Q : Étais-tu explicitement affiliée à un courant politique (drapeau, autocollant, badge) ?
A.M. : Non, moi j’ai fait la manif sans être affiliée à un courant politique. […] Je suis arrivée peu de temps avant que les CRS chargent. J’ai pas trop eu le temps d’analyser les groupes politiques avec qui j’étais, je savais juste que j’étais principalement avec des étudiant.e.s anarchistes.
Q : Qu’est-ce qu’il s’est passé précisément pendant l’opération de nasse ?
A.M. : Il y avait un cordon de CRS entre nous et [le cortège de] la CGT, et un autre qui bloquait l’avenue derrière nous. La manifestation ne pouvait pas partir.
Au bout d’un moment, la CGT a commencé à pousser, je crois, et il a dû y avoir des jeunes qui ont voulu s’approcher des CRS pour les faire bouger.
Là ils ont gazé, et ont commencé à nous faire reculer. Comme on a fait bloc derrière une banderole étudiante, ils ont matraqué, donné des coups de pied, il y a eu des blessés directs.
J’ai pris un coup de matraque sur le crâne et des coups de pied dans les genoux. […] Une amie s’est faite renverser par les CRS, et blesser le genou au sol, parce qu’elle voulait aider quelqu’un à se relever.
On a essayé de sortir les blessés, mais les flics ont chargé dans l’espèce d’infirmerie qu’on avait mis en place pour les protéger et les soigner. Ils ont matraqué une femme qui essayait de leur dire qu’on avait déjà des blessés.
Après, ils ont pivoté pour nous forcer à continuer de reculer dans une rue perpendiculaire [la rue Pierre Robin, à un angle du cours Gambetta]. A ce moment-là j’étais encore en première ligne, au contact avec les CRS et j’ai vu un homme tomber dans la manœuvre et se retrouver derrière le cordon. Les flics l’ont attrapé par le col, traîné par terre et balancé vers nous.
Quand on s’est retrouvé dans la rue, on a compris qu’on était nassés, on était vraiment bloqués entre deux cordons de flics, il y avait peut-être vingt mètres maximum entre les deux cordons.
Et après on a attendu, attendu, attendu... On s’est retrouvé bloqué vers 12h30 […] et personnellement je suis sortie à 14h45.
Q : Les négociations avec la CGT ont duré environ deux heures. Sais-tu ce qui s’y est dit ?
A.M. : A la base, les CRS ne voulaient pas nous laisser repartir. Après, ils ont voulu nous faire sortir, avec un contrôle d’identité et une fouille des sacs, mais pour nous libérer du côté opposé à la manifestation [rue Jules Brunard, parallèle au Cours Gambetta]. Sauf qu’il y avait les fachos [qui nous attendaient] de l’autre côté.
La CGT a finalement réussi à nous faire sortir du bon côté sans contrôle d’identité, juste des fouilles des sacs. Au début, ils voulaient même récupérer les sérums physiologiques.
Q : Vous ont-ils donné la raison de cette opération de nasse, à vous ou au négociateurs.rices de la CGT ? Ils vous ont arrêté sans vous dire pourquoi ?
A.M. : […] Vaguement : par « mesure préventive et de protection ». Quand ils ont dit ça à mon amie qui s’est fait mal aux genoux en tombant, et quand elle leur a montré en leur disant « c’est vachement de la protection, ça », le CRS ne savait plus où se mettre.
Et évidemment, quasiment aucun n’avait son matricule.
Si les victimes de la police dont fait partie A.M. s’en tirent finalement bien grâce aux efforts combinés des négociateurs.rices de la CGT et du reste des manifestant.e.s, dont les cris répétés de "Libérez nos camarades !" ont résonné dans le cours Gambetta pendant des heures, il n’empêche que les méthodes décriées par ce témoignage restent édifiantes. Sans ces dites négociations, les CRS n’auraient eu aucune honte à mettre en garde à vue la totalité de ces militants explicitement pacifistes, ou pire, à les jeter en pâture aux fascistes et identitaires en marge de la manifestation.
Peut-être plus inquiétant encore serait l’existence-même de cette opération de nasse, dont le but à peine masqué fut ni plus ni moins que de stopper net le mouvement syndical et populaire, de le tuer dans l’œuf, de décourager ses membres en les faisant attendre des heures ; en somme, d’empêcher à tout prix son expression et sa diffusion dans l’une des plus importantes métropoles de France, le fief de Gérard Collomb (Ministre de l’Intérieur, rappelons-le).
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