En décembre dernier, seules quelques touches d’orange parsèment encore les images montrant les policiers en civil (en général la BAC) qui interviennent dans les manifestations lyonnaises. Comme depuis le début du mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018, la plupart de ces fonctionnaires ne portent pas leur brassard (sur lequel figure leur matricule, autrement appelé « RIO » pour « référentiel des identités et de l’organisation »), en dépit d’une obligation réglementaire. Après la médiatisation du tabassage d’Arthur par certains fonctionnaires de la BAC, le 10 décembre place Bellecour, on aurait pu s’attendre à l’affichage de bonnes résolutions préfectorales. Mais c’est le contraire qui s’est produit : depuis le début de l’année et le redéploiement de la BAC en manifestations, plus aucun fonctionnaire n’arbore son brassard. Les cagoules, pourtant prohibées en maintien de l’ordre, restent systématiques.
Une pratique illégale massive, continue...
Les images de la manifestation du 6 février et les observations sur place du Comité établissent que les 36 agents de la BAC déployés ce jour-là étaient tous en infraction avec le règlement concernant l’un et l’autre élément de la tenue. Leur commandant, clairement identifiable grâce à son grade inscrit sur le dos, ne faisait pas exception. Le tout confère au maintien « de l’ordre » à la lyonnaise une touche franchement inquiétante. D’un côté, les cagoules privent les fonctionnaires de visage et suscitent la crainte. De l’autre, le cumul des deux pratiques permet aux fonctionnaires d’aménager leur anonymat, et si besoin leur impunité. Contacté ce lundi par le Comité, un officier du bureau lyonnais de l’IGPN reconnaît : « le port de la cagoule et l’absence de RIO, on les constate comme vous sur les images ou dans les procédures. Mais nous ne pouvons pas intervenir de façon générale, seulement sur des cas particuliers : nous sommes un service d’enquêtes judiciaires ». Pourtant, au-delà de comportements individuels, c’est la bienveillance de la hiérarchie qui interroge. Questionnée par le Comité sur la récurrence et désormais la systématisation de cette pratique, la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Rhône n’a pas répondu.
… et validée par la préfecture
Quant à lui, le service de communication de la préfecture s’est borné à répondre, ce mardi : « je ne peux pas commenter vos images du 6 février car je ne les ai pas vues ». En réalité, la hiérarchie ne peut pas ignorer le phénomène : non seulement la direction des opérations est sur le terrain (par exemple, au moins deux commissaires étaient devant le cortège au moment où la BAC a chargé le 6 février), mais le plus haut de la chaîne hiérarchique assiste en direct sur les écrans aux mouvements des policiers. Le Comité a pu se faire confirmer qu’il n’est pas rare que Patrick Chaudet, directeur départemental de la sécurité publique soit lui-même présent en salle de commandement où de grands écrans retransmettent en direct différentes prises de vue des événements. D’ailleurs, la préfecture a déjà été alertée. En février 2019, elle avait été questionnée sur le non port des brassards (et donc des matricules) par les fonctionnaires de la BAC devant le tribunal administratif. Dans son mémoire en défense, elle avait nié l’évidence, en estimant que « leur tenue et leur équipement répondent aux prescriptions réglementaires ». Une validation implicite de comportements illégaux.
Les policiers fautifs mis en première ligne
Le plus alarmant, c’est que le commandement et la préfecture continuent de mettre en avant la BAC dans leur dispositif de maintien « de l’ordre ». Après la médiatisation des blessures infligées à Arthur le 10 décembre, la BAC a pendant quelques semaines été privée de manifestations. Mais depuis le début de l’année, elle est remise au devant de la scène. Le 6 février est un cas d’école : les images montrent clairement que c’est la BAC qui est partie en tête de la charge injustifiée du cortège, alors que toutes les composantes spécialisées du maintien de l’ordre étaient également disponibles (gendarmes mobiles, CRS et agents en uniforme de la DDSP). Ce n’est pas tout. Plusieurs images prises lors de cette charge montrent un agent de la BAC qui ressemble très fortement à l’un des agents en cause dans les blessures infligées à Arthur le 10 décembre. La qualité de plusieurs photographies permet d’établir que cet agent porte les mêmes baskets « Nike » noires, les mêmes types de gants, le même gilet (avec une petite languette blanche sous l’inscription « police »), exactement le même pantalon (quatre coutures au genou, même ourlet, même couture sur la poche droite, même longueur). Il a la même taille, la même corpulence et son visage peut correspondre.
Un policier violent, désormais porteur de LBD ?
Ce policier, vu et photographié le 6 février, est porteur d’un LBD. Si c’est bien le même, ce qui est est plus que probable, il est pourtant auteur d’actes graves. Les films et prises de vues du 10 décembre montrent que ce fonctionnaire a subitement décidé de « se faire » un jeune manifestant qui passait simplement devant lui en applaudissant. Il attrape Arthur par ses vêtements pour le pousser sur ses collègues. C’est ensuite qu’Arthur recevra plusieurs coups de matraque, dont un qui lui cassera les dents. Quand bien même l’enquête judiciaire ne serait pas terminée, l’administration policière dispose de règles permettant d’écarter un agent au comportement problématique. Mais le Comité n’a même pas pu savoir si ce policier, comme ses complices ce jour-là, a été identifié formellement. La préfecture a refusé de « commenter une enquête judiciaire. Il faut vous tourner vers le parquet ». Mais ce dernier est aux abonnés absents. Contacté lundi soir par téléphone, Bernard Reynaud, procureur adjoint en charge de la plupart des dossiers de violences policières lyonnaises, a raccroché au nez du Comité avant même qu’il ait pu expliquer l’objet de son appel. Tout un symbole. Sollicités par courriel, les services du procureur de la République n’ont pas répondu.
Le Comité rappelle :
– qu’aux termes des articles R. 434-15 du Code de la sécurité intérieure et de l’arrêté du 24 décembre 2013, l’identification individuelle des forces de l’ordre est une obligation déontologique. Le « référent identité opérationnelle » ou « RIO » doit être systématiquement porté, y compris par les agents intervenant en civil ;
– que comme l’a rappelé récemment le Défenseur des droits (décision n°2019-299 du 110 décembre 2019), l’arrêté du 7 avril 2011 et la note du Directeur général de la police nationale du 22 février 2017 relative à la dissimulation du visage par le port de la cagoule n’incluent pas les services ou unités qui interviennent en maintien de l’ordre parmi ceux autorisés à intervenir le visage dissimulé.
– que pour la CEDH, l’absence d’identification des forces de l’ordre fait obstacle au bon déroulement de l’enquête et peut constituer une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants (CEDH, Hentschel et Stark c/ Allemagne, 9 novembre 2017). L’enquête sur des mauvais traitements infligés par la police « doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables » (CEDH, J.M. c/ France, 5 décembre 2019).
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