L’agression d’Arthur le 10 décembre 2019 a eu lieu en plein centre ville de Lyon, sous le regard des caméras, des passants… et des chefs de la police. C’est le nœud du scandale : 4 officiers étaient présents aux abords de la scène, aucun d’entre eux n’a dénoncé. Le soir des faits, Arthur tente de déposer plainte, en vain, par deux fois. Le lendemain, la direction de la police lyonnaise défend sa moralité auprès de l’AFP, affirmant « n’avoir à ce stade aucun élément sur les circonstances » des blessures. Pourtant, dans les rangs, et aux plus hauts étages, nombreux disposaient d’indices « graves ou concordants », selon la formule consacrée. A 14h05min42sec exactement, au moment où débute la scène de violences, les images enregistrées montrent que les 4 officiers sont tous à une dizaine de mètres, ou moins, de la scène.
Deux chefs de la BAC désinformés
Le commandant de la BAC de Lyon et son adjoint sont juste à l’extérieur du groupe compact de policiers sous leurs ordres. Rien n’indique qu’ils ont pu voir la scène, mais ils sont à une dizaine de mètres de là. Le commandant Pastor a été entendu par l’IGPN, qui lui demande : « Les effectifs placés sous votre autorité vous ont-ils rendu compte de ce qui s’était passé avec M. Naciri ? ». Réponse : « Non, et ça ne me satisfait pas ». Il précise : « toute cette scène s’est passée non loin du major de police O., que l’on voit sur l’une des deux vidéos […]. Il ne m’a pas fait remonter cette action ». Ce major n’a pas été entendu par l’IGPN dans le cadre de l’enquête judiciaire, pas plus que l’adjoint au chef de la BAC. Les 8 gradés de la brigade présents ce jour-là sont tous restés mutiques alors que la totalité de l’unité (46 agents) était groupée aux abords de la scène. Le commandant de la BAC charge un autre officier : « Il y avait à proximité le commandant B. […] Il a assisté aux faits directement, comme on le voit sur la vidéo. […] Il n’a pas fait remonter lui non plus cette information ».
Un commandant muet
Le commandant B. ne fait pas partie de la BAC. Il était responsable d’une « colonne » de 35 policiers de commissariats. Tout comme les chefs de la BAC, il était donc en liaison radio permanente avec le centre d’information et de commandement (CIC). Pendant les 6 premières secondes de l’agression, il est face à la scène, à quelques mètres. A la sixième seconde, Arthur est littéralement projeté sur lui au niveau des jambes. Effectivement, il est lui aussi resté silencieux. Pourquoi ? « A ce moment-là, j’ignorais qu’il avait les dents cassées et la mâchoire fracturée. Ils extraient un mec d’un cortège, c’est hyper banal. Je ne vois pas la pluie de coups », répond-il à l’IGPN. Lui aussi, il estime que faire remonter l’information revenait… aux autres. « Il y avait un chef de la colonne BAC. Cette intervention était le fait des fonctionnaires de la BAC et je n’ai pas autorité sur eux ». Pour chacun des officiers, c’est donc l’autre le fautif. En revanche, ils s’accordent sur le rôle de « TI 900 ».
Un commissaire menteur
« TI 900 », c’est l’indicatif radio du commissaire divisionnaire P., directeur du service d’ordre ce jour-là, et numéro 4 (chef d’état-major) de la police du Rhône. Lui aussi échange par radio lors de la manifestation. Ses subordonnés ne sont pas tendres avec lui. Le commandant B. relève sobrement que P. était « à proximité », justifiant ainsi son propre silence. Le chef de la BAC rappelle : « Il y avait le commissaire divisionnaire P., qui n’a pas non plus fait état de cette action ». Toujours devant l’IGPN, un autre fonctionnaire, le brigadier B., détaille : « J’ai vu [le commissaire] P. discuter avec [Arthur], donc je me suis dit que c’était bon ». Effectivement, comme le prouve une vidéo dévoilée par Flagrant déni il y plus d’un an, le commissaire P. recueille le témoignage d’Arthur, et celui d’une passante, 30 secondes après les faits. On entend le dialogue :
– Commissaire P. : Qui vous a fait ça ?
– Arthur, poussant des gémissements et la bouche en sang : Mais c’est eux là, c’est eux !
– La passante : Il s’est fait taper, il a rien fait, il marchait, il était en train de marcher il s’est fait éclater !
Les policiers de la BAC sont à moins de dix mètres derrière. Pourtant, entendu par l’IGPN, le commissaire P. déclare : « Sur le moment, je n’ai pas compris l’origine de ses blessures. Je n’ai fait aucun lien entre ses blessures et une opération de police. […]. Rien ne pouvait me laisser penser que les blessures de cet individu pouvaient être liées à une action de police ». Sa faute déontologique (manquement à l’obligation de rendre compte) se double donc d’un mensonge.
Une omerta institutionnalisée
Le problème, c’est que le « devoir de réaction » de l’institution, comme elle l’appelle joliment, c’est à dire les sanctions éventuelles, tardent à venir. Et si elles viennent, c’est dans l’obscurité la plus totale. Aujourd’hui, au matin du procès, tout le monde attend une réponse claire de la direction de la police nationale (DGPN) : les policiers agresseurs et ceux qui ne les ont pas dénoncés vont-ils être ou ont-ils été sanctionnés ? Ou bien l’institution valide-t-elle ces comportements ? En mars 2021, l’IGPN nous avait confirmé qu’une enquête administrative était en cours. Depuis, c’est le silence total (voir Méthodo). Comme la loi nous y autorise, nous demandons donc au ministre de l’Intérieur de rendre public le rapport d’inspection de l’IGPN dans cette affaire. Lyon est en droit de savoir si des policiers particulièrement agressifs continuent de travailler sur le terrain. Et si un commissaire menteur, promu depuis que ses mensonges ont été démasqués, est digne de diriger un pan entier de la police, y compris le service... « déontologie ». 1er avril, énième épisode judiciaire de l’affaire, fin de mandat présidentiel : la « blague » et la complaisance ont assez duré.
Méthodo
Sollicitée le 16 mars par courriel, l’IGPN a refusé de communiquer, renvoyant vers le service com’ de la police nationale. Ce dernier a bien accusé réception de notre courriel, mais ne nous a jamais répondu, malgré une relance. A l’exception d’une seule réponse de l’IGPN en mars 2021, toutes nos demandes de communication officielle sur cette affaire auprès des diverses autorités de police sont demeurées lettre morte. En revanche, suite à l’une de nos demandes de février 2020, nous avons fait l’objet de manœuvres d’intimidation, en provenance d’un ordinateur du ministère de l’Intérieur.
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