Mauvais souvenirs
Pourtant tout aurait pu ne jamais voir le jour. Dès le départ, en effet, le chef de la CGT locale vient mettre la pression aux lycéens : « alors vous voulez pas qu’on manifeste côte à côte avec nos banderoles à coté ? », « on se bat pas pour la même chose ? » Sauf qu’on a bien vu ce que c’était dernièrement la CGT dans les manifs. Le 5 avril notamment, alors que la manif n’avait pas fait 30 mètres, les flics bloquent directement l’avancée du cortège. Ils se mettent alors à se lamenter : « On s’est fait insultés, puis il y a des gens masqués dans le cortège, puis on craint des jets de projectiles, on veut que des orgas ou syndicats prennent la tête ». Et là, c’est la consternation. Sans attendre que les manifestants décident quoi faire, la CGT obéit. Et tout le reste de la manif, les cégétistes s’emploient à maintenir un cordon à l’avant de la manif. Heureusement que le ridicule ne tue pas puisqu’ils ont poussé le grotesque jusqu’à oser chanter « État d’urgence, état policier, on ne nous enlèvera pas le droit de manifester » [1] encadrés par deux meutes de policiers qui marchaient parfois à coté des manifestants. Pendant que tout au long du parcours, on défile au rythme de la police, pardon de la CGT, un des petits chefs du SO discute continuellement avec un petit chef de la police (où aller, à quel moment avancer ou freiner le cortège, etc.). En bref, ce jour-là, les chefs se sont entendus entre eux sur la forme que devait prendre la contestation. Ils ne le feront pas deux fois.
Donc, partant de là, les lycéens ne se laissent pas faire et répondent au syndicaliste qu’on va se passer de ses services, de son SO, et qu’on va prendre la tête de la manif sans lui. Le responsable cégétiste se décompose et repart. Le premier obstacle est levé.
Se tenir ensemble
Début de la manif. Les flics sont nombreux sur les cotés mais il y a une bonne ambiance. La sono roulante est là et crache du (plus ou moins bon) son. Plusieurs centaines de personnes ont rejoint la tête de manifestation derrière la banderole lycéenne, la banderole d’« On vaut mieux que ça » et deux banderoles renforcées (pour protéger le cortège). Globalement, le bloc de tête de la manifestation se tient bien. Il y a une bonne coordination entre les gens, les infos circulent, on va au même rythme.
Au bout d’un moment, la présence des flics devient chiante, donc des œufs de peinture leur sont lancés et ils se taillent en vitesse. Ils n’oseront plus s’approcher trop près de la manif ni recoller sur les cotés. On a pu ainsi retrouver un peu d’air. Certains en profitent pour redécorer les vitrines de banques avec de la peinture.
À noter qu’au début, la stratégie policière était visiblement de nous couper du reste des manifestants, si le cortège était trop offensif (les flics se tenaient casqués sur les cotés mais dans notre dos). Face à cela, nous avons su rester attentifs à leur manœuvre et suffisamment compacts pour ne pas les laisser s’engouffrer. Une habitude à conserver.
Arrivés à la place du Pont, une partie de la tête de la manif tente de se décrocher pour rejoindre la permanence du Parti Socialiste. C’est que depuis le début du mouvement, le vandalisme des locaux du PS est devenue une sorte de sport national : Paris, Nantes, Rouen, Montpellier, Besançon, etc. Les locaux du PS sont systématiquement pris pour cible dans les manifs ou la nuit. Là, les flics paniquent et se mettent à courir pour former une ligne cours de la Liberté. Pas encore assez nombreux pour forcer le passage, le cortège hésite puis rebrousse chemin. Ce n’est que partie remise. En attendant, belle réaction de la part du reste de la manif qui attend pour ne pas laisser des gens derrière elle.
On traverse le pont juste avant Bellecour. Là, on voit le commissaire – le gradé qui gère chaque manif – quasiment tout seul. L’occasion est trop belle. Sans doute galvanisés par l’épisode du pont d’Austerlitz à Paris où les manifestants ont à plusieurs reprises chargés une ligne de flics à coups de bâtons, le slogan phare du mouvement « Ahou ! Ahou ! » est entonné [2]. Des gens commencent à courser le flic et son adjoint qui se carapatent en courant rue de la Barre.
Puis la manif finit place Bellecour, comme souvent. Dans la foulée, des gens veulent continuer vu le nombre et la détermination qu’on a, mais finalement ça ne se fait pas. Ce qu’on a sans doute gagné aujourd’hui, par rapport aux autres journées où c’était la frustration qui dominait, c’est la confiance. Confiance dans nos capacités, confiance en nous, confiance entre tous les « nous » qui sont en train de naître. Ce qui est essentiel pour la suite des opérations. Car c’est là qu’on peut arracher des victoires, sur cet autre plan bien loin des négociations entre gouvernants et bureaucrates : dans le fait même de se tenir ensemble, pas seulement dans la rue mais dans la vie tout court. Ne pas se laisser avaler par le travail, faire front contre ce qui nous écrase, se reposer à plein toutes les questions de l’existence qu’on affronte normalement seul et qui nous conduise inévitablement à aller travailler ou à déprimer seul dans son coin.
Fin du PS, naissance de notre force
Une heure après la fin de la manifestation, des gens se retrouvent. On se compte. On est nombreux, largement plus que ce qu’on pouvait anticiper. Après quelques rapides discussions, un cortège s’élance. C’est parti. Ça fait deux fois que les manifestants essaient d’atteindre le local du PS, le 9 mars et aujourd’hui, et que la flicaille le défend [3]. La troisième sera la bonne. Environ 150 personnes tracent au pas de course dans le centre-ville et prennent de court la police. Les gens exultent en arrivant devant l’objectif de la journée. La devanture est fermée mais elle est aspergée de peinture à coup d’extincteur et les vitres du premier étage sont brisées.
Ensuite tout le monde cavale et commence à se démasquer. La police arrive en trombe et commence à chasser des gens. Les flics sont complètement paniqués et hurlent des ordres dans leurs talkies. Un flic course deux lycéens et sentant qu’ils ne les rattrapera pas leur lance sa matraque dessus avant de se casser la gueule dans sa course. Un autre flic, tout seul, matraque un gamin dans la jambe et le fait chuter au sol. Des gens arrivent pour essayer de libérer le pote, le flic dégoupille une grenade assourdissante et la balance aussitôt dans l’attroupement. Un peu plus loin, des lycéens se réfugient dans un hall d’immeuble et se font « séquestrer » par un type de l’immeuble qui les enferme à clef et refusent de les laisser sortir pendant deux longues minutes. Au total, il y aurait eu quatre arrestations.
La journée se finit sur la place Guichard avec l’assemblée de Nuit Debout.
Rendez-vous à venir
- Le 13 avril, Valls et toute une brochette de ministres vient pointer le bout de leur nez à Vaulx-en-Velin, l’occasion de se retrouver et de voir ce qu’on peut faire ensemble. Rassemblement devant l’ENSAL (3 rue Maurice Audin) à Vaulx-en-Velin (heure à préciser).
- Le 14 avril, manifestation contre la loi Travail au départ de Gratte Ciel (Villeurbanne) à13h.
- Manifestation au niveau nationale le 28 avril. Heure et lieu à préciser.
À très vite !
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