatique »
https://www.cadtm.org/Mayotte-face-au-cyclone-Chido-quand-I-obsession-migratoire-ecrase-la-justice
FERDINAND Malcolm, 2024, « Justice climatique pour les Outre-Mer : pour une décolonisation du changement climatique depuis la France » in Plurivers, revue d’écologies décoloniales, n° 1, pp. 59-87
MBEMBE, Achille, 2006, « Nécropolitique », Raisons politiques, n°21-1, pp. 29-60. https://doi.org/10.3917/rai.021.0029.
REPORTERRE, 19/12/2024, « Dans les bidonvilles de Mayotte, les habitants livrés à eux-mêmes pour reconstruire » https://reporterre.net/Dans-les-bidonvilles-de-Mayotte-les-habitants-livres-a-eux-memes-pour-reconstruire
SURVIE, 20/12/2024, « À Mayotte, le cyclone Chido ne reconnaît pas les frontières et n’a pas besoin de visa » https://survie.org/themes/colonialisme/article/a-mayotte-le-cyclone-chido-ne-reconnait-pas-les-frontieres-et-n-a-pas-besoin-de
UNICEF, 2022, « Centre de rétention administrative : l’enfermement des enfants »
https://www.unicef.fr/actions-humanitaires/europe-asie-centrale/france/centre-de-retention-administrative-lenfermement-des-enfants/
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