D’abord il faut poser sans aucune ambiguïté que c’est l’État, et l’État seul qui pose le niveau de violence dans le mouvement social. En disant ça on ne nie pas que les prols soient capables d’être assez vénère pour avoir envie de tout pété. On souligne simplement que le déséquilibre des forces est tel que c’est bien l’État via sa police, qui impose le tempo. Ce fait n’est pas seulement important pour contrer les arguments de l’état qui tente de « décrédibiliser » les mouvements sociaux en insistant sur leur prétendue violence, mais aussi pour penser les tactiques de manifestation. Ceci est d’autant plus important que le mouvement social est actuellement plutôt faible et mal organiser laissant l’État totalement libre de ces choix en termes de maintien de l’ordre.
Nous en parlions dans un texte précédent, à partir du début des années 2000 le maintien de l’ordre est devenu une affaire de muscle. Ce processus est devenu clairement visible depuis le mandat socialiste et particulièrement le mouvement contre la loi travail. L’État s’est placé dans une logique de confrontation et de violence collective. C’est dans cette logique que les cortèges sont serrés de prêt par un dispositif policier souvent démesuré mais aussi que la moindre action policière fini par confronter des portions de cortège répartis sur plusieurs dizaines de mètres. Cette indistinction de l’action policière, et l’extrême violence dans laquelle elle s’inscrit vise d’une part à faire peur pour décourager de participer aux manifestations et d’autre part à soumettre les manifestant·e·s à des situations de stress intense qui produisent un délitement des solidarités.
Cette stratégie marche, les familles qui étaient nombreuses aux manifestations comme celle du premier mai sont désormais vues comme des exceptions, et il est devenu commun de voir des scènes de chaos où des manifestant·e·s, tou·te·s aussi impuissant·e·s, s’invectivent parfois jusqu’à la bagarre. Sauf quelques rares exceptions, l’expérience du manifestant·e est devenu celle du fétu de paille dans la tempête, baladé au gré des charges de police.
C’est dans ce contexte qu’il faut interroger notre pratique du bloc car si au début des années 2000 cette tactique à indubitablement permis d’obtenir des victoires (notamment dans le mouvement altermondialiste), depuis quelque année le bilan est au mieux mitigé. La manifestation du 14 juin 2016 à paris illustre bien ce phénomène. Si la tête du bloc a réussi profitant de l’effet de surprise à en faire voire de toutes les couleurs aux forces de l’ordre (et aux commerces qu’elles protégeaient) le long du parcours, le reste du bloc c’est quant à lui rapidement désagrégé sous la violence des assauts, laissant les trois quarts du cortège de tête et le début de la tête syndicale à la merci de la violence policière. Et finalement si le soir les médias ont pu donner l’impression d’une victoire tactique du bloc, c’est en ignorant que l’expérience de la plupart des manifestants ce jour-là a été de subir charge sur charge, gazage sur gazage sans pouvoir souffler suffisamment longtemps pour reprendre ses esprits.
À partir de ce contexte il y a deux remarques qui me paraissent importante l’une sur le plan tactique et l’autre sur le plan stratégique. Si la partie tactique est un simple rappel technique, la partie stratégique est beaucoup plus politique et par là polémique.
Le bloc est le plus souvent le fruit de l’agrégation de la volonté de tout un tas de petits groupes qui vont se fixer en un point. Cette nature composite assure une des forces du bloc, son caractère proprement ingouvernable, mais c’est aussi une des raisons de son manque de manœuvrabilité. À la différence des nuées, dont il possède la capacité de décomposition et de recomposition, le bloc est assez peu capable d’initiative à grande échelle. Il est à ce titre l’opposer des groupes de policier·e·s qui eux sont relativement peu mobile mais très facilement manœuvrable. C’est la logique du cortège pousser à son maximum. De ce fait, le bloc est avant tout une formation défensive. C’est une portion de cortège pensez pour assurer la défense et l’anonymat de ses membres. La présence de banderoles renforcées, le recours à des tenus relativement similaires sa densité : tous convergent pour assurer un couvert maximum dans les zones relativement dégagées que parcourt une manifestation. Mais comme toute formation défensive elle n’a de sens que si elle est capable de se développer sur un espace suffisamment large. Ce genre de formation, perds très rapidement son utilité une fois qu’elle est débordée par les forces adverses. Quelques banderoles renforcées derrière lesquelles s’entassent quelques dizaines de personnes ne font pas une formation défensive. Pire, elle supprime la capacité d’anonymisation et renforce au contraire la visibilité des éléments les plus radicaux/organisé. Sous sa forme folklorique le bloc est d’abord une manière d’être tricard.
Un bloc c’est une plateforme à partir de laquelle des groupes peuvent effectuer les actions qu’ils ont prévues. C’est une manière de permettre par l’effort collectif d’assurer la tranquillité d’esprit et la marge de manœuvre des manifestants. Ça faible manœuvrabilité devrait nous garder de chercher à réaliser des mouvements trop ambitieux. Amener les manifestants jusqu’aux endroits où ils ont prévu d’agir est ce pour quoi le bloc peut se montrer d’une efficacité redoutable.
Une fois ce rappel tactique posé : un bloc doit d’abord être organisé comme une structure défensive à partir de laquelle agir, rentrons dans le cœur du sujet. Un bloc pour faire quoi ? Et là bien sûr c’est un peu plus compliqué. D’abord par ce que la réponse sera par nature contextuelle, d’une manif à l’autre, les objectifs pertinents ne sont pas toujours les mêmes. Il serait idiot de prétendre répondre une fois pour toutes à cette question. Elle nécessite de réfléchir à qui sont nos ennemis et comment nous pouvons les atteindre, et ces réponses sont nécessairement variables en fonction de ceux qui y répondent. Il me semble pourtant que pour l’instant ces questions sont anecdotiques tant le bloc parvient de moins en moins a assuré sa fonction défensive minimale. De plus en plus souvent la ritualisation du bloc, sous une forme où il tient plus du symbole d’une révolte radicale que d’un élément tactique, entraîne son inutilité. La vision, parfois empreinte de virilisme, d’une révolte styliser fait oublier la pertinence au profit de la répétition. Pour nous en sortir il va falloir accepter de remettre en cause le fétichisme de la confrontation avec la police que nous avons renforcée depuis 2016 et qui nous enferme parfois dans des affrontements sans objet. La police c’est ce qui se dresse entre nous et nos ennemis, c’est les pions de la guerre de classe. À ce titre elle devrait retrouver la place qui est la sienne, celle d’un obstacle entre nous et nos objectifs.
Mais nous ne saurions accepter d’être laissé en échec, dans des situations où la police se sent légitime pour interdire une manif en cours de route [1]. Notre faiblesse n’est bien sûr pas la seule responsable, la violence militarisée de la répression policière est incontestable. Il faut que nous trouvions des solutions à ce problème. Ainsi il me semble important que les personnes qui se reconnaissent dans des formes de luttes par la base concentrent leurs efforts sur la défense des cortèges. Se donner l’objectif de reconquérir l’espace de la manifestation avant de prétendre être capable de nous projeter. Ça passe bien sûr par un renforcement de notre capacité collective à résister aux charges mais aussi à assurer la cohésion sous les pluies de gaz. Nous devons collectivement mettre fin au cycle de terreur entretenu par la police. Il faudra peut-être repenser la manière dont le bloc s’articule avec le reste du cortège. Trouver des moyens de déjouer la division entre les manifestants qu’entraîne la répression. Ce n’est pas dans un texte que nous ferons ça, il va falloir réussir à faire tout ça dans la rue, puisque c’est l’endroit où s’agrège notre force. Mais nous ne pouvons pas accepter que manifester continue à signifier être de la chair à matraque.
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