Prudent, le Code de procédure pénale prévoit que « les procès-verbaux et les rapports » de police ne valent « qu’à titre de simples renseignements » (article 430). Pourtant, la pratique judiciaire a érigé la parole policière en véritable parole d’évangile : en cas de face à face entre un représentant des forces de l’ordre et un simple justiciable, ce dernier est sûr de perdre… à moins de disposer de preuves. Or c’est un symptôme qui est apparu de façon massive ces dernières années dans de multiples affaires de violences policières : lorsqu’une vidéo est produite, des mensonges policiers apparaissent presque systématiquement.
Chaque année, des dizaines de policiers poursuivis pour mensonge
Deux exemples récents : le 3 janvier 2020 à Paris, Cédric Chouviat décède suite à un contrôle routier effectué par quatre policiers. Les policiers affirmeront ne pas avoir entendu les plaintes de la victime, annonçant qu’elle étouffait. L’un des policiers indiquera ne pas avoir participé au mouvement amenant Cédric au sol – des affirmations qui seront bien vite démenties par les vidéos de la scène. Le 21 novembre 2020, Michel Zecler est agressé par quatre policiers à l’entrée de son studio de musique parisien. Les agresseurs indiquent sur leur PV que la victime les a frappés et a tenté de subtiliser leur arme. Des allégations qui seront également contredites par les vidéos.
D’après son rapport d’activités 2019, l’IGPN traite moins du tiers des manquements déontologiques de la police : la plupart d’entre eux font l’objet d’enquêtes par d’autres services internes à la police. Or à elle seule en 2019, l’IGPN a constaté 88 cas de mensonge, soit par omission (« manquement à l’obligation de rendre compte ») soit par fausse rédaction d’un acte. On pourrait donc estimer le nombre de mensonges policiers avérés à au moins 250 par an. Pour combien de menteurs qui passent à travers les mailles du filet ?
Tabassage d’Arthur : le mensonge au plus haut de l’échelle
Le mensonge révélé aujourd’hui par le Comité est d’une nature toute particulière, due à la gravité des faits en cause (le tabassage gratuit d’un jeune homme par la BAC), mais aussi à l’auteur du mensonge : le chef d’état-major (n°4) de la police lyonnaise. Le Comité a déjà raconté ici que quarante secondes après son agression, Arthur rencontrait ce chef en personne. Sur une vidéo rendue publique par le Comité en décembre dernier, on entend le policier (reconnaissable à son grade et son visage, photographié dans la presse) demander à Arthur : « Qui vous a fait ça ? ». Arthur tend sa main droite et sa tête ensanglantées en direction des policiers de la BAC (hors champ) et répond : « Mais là, c’est eux là, c’est eux ». Une femme à côté d’Arthur enchaîne aussitôt : « il s’est fait taper, il a rien fait, il marchait, il était en train de marcher ». Les policiers en question sont à moins de dix mètres.
Voir ici la vidéo qui illustre le mensonge
Fait ahurissant, alors même que l’affaire était déjà sortie dans la presse, la DDSP du Rhône continuait, le lendemain des faits, de nier l’implication de policiers. Elle répondait à l’AFP « n’avoir à ce stade aucun élément sur les circonstances » des blessures d’Arthur. Au passage, elle croyait bon de préciser qu’ « aucune plainte n’a encore été déposée ». En effet, les deux tentatives d’Arthur, auprès du commissariat du 8e puis de la gendarmerie, s’étaient soldées par des refus... Il aura fallu la publication des images pour que la justice se mette en marche. L’omerta de la chaîne de commandement dénoncée il y a déjà trois mois par le Comité, est en soi problématique : l’article 40 du Code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire qui « acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit » d’en « donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». C’est peu dire que la hiérarchie policière a bafoué ses obligations légales.
Silence fautif du chef d’état-major
Concrètement, quels rouages de la machine policière ont fait obstacle à la vérité ? La réponse est (au moins en partie) dans le dossier d’enquête de l’IGPN. Et l’omerta prend un visage. Entendu en février 2020 (deux mois après les faits), le chef d’état-major de la DDSP reconnaît ne pas avoir rendu compte de l’incident par radio, arguant que « le réseau radio [était] très encombré » et qu’il n’avait « aucun élément précis à donner à la station directrice ». Lors de l’audition, l’IGPN rappelait pourtant au chef d’état-major la teneur d’une note interne organisant le service d’ordre de la manifestation, qui précisait : « chaque effectif engagé sur cet événement avisera la CIC [le centre de commandement] » de « tout incident » et « appliquera leurs instructions ». Cette simple omission est donc susceptible de valoir au chef d’état-major des poursuites disciplinaires. Mais cette omission se double d’un mensonge, grâce auquel l’intéressé espérait peut-être échapper à des poursuites. Il affirme, toujours à l’IGPN : « Sur le moment, je n’ai pas compris l’origine de ses blessures. Je n’ai fait aucun lien entre ses blessures et une opération de police. […]. Rien ne pouvait me laisser penser que les blessures de cet individu pouvaient être liées à une action de police ». Des paroles durement contredites par la vidéo rendue publique par le Comité.
Un menteur en charge du « pôle déontologie » de la police lyonnaise
Ce mensonge est aggravé par l’échelle hiérarchique de l’intéressé : à ce niveau, il est bien difficile de distinguer le personnage de l’institution. Au moment des faits, il venait de prendre son poste en tant chef d’état-major, en septembre 2019. Auparavant directeur adjoint de la police de l’Isère, il est aussi un habitué de la police lyonnaise – et particulièrement de l’unité en cause dans les blessures d’Arthur : de 2011 à 2015 il était responsable du service d’ordre public de Lyon, et donc supérieur direct des policiers de la BAC. Mais c’est surtout les attributs de sa fonction qui posent problème : en tant que chef d’état-major, il est le supérieur hiérarchique du « PCDD », le Pôle commandement discipline et déontologie. Ce service, chargé (comme l’IGPN) des enquêtes internes et dirigé par une commandante, fait partie intégrante de l’état-major, qui gère la politique d’emploi des effectifs et la « tactique opérationnelle ».
Omerta institutionnalisée
Ni le chef d’état-major, ni la préfecture du Rhône, ni la DDSP, ni même l’IGPN n’ont répondu à nos questions. Début décembre, l’IGPN avait affirmé au Comité que « s’agissant de faits graves, l’administration a ouvert, en vertu de son devoir de réaction, une enquête administrative confiée à la délégation de l’IGPN à Lyon, toujours en cours, et qui devrait se conclure très prochainement afin de déterminer si des manquements ont été commis ». Dans la foulée, le Comité avait rendu public le dialogue entre le chef d’état-major et Arthur, capté par une vidéo. Ce document a par ailleurs été versé au dossier de procédure pénale par l’avocat d’Arthur. Depuis trois mois, l’IGPN et la DDSP ont donc toutes les clefs en mains pour démasquer et sanctionner l’auteur du mensonge. Or, rien ne semble avoir été fait. L’année 2020 a connu de nombreux départs à la tête de la DDSP du Rhône : le directeur Patrick Chaudet est parti à la retraite, et son adjoint Jacques-Antoine Sourice a rejoint Interpol. Le chef d’état-major lui, est encore à son poste. Celui d’un gardien des « bonnes mœurs » de la police ?
Lire ici le péché capital #1 - La violence policière érigée en doctrine
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