AUX PEUPLES D’OAXACA, AUX PEUPLES DU MEXIQUE, AUX PEUPLES DU MONDE
Aujourd’hui, après plus de deux cents jours, cela fait plus de six mois que le peuple d’Oaxaca lutte en permanence dans la rue, essuyant le feu ennemi des assassins et des voleurs menés par URO [1], d’un côté, et par le Yunque et Fox-Fécal [2], de l’autre. Leur Sainte Alliance s’est abattue de toutes ses forces sur le peuple de l’Oaxaca. Les six mois écoulés ont été très durs pour notre peuple, qui l’a payé de son sang : il y a des dizaines de personnes disparues, des centaines de prisonniers politiques et des centaines, si ce n’est des milliers, de personnes mutilées et blessées ; et ce sont d’innombrables familles, les plus pauvres, les plus marginalisées et les plus vulnérables, qui font les frais de cette grande lutte. Cette courte période a suffi à condamner toute une histoire de lutte des peuples de l’Oaxaca, du Mexique et du monde.
Après les défaites que nous avons fait subir à URO, à sa police, à ses escadrons de la mort, à ses « porros » (groupes de provocateurs d’extrême droite) et à ses policiers, et par la suite à la PFP, notamment lors des affrontements sur le pont Valerio Trujano et à l’Institut de technologie, le 20 octobre, et pendant la bataille de la Toussaint, aux abords de la cité universitaire, le 2 novembre, l’État n’a cessé de chercher à frapper notre mouvement, à l’anéantir. Mais l’ampleur de la solidarité au Mexique et sur le plan international a momentanément permis d’empêcher que l’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) et que le peuple d’Oaxaca ne soient victimes d’une agression à plus grande échelle. Cependant, à la mi-novembre, après l’écran de fumée qui a été levé autour de la mort du journaliste Will Bradley Rolland, l’État a déclenché une répression d’une violence et d’une intensité jamais vues auparavant dans l’Oaxaca, montrant de quoi il était capable le 20 novembre, et plus encore le 25 novembre dernier.
La bataille du 25 novembre fut empreinte de douleur pour notre peuple car même si l’arrivée de la PFP à Oaxaca s’était immédiatement accompagnée d’arrestations, d’incarcérations, de tortures et de disparitions, tous nos compañeros se voyant agressés, ce jour-là on a pu voir dans toute son horreur le plan du gouvernement pour écraser l’ensemble de notre mouvement. Après nous avoir poursuivis toute la nuit et avoir assassiné plusieurs de nos compañeros, sans que nous ayons retrouvé leurs cadavres à ce jour, les forces gouvernementales ont emprisonné des centaines de nos compañeros. Et le 26 novembre, le jour s’est levé sur une ville entièrement occupée par l’armée vêtue de gris, par les « porros », par les tueurs à gages et par tous les policiers au service d’Ulises Ruiz Ortiz. Un véritable état d’exception, le moindre quartier et la moindre rue étant surveillés par nos bourreaux, et depuis, les habitants des quartiers pauvres, les femmes au foyer en général et les travailleurs de notre ville n’ont pas pu circuler librement dans les rues d’Oaxaca, sous peine d’être arrêtés et poursuivis pour avoir commis le seul délit dont tous les habitants d’Oaxaca se sont rendus coupables : LA LUTTE POUR UN OAXACA LIBRE, DIGNE ET DÉMOCRATIQUE.
L’état d’exception instauré dans Oaxaca est l’un des plus féroces que l’humanité ait jamais connus. Non seulement nous sommes surveillés et persécutés par les agents en tenue, mais nous devons aussi affronter les paramilitaires, les « porros », les tueurs et les membres du PRI de nos différents quartiers, cités et communautés. Mais rien de tout cela ne parviendra à faire plier l’indomptable volonté de l’héroïque peuple d’Oaxaca.
AUX FAMILLES DE NOS COMPAÑEROS EMPRISONNÉS OU DISPARUS
Frères et sœurs, le sang de nos compañeros Andrés Santiago Cruz, Pedro Martínez Martínez, Octavio Martínez Martínez, Marcos García Tapia, José Jiménez Colmenares, Lorenzo Sampablo Salazar, Arcadio Fabián Hernández Santiago, des professeurs Pánfilo Hernández Vázquez et Emilio Alonso Fabián, et bien d’autres dont nous n’avons pas de nouvelles, a été versé, ils ont donné leur vie et ont baigné de leur sang cette terre qu’il nous incombe à tous de transformer en une terre juste, à l’image de celle dont ils ont tous rêvé, libérée de la pauvreté, de la marginalisation, affranchie du joug de l’oppression et de l’exploitation.
Vous tous qui ignorez encore tout comme nous le destin de vos parents, de ceux que nous avons déclarés disparus politiques, sachez que c’est Ulises Ruiz et son gang de malfaiteurs qui est responsable de la disparition de nos compañeros. L’État tout entier est responsable de ce qui a pu leur arriver, c’est pourquoi notre lutte ne peut s’achever, les coupables de ces disparitions doivent être châtiés et tous les disparus doivent être présentés vivants.
Nous savons que dans des centaines de foyers à Oaxaca, on ressent indignation, tristesse et honte, parce que plusieurs centaines de nos frères, de nos mères, de nos pères et de nos enfants ont été jetés en prison. Parce que beaucoup d’entre eux ont été sauvagement torturés. Parce qu’on les a emportés dans des terres lointaines comme au Nayarit, à Matamoros, au Tamaulipas ou dans l’État de Mexico, et qu’on les a traités comme les bandits les plus dangereux. Nous, nous savons qu’il n’en est rien et qu’en tout cas, ceux qui devraient garnir les prisons, ce sont ceux qui voudraient aujourd’hui nous gouverner, eux qui ont violé toutes les libertés individuelles garanties par la Constitution, tous les droits élémentaires dont jouit tout être humain, et qui ont accaparé toutes les ressources économiques, naturelles et culturelles du peuple. Ulises Ruiz Ortiz et son gang, les patrons qui le soutiennent, le Yunque et le gouvernement fédéral, ils ont tous commis DES CRIMES DE LÈSE-HUMANITÉ. C’est eux qui devraient remplir les geôles. Nos compañeros doivent recouvrer la liberté et tant que nous n’obtiendrons pas leur libération, leurs familles et le peuple de l’Oaxaca, ensemble, doivent continuer le combat.
AUX MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES DE L’OAXACA ET AU PEUPLE D’OAXACA
Dès le 20 juin dernier, entamant la construction de ce grand instrument de lutte et d’insurrection, en vue de l’instauration du pouvoir populaire dans ce petit morceau de notre patrie, nous nous sommes engagés à mener la lutte jusqu’au bout, ce que nous avons ratifié lors du grand congrès constitutif de notre Assemblée, qui s’est tenu les 10, 11, 12, 13 et 14 novembre 2006, et plus encore pendant toute cette période si brève où nous avons tous pu voir grandir de manière extraordinaire nos forces. Nous avons étendu nos tentacules dans plusieurs endroits au Mexique et dans le monde, répandant aux quatre vents la nouvelle que la lutte que mène ce peuple qui est le nôtre ne se fait pas seulement pour obtenir la chute d’un tyran, mais que nous sommes convaincus que là où roulera la tête d’Ulises Ruiz Ortiz et là où tombera son cadavre, il nous appartient de construire cette nouvelle société que nous voulons, sans exploités ni opprimés, et que pour y parvenir, il faut une profonde transformation de l’économie, des institutions politiques de notre État et de nouvelles lois. Bref, nous avons besoin d’une nouvelle assemblée constituante qui dicte une nouvelle Constitution, pour pouvoir construire un État d’Oaxaca véritablement libre et souverain.
PEUPLE D’OAXACA, le tyran n’a pas encore été renversé et nous sommes encore très loin d’avoir pu construire un État d’Oaxaca véritablement libre et souverain, mais que rien ni personne ne fasse plier notre volonté, rien ni personne ne va nous enlever le droit légitime de choisir notre propre destin. De grandes tâches nous attendent, nous devons continuer à consolider l’APPO en tant que seule organisation qui puisse nous aider à réaliser les aspirations les plus pures et les plus justes des oaxaquiens. Consolider l’APPO dans chaque quartier, chaque cité et chaque communauté continue d’être une des tâches les plus importantes pour atteindre ce but.
Renforcer l’APPO signifie qu’il nous faut améliorer notre organisation à tous les niveaux, prendre soin et protéger les meilleurs cadres que nous ait donnés Oaxaca. Ils se comptent par milliers aujourd’hui et ils ont démontré une authentique capacité et détermination. Assurer leur sécurité à tous, c’est garantir la poursuite de notre lutte. À l’heure où le fascisme veut s’imposer coûte que coûte sur nos terres, une totale unité est plus que jamais nécessaire au sein de l’APPO. Nous devons resserrer les rangs face à l’État qui cherche à nous diviser pour nous frapper plus fort, chose qu’il faut empêcher à tout prix. Nous devons au contraire mobiliser toutes nos forces contre les bourreaux de notre peuple, luttons contre eux sans trêve, faisons de l’APPO un seul homme pour la rendre plus forte, ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons jusqu’au bout.
AUX PEUPLES DU MEXIQUE ET DU MONDE
Dans le monde entier, les capitalistes assistent à la décomposition de leur système, car chaque jour la crise du capital est plus aiguë et pour survivre, ils en sont réduits à déclencher des guerres de pillage, comme ils l’ont fait en Irak, en Afghanistan, en Palestine et au Liban. Une fois encore, les grands empires veulent une nouvelle répartition du monde. L’impérialisme, en tant que système qui a servi à l’enrichissement d’un petit nombre de maîtres de l’argent et du pouvoir et à sucer le sang et la sueur de millions de pauvres dans le monde entier, s’épuise.
Au Mexique aussi, dans le cadre de cette crise généralisée, ceux qui pensaient pouvoir régner longtemps encore en maîtres absolus sur notre pays voient aujourd’hui fondre entre leurs mains toute l’histoire du capital au Mexique, ses institutions, ses lois, le contrôle désormais impossible qu’il exerce sur la vie économique, sociale et culturelle, et ils font tout ce qu’ils peuvent pour se maintenir au pouvoir, violant partout les lois de la Constitution, employant sans retenue toute la force de leur armée et de leur police pour résoudre les problèmes politiques et sociaux, jetant en prison tous les opposants, violant les droits humains les plus élémentaires. À peine parvenu au pouvoir, Felipe Calderón a montré les crocs avec lesquels il pense gouverner le pays, à la manière de l’extrême droite la plus réactionnaire, comme le Yunque, au lieu de chercher à résoudre véritablement la misère, la famine et la marginalisation dont souffrent des millions de Mexicains. Mais non, la première chose qu’il a faite, c’est de réduire les dépenses des services de santé et d’éducation et toutes les autres dépenses sociales, pour augmenter la solde des militaires.
PEUPLE DU MEXIQUE, devant une telle situation, si le système impérialiste cesse de fonctionner pour les puissants de ce pays, cela signifie que le moment est venu pour les millions de travailleurs de la campagne et de la ville de construire le Mexique d’en bas. Pour y parvenir, nous devons joindre tous nos efforts d’unité et de lutte en un FRONT UNIQUE contre le capitalisme et l’extrême droite, remplacer les anciennes lois par de nouvelles lois véritablement au service du peuple mexicain. C’est pourquoi la création d’une NOUVELLE ASSEMBLÉE CONSTITUANTE en vue d’élaborer une NOUVELLE CONSTITUTION est une des tâches les plus urgentes pour l’ensemble des Mexicains. Le peuple d’Oaxaca et l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca vous appellent donc très humblement et fraternellement à avancer tous ensemble sur cette voie. Le moment décisif approche, les heures, les jours décisifs. C’est notre tour, c’est au tour de tous les travailleurs des campagnes et des villes. CONSTRUISONS DES ASSEMBLÉES POPULAIRES DANS CHACUN DES ÉTATS DE LA RÉPUBLIQUE, CONSTRUISONS L’ASSEMBLÉE NATIONALE DES PEUPLES DU MEXIQUE.
PEUPLES DU MONDE, nous voulons que vous sachiez aussi que la lutte que nous menons dans ce petit morceau de notre planète qui s’appelle Oaxaca est votre lutte aussi, comme le sont celles de nombreux autres peuples au Moyen-Orient, en Europe, en Amérique latine, comme le sont celles des émigrants aux États-Unis et de bien d’autres encore. C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de resserrer les liens d’unité et de solidarité entre nos luttes. Avec votre aide à tous, nous allons stopper la répression et le fascisme que l’on veut imposer à Oaxaca et au Mexique. Nous vous demandons de continuer les mobilisations de solidarité avec les peuples d’Oaxaca dans le monde entier, il n’y a que de cette manière que l’on réussira à briser le siège de l’extrême droite et du fascisme.
À TOUS LES INTELLECTUELS, TOUS LES ARTISTES, TOUS LES MEMBRES ÉMINENTS DE LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE ET AUTRES, TOUTES LES ONG
Nous vous appelons à poursuivre et à multiplier vos actions pour divulguer les graves violations des droits élémentaires des personnes dont est victime notre peuple et en particulier la situation de nos prisonniers et de nos disparus. Pour le peuple de l’Oaxaca, vous avez joué un rôle crucial pour briser le blocus de l’information avec lequel l’État voudrait occulter la situation à Oaxaca. Nous vous demandons d’aller voir nos prisonniers et de dénoncer la disparition de beaucoup de nos frères oaxaquiens.
Nous lançons un salut combatif aux actions qui ont été appelées pour le 22 décembre prochain par l’Armée zapatiste de libération nationale dans le cadre de l’anniversaire du massacre perpétré contre nos frères à Actéal, au Chiapas, et nous appelons à multiplier ces actions de solidarité avec les peuples d’Oaxaca.
POUR UN ÉTAT D’OAXACA VÉRITABLEMENT LIBRE ET SOUVERAIN ! LE FASCISME NE PASSERA PAS À OAXACA ! VIVE LE PEUPLE D’OAXACA !
TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE !
ASSEMBLÉE POPULAIRE DES PEUPLES D’OAXACA
15 Décembre 2006, ville de la Résistance, Oaxaca de Juárez, Oaxaca.
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