C’est un aspect bien connu des trous noirs : la lumière y disparaît, emprisonnée, détruite. La plupart de ces trous noirs se trouvent très loin de notre planète, à des milliers d’années-lumière. Mais il en est un qui se trouve particulièrement proche de nous. Ce trou noir, c’est celui qui aspire méthodiquement, année après année, la réalité statistique des violences commises par la police. Le Comité contre la torture de l’ONU s’en était déjà ému, pointant « l’absence de données statistiques sur les plaintes » qui permettraient de comparer ces plaintes aux poursuites effectivement engagées, et aux condamnations finalement prononcées contre les agents de police.
L’enclume de l’opacité, le marteau de l’impunité
C’était il y a presque dix ans. Que s’est-il passé depuis ? Rien, ou presque. A l’occasion de l’examen de la France prévu les 23 et 24 octobre, l’ONU a de nouveau questionné le gouvernement, qui répond de façon toujours aussi floue. Comme à l’accoutumée, ce dernier brandit les chiffres de l’IGPN (pour la Police nationale) et de l’IGGN (pour les gendarmes). Mais ces chiffres s’avèrent particulièrement lacunaires, en particulier côté Police. D’une part, les statistiques présentées par le gouvernement ne concernent que les dossiers traités par l’IGPN, qui indique ne traiter qu’une partie du contentieux. Or, comme Flagrant déni l’a déjà rappelé, l’IGPN concède elle-même ne traiter qu’une faible partie des enquêtes judiciaires : de l’ordre de 10%, indiquait son rapport 2021.
L’autre problème, c’est que les indices parcellaires que l’on peut (péniblement) rassembler à force d’éplucher les publications officielles sont très inquiétants. Flagrant déni est parvenue à croiser deux séries de données communiquées par le gouvernement sur la période 2016-2018 (voir notre note au Comité des droits humains de l’ONU). Il en ressort que dans la moitié des cas, les enquêtes judiciaires déclenchées pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique n’arrivent même pas à identifier les auteurs. Le peu d’empressement du ministère à faire respecter les règles sur le port du matricule et l’interdiction des cagoules semble donc bel et bien porter son fruit : l’impunité.
En outre, selon les données disponibles, la part de « cold case » policiers, ces dossiers non résolus, ne cesse d’augmenter. Malheureusement, aucun service prestigieux ne rouvre ces enquêtes : les victimes repartent avec leurs classements sans suite, fin de l’histoire. Au total, sur la période 2016-2018, la part de poursuites pénales de policiers et gendarmes tend à baisser, alors que le nombre d’enquêtes augmente fortement. Les chiffres plus récents demeurent malheureusement inconnus.
Effondrement des sanctions sous Macron
Plus de violences, moins de sanctions : c’est aussi le phénomène observé du côté de la discipline interne à la police. Une enquête de Libération était parvenue à reconstituer la série statistique des sanctions prononcées par l’institution sur la période 2011-2021. La conclusion est effroyable : tous les types de sanctions (du blâme à l’exclusion définitive) se sont brutalement effondrés après 2018 et le début du mouvement des Gilets jaunes. Jusqu’en 2017, on compte une centaine de sanctions par an (parfois plus, parfois un peu moins). A partir de 2018, ce chiffre tombe à 20 ou 30 par an. Les « vraies » sanctions (exclusions temporaires ou définitives) ne sont presque plus jamais prononcées.
Aucune transparence publique sur le contentieux mettant en cause la police française ; des plaintes souvent classées sans suites, et des auteurs des faits mystérieusement introuvables ; une police plus violente mais moins condamnée. Et le sentiment tenace qu’Emmanuel Macron monnaye la paix sociale au prix exorbitant de l’impunité policière. Dans la seconde partie de la note que nous avons adressée au Comité des droits humains de l’ONU, nous alertons l’organe international sur cette situation préoccupante, sur laquelle le gouvernement français fait preuve d’une pudeur tout à fait inhabituelle. Si le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, souhaite désormais « rétablir l’ordre », il a déjà de quoi balayer devant sa porte – et même chez lui.
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