Sur les cinquante dernières années, 10 à 15 personnes décèdent chaque année du fait des forces de l’ordre. Dans la majorité des cas [3], la personne décédée était désarmée. On l’a dit et redit, ces morts ne sont jamais des bavures (le terme ne veut rien dire) mais le résultat de l’activité normale de la police. D’où leur insupportable régularité dans le temps.
Quand la police réprime un trouble, il lui arrive d’insulter, de s’énerver, de blesser, de mutiler et parfois de tuer. Les récents battage autour des violences policières pendant le mouvement contre la loi Travail ont fait découvrir à certains ce qui était une évidence pour d’autres : l’objet de la police est la défense coûte que coûte de l’ordre social, et pour ça, tous les coups sont permis. Ainsi l’état d’urgence, s’il accroît symboliquement les possibilités de l’impunité policière, ne vient que renforcer cette vérité connue de quiconque a déjà eu à faire à la police : cette dernière incarne l’exception au droit.
Jusqu’à présent, les règles qui autorisaient le tir à balles réelles n’étaient pas tout à fait les mêmes entre police et gendarmerie nationales. Ces derniers, militaires, avaient de ce fait des règles légèrement plus « libérales », en ce qui concerne l’utilisation de leurs armes, que celles des policiers. À la veille de l’élection présidentielle [4], le gouvernement se propose de mettre un terme à tout ça avec une « modification des conditions d’engagement pour les policiers » en le calquant sur celui de la gendarmerie. A l’avenir, en droit, le tir devient possible après sommation pour arrêter une personne récalcitrante et qui s’enfuit. En fait, en réalité, ce droit est déjà effectif : déjà en 1997 à Dammarie-les-Lys, un équipage de la BAC abat dans le dos le conducteur d’une voiture, Abdelkader Bouziane, qui refusait de s’arrêter. Le policier a bien sûr bénéficié d’un non-lieu.
En matière d’usage des armes, la situation sur le terrain ne devrait donc pas changer sensiblement. Les gendarmes sont déjà soumis à ce système et il n’y a pourtant pas une disparité notable en terme de morts par rapport aux policiers. C’est en fait une mesure essentiellement symbolique. En donnant le signal que les règles d’engagement sont assouplies, on réaffirme surtout le soutien moral et pénal de l’État à son bras armé. En ces temps où l’action de la police est régulièrement remise en cause, où le gendarme qui a tué à coup de grenade Rémi Fraisse sur la ZAD de Sivens fin 2014 [5] va sans doute bénéficier d’un non-lieu, le gouvernement fait le choix de la fuite en avant en encourageant les forces de l’ordre à poursuivre sur leur lancée. Décidément, la radicalisation est peut-être effectivement le phénomène politique le plus partagé du moment.
Les chiffres sont là. Dans les cas de morts impliquant des policiers sur les trente dernières années, seuls 30% des policiers meurtriers ont été condamnés à une peine et seulement 5% à de la prison ferme. Si ces meurtres ne sont pas reconnus comme tels et sont si peu punis, c’est que le système pénal reconnaît finalement ces épisodes comme des sortes de dommages collatéraux du fonctionnement normal de la police. Il faut noter que cette protection dont bénéficient les flics concerne aussi d’autres pratiques comme celles des éborgnements au flash-ball [6] ou à la grenade de désencerclement [7] par exemple.
L’accroissement du concept de « légitime défense » des policiers, y compris municipaux, correspond à l’aggravation de la qualification des atteintes aux fonctionnaires de police. L’attaque d’une voiture de police au cocktail molotov, quai de Valmy, le 18 mai 2016, ou celle réalisée à Viry-Châtillon, le 8 octobre 2016, ont été traitées comme des tentatives d’homicide. En dehors des peines de prison préventives que ce traitement suppose, cette configuration laisse imaginer qu’un policier pourrait engager son arme face à de simples cocktails « molotov ».
Le gouvernement montre au passage qu’il sait se montrer généreux avec ceux qui le protègent : il propose de glisser un petit cadeau aux fonctionnaires de police avec la réforme de l’outrage. Les juges, censés jusqu’alors représenter toute l’autorité de la Justice, bénéficiaient d’une protection en matière d’outrage symboliquement plus importante que les autres fonctionnaires, et donc de condamnations plus lourdes. L’outrage au policier devrait rejoindre le niveau de celui du juges histoire de pouvoir rappeler à tout le monde de pas broncher.
L’impunité policière a donc encore de beaux jours devant elle. En effet le délit d’outrage accompagne souvent les violences policières et sert de couverture (avec le délit de rébellion) aux agents les plus véhéments. En plus de ça c’est un bon moyen de faire plier les fortes têtes en faisant apparaître un délit là où il n’y en avait pas (des policiers arrivent et contrôlent quelqu’un, aucun délit n’est constaté, le ton monte et hop embarqué en garde-à-vue avec un outrage). On peut également soupçonner qu’il s’agisse d’un moyen utilisé par certains pour arrondir leurs fins de mois. Certains policiers sont ainsi coutumiers des salles d’audience. Au passage cette pratique de l’outrage [8] permet de faire progresser les statistiques : une affaire élucidée, une victime, un coupable.
Toutes ces vertus font de l’outrage un délit relativement courant en France avec un peu moins de 20.000 cas chaque année. C’est d’ailleurs un domaine où la police nationale s’est fait une spécialité : ce sont environ 13,2 millions d’euros contre 604.000 euros pour la gendarmerie qui sont affectés aux honoraires des avocats chargés de défendre les outragés. Pour un accusé, entre les amendes et les frais de justice, l’histoire représente souvent plusieurs mois de SMIC. Les peines de prisons avec sursis qui accompagnent régulièrement les condamnations financières constituent de leur coté un excellent moyen pour distiller la peur de la police et annihiler l’envie de se rebeller. C’est d’ailleurs pour cette raison que cet outil est si souvent mobilisé lors des mouvements sociaux. Il permet de faire peser sur quiconque l’ombre de la récidive et avec elle de la prison ferme : c’est le marquage au fer rouge du fait d’être « connu des services de police ».
La caisse de solidarité
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