Premier assaut du Mont Verdun : 30 janvier 1971
A défaut d’en empêcher la réalisation, le groupe informel lyonnais GARM (Groupe d’Action et de Résistance à la Militarisation) décidait de faire savoir aux Lyonnais qu’un haut-lieu de l’armement atomique était en construction à deux pas de chez eux. Yvon Montignié, qui faisait partie de ce groupe, avec Jean-Pierre Lanvin et d’autres, raconte : « Nous refusions ce que nous appelions à l’époque "l’escalade de la terreur". Nos armes, au GARM, n’étaient pas exactement celles de l’armée : imagination, audace, non-violence, communication. Les "coups" étaient toujours assumés par leurs auteurs à visage découvert, à une époque où commençaient à surgir des groupes basés sur le secret, la violence et où régnait une certaine paranoïa.
Donc, dans la nuit du 30 au 31 janvier 1971, nous sommes douze à pénétrer en douce à l’intérieur du PC atomique du Mont Verdun, situé sur la commune de Poleymieu-au-Mont-d’Or. Juchés sur de grandes échelles, nous écrivons sur les parois en gros caractères : "Non à la bombe" ou "Lyon, ni Pentagone, ni Hiroshima". Nous avons parcouru des kilomètres de galeries souterraines en cours d’aménagement, qui courent à quelques cent mètres de profondeur sous le Mont Verdun, et atteint l’immense salle des générateurs électriques, la salle des écrans radars, l’électronique et la salle de commandement, qui commencent à recevoir leurs premiers équipements.
Dans l’après-midi, d’autres militants diffusent des tracts dans le centre-ville, et même au Parc de la Tête d’Or, pour faire connaître à la population lyonnaise l’existence de la construction de ce PC atomique tout près de Lyon et l’occupation de ce lieu qui venait de se passer.
Le surlendemain, France-soir publiait en "une" une photo que nous avions prise de notre envahissement par l’échelle des galeries du PC atomique. Nous serons condamnés quelques mois plus tard à payer des amendes, au terme d’un procès qui nous servira de "tribune" pour dénoncer une nouvelle fois la force de frappe.
Suite des actions au Mont Verdun dans l’année 1971
Le défilé derrière la banderole
L’armée, ne pouvant plus se cacher, décide, quinze jours après notre « visite », de reprendre l’initiative et elle organise à Limonest une cérémonie expiatoire, avec le sens de l’imagination qu’on lui connaît : défilé militaire, remise de décorations, dépôt de gerbe, brochettes de généraux, appel à la population. Comme le Garm fait partie de la population il décide de s’inviter avec une équipe d’une cinquantaine de personnes.
Le défilé commence à défiler. Catastrophe, une bande d’énergumènes grimpent sur les chars et les automitrailleuses, distribuant aux troufions de la documentation sur l’armée « nucléaire ». Les gendarmes escaladent les blindés pour arrêter la désinformation. Pendant ce temps-là, deux effrontés se glissent entre les porteurs de drapeaux et la fanfare militaire, en tête du défilé, barrant la route avec leur banderole « PC atomique du Mont Verdun - Y’a pas de quoi pavoiser. » Ce qu’il y a de rassurant avec l’armée, c’est que chacun y a un rôle, pas de place pour l’imprévu. Et la banderole suit son bonhomme de chemin jusque devant l’estrade des officiels. Les troufions musiciens n’arrivent plus à jouer tellement ils sont pliés de rire à défiler derrière une banderole anti-militariste. Comme rien n’est plus dévastateur que le rire, nous nous en sortirons sans suite.
La fête de la paix
Cette fois, nous décidons de manifester, en nombre, notre opposition à l’abomination atomique. Le samedi 19 juin 1971, c’est donc « la fête de la paix » ou « la fête du Mont Verdun ». Le propriétaire d’un immense champ nous reçoit dans son château et accepte de mettre gratuitement le terrain à notre disposition. Jean-Pierre Lanvin contacte Théodore Monod qui conduira la marche du centre ville jusqu’au site de la fête : environ 5000 personnes font les quelque douze kilomètres à pied jusqu’au sommet. (Ce même jour, un convoi d’environ quatre cent voitures fait tout le tour de Lyon, à l’allure de l’escargot, en distribuant des tracts, pour s’opposer à la construction d’un hypermarché à St Genis-Laval, à la réduction des espaces publics à St Rambert et ensuite, les personnes de cette manif roulante rejoignent à pied les marcheurs pour s’opposer au PC atomique du Mont Verdun.)
La fête fut grandiose, et antimilitariste. Cette fête énorme, musicale, théâtrale, joyeuse et pacifique permet la rencontre, la naissance de projets sur Lyon et dure jusqu’au petit matin. L’ambiance est un peu Woodstock. Jean Dasté et ses masques, Henri Gougaud et combien d’autres artistes, et mêmes des groupes de musique non prévus au programme se bousculent sur la scène. Les militaires sont à cent et quelques mètres sous nos pieds, atteints peut-être par les pacifiques décibels, prêts à toute éventualité. Mais que dire ? Le terrain est privé et le propriétaire a autorisé cette fête.
Le cheval de frise
Malgré nos efforts, le chantier avance. Bientôt les équipements sont en place et en cours de réception. Portes blindées, postes de garde militaires, chevaux de frise sur les voies d’accès interdisent maintenant l’approche. Une nuit, quelques militants du Garm vont dérober un cheval de frise et des panneaux d’interdiction de photographier ou d’entrer. Tout cela sera ressorti le 29 octobre 1971, pour barrer la route du ministre de la défense, Michel Debré, lors d’une visite officielle à Lyon, en plein centre-ville, un beau samedi bien populeux. Consciente du ridicule de la situation, l’armée refusera de reconnaître la propriété du matériel !
Le style humoristique ou festif des actions provoque la sympathie. C’est ainsi qu’un travailleur du chantier souterrain du Mont Verdun nous fait parvenir son laisser-passer au site, estimant sans doute que ce document pourrait nous être utile.
Dans un premier temps, un militant se propose d’aller tester le sésame. Muni d’un appareil photo, il passe un matin les barrières, croise des gradés. En toute discrétion et impunité, il fait des repérages d’itinéraire, se retrouve au coeur du PC. Et prend sur place, deux rouleaux de pellicules d’un des lieux les plus secrets de l’armée. A son retour, il remet sa moisson au bureau de l’Agence France-Presse.
Deuxième assaut le 30 janvier 1972
Comme la date anniversaire de notre "visite" approche, nous décidons de risquer collectivement et ouvertement, une nouvelle opération d’occupation. Nous décidons d’entrer à nouveau dans le PC atomique du Mont Verdun pour dénoncer le scandale des milliards engloutis à deux cents mètres sous terre, alors que manquent cruellement partout en France les équipements socio-culturels, et que les pays du Tiers-Monde n’ont même pas de quoi nourrir leur population.
Jean-Pierre Lanvin est volontaire avec neuf autres militants du GARM. Préparation minutieuse. Un laborieux dimanche de janvier, quelques "faussaires" munis de loupe, pinceaux, bics, s’appliquent sur les mauvaises photocopies du fameux laisser-passer et leur donnent une nouvelle jeunesse. Les photos des militants décidés à tenter l’aventure sont agrafées.
Au petit matin du 30 janvier 1972, nous franchissons sans encombre le poste de garde, les fausses identités soigneusement vérifiées. Nous suivons ou croisons civils et militaires qui parcourent les souterrains, jusqu’à leur poste de travail. L’un d’entre nous commente sur un magnéto la subversive progression. Objectif : le poste central de commandement. Environ 700 ou 800 mètres de souterrains, l’immense salle des générateurs, la salle de contrôle radars, l’ordinateur central - à l’époque assez volumineux pour occuper toute une salle - et enfin le poste de commandement (salle W). Nous sommes dans une zone "top secret" qualifiée par le Progrès comme "INVULNÉRABLE".
Personne. Il n’est pas encore huit heures du matin. Nous nous installons dans les confortables fauteuils, déployons la large banderole "Non au PC atomique du Mont Verdun" "Non aux ventes d’armes", prenons quelques photos souvenir, cassons une petite crôute et attendons... Sauf pour l’un d’entre nous qui ressort, muni des pellicules et de la cassette, rejoindre un journaliste averti de l’opération, qui attend à la sortie.
Peu après, un militaire arrive en sifflotant. Le spectacle de ces sept individus rigolards sous la banderole lui coupe le sifflet. Complètement stupéfait, il ne dit mot, fait demi-tour pour rendre compte de cette situation incongrue : "J’ai vu des martiens, non le GARM, au coeur du dispositif." On imagine. Branle-bas de combat. La gendarmerie au bout d’un moment nous invite à faire le chemin inverse, ce que nous faisons, bien encadrés, banderole déployée, en chantant des chansons antimilitaristes, au grand ébahissement des usagers qui se pressent le long des galeries pour saluer cet étrange défilé.
A l’extérieur, nous sommes enfermés dans un bungalow de la gendarmerie, pendant qu’ils tentent de rechercher le moyen par lequel nous avons pénétré. Tout est ausculté : grilles, gaines de ventilation etc... Pourtant nous avions aimablement averti les gendarmes : "pour savoir pourquoi et comment nous sommes entrés, branchez-vous à midi sur Europe n°1". Chose promise, chose dûe. Notre compagnon "évadé" passait en interview à midi sur la radio pour raconter l’incroyable histoire. Finalement nous sommes libérés peu après. Cette fois encore, l’armée, connaissant les habitudes du groupe à rebondir sur les procès, ne donne aucune suite. Seul, le colonel commandant le site est muté, mais pas promu.
L’armée redoutait notre manie des anniversaires. Les derniers jours de janvier 1973, les souterrains du Mont Verdun sont bourrés de CRS dans l’attente d’une nouvelle opération. Mais nous n’étions pas au rendez-vous : nous avions oublié de noter la date ! »
Source : carnets de route de Jean-Pierre Lanvin A Dieu vat (CDRPC - Lyon 1999) mis en page par Christiane Lasserre
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info