Sonya, éborgnée sans suite

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Victime de violences policières à Montélimar en mars 2023, Sonya a déposé plainte. Mais un an et demie plus tard, elle n’a aucune nouvelle. Personne n’a entendu son témoignage, et son signalement à l’IGPN a fini à la poubelle. En septembre, elle vient de saisir un juge d’instruction pour tenter de réveiller la justice.

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ILLUSTRATION DE VALFRET / COMME LE VENT

Les faits se déroulent le 22 mars 2023 dans le quartier du Plan à Montélimar (Drôme), vers 10 heures du matin. Avec une amie, Sonya, la quarantaine, revient de courses et se gare sur le parking en bas de chez elle. C’est alors qu’elle aperçoit des policiers qui sont en train de contrôler ses deux fils. Elle raconte :

« Je suis arrivée, il y avait des voitures de la municipale, de la police nationale, je leur ai dit : “vous en avez pas marre de nous harceler ?” J’étais en colère. Une policière municipale m’a gazée. Je me suis éloignée, et comme ils avaient mis l’un de mes fils dans la voiture et qu’ils essayaient de menotter l’autre, je suis retournée vers eux, pour leur demander pourquoi ils les embarquaient. En face de moi il y avait une femme de la police nationale en uniforme, une policière blonde, elle m’a poussée et elle m’a mis un coup à la tête avec sa gazeuse. Je n’étais pas menaçante, je connais la loi, je sais comment ils fonctionnent. Je m’étais juste approchée pour demander des explications ».

Une voisine, qui a observé la scène depuis son balcon, et l’amie avec laquelle Sonya revenait de courses, ont témoigné par le biais d’attestations transmises à la justice. Elles confirment toutes deux ce récit. L’amie poursuit : « [Sonya] est tombée par terre, elle saignait beaucoup de l’œil et était en train de s’évanouir. J’ai appelé les pompiers, je lui ai donné de l’eau et du sucre, pendant que la police continuait son altercation avec ses enfants […]. Si je n’avais pas été là, personne n’aurait appelé les pompiers ». La voisine au balcon confirme, là encore.

Justice à deux vitesses

Sonya est transportée par les pompiers aux urgences de Montélimar, puis à l’hôpital de Valence puis, vu la complexité et la gravité de ses blessures, à l’hôpital de Grenoble. Elle subit plusieurs opérations, du 22 au 27 mars. Les documents médicaux, que Flagrant déni a pu consulter, décrivent une « fracture des os propres du nez » et « une plaie de la chambre oculaire de l’œil droit », avec « décollement de rétine traumatique » et « arrachement cilio-rétinien ».

« Quand je suis sortie de l’hôpital, raconte Sonya, le médecin m’a expliqué qu’avec le temps, je risquais de perdre complètement la vue, mais je ne pensais pas que ça allait être aussi rapide. Juste après les faits, je voyais vaguement une lueur orange, et puis ça a disparu au bout de deux mois. Maintenant, je ne vois plus rien. J’ai un œil bleu, sans rétine, je suis défigurée, et j’ai encore des migraines, sans parler de tout le stress causé par cette histoire ».

Comme souvent dans ce type d’affaires, la justice s’est enclenchée tout de suite – mais en suivant deux vitesses opposées. Dès le 24 mars 2023, les deux fils de Sonya ont été condamnés à douze et dix mois de prison chacun, dont la moitié fermes. Les faits les plus graves qui leur sont reprochés sont des violences sans ITT sur les policiers. Sonya, qui s’est vu prescrire une ITT de trois mois, est – littéralement – sans suite : coincée dans une sorte de purgatoire judiciaire qui n’en finit pas.

Le 10 mai 2023, son avocat a écrit une lettre au procureur de la République de Valence pour déposer plainte. Mi-octobre 2023, son avocat lui indique, par mail, que le procureur « semble exclure des violences volontaires de la policière à votre égard ». Pourtant, Sonya affirme qu’elle n’a même pas été contactée pour être auditionnée sur sa plainte, et n’a donc jamais pu raconter sa version des faits à la justice.

« Tu reviens des courses, tu perds ton œil, et ils s’en foutent »

En février 2024, Sonya n’a toujours aucune information suite à sa plainte, et son nouvel avocat écrit aux services du procureur. Ceux-ci répondent, le 28 février, que la plainte est toujours « en cours de traitement ». C’est tout. Sonya décide donc de saisir un juge d’instruction, comme le permet la loi en cas d’inaction du parquet. Un lent et coûteux processus judiciaire s’enclenche. Le 19 septembre dernier, Sonya a dû payer une caution de 400€ pour obtenir la saisie du juge d’instruction. Depuis, elle attend.

En parallèle, Sonya avait aussi saisi l’IGPN par le biais de la plateforme de signalement. Dans son dernier rapport annuel, l’IGPN rappelle que cette plateforme, « créée en 2013 dans une logique d’amélioration du lien entre la police et la population », se contente en fait d’orienter « l’essentiel des signalements » vers les directions compétentes de la police « afin qu’elles apportent une réponse à l’usager ».

C’est donc, selon la logique administrative, le directeur interdépartemental de la police nationale (DIPN) de Valence qui a traité (ou plutôt maltraité) le signalement de Sonya sur la plateforme IGPN. La réponse, adressée par courrier de janvier 2024 à la victime, est lunaire. « Les policiers vous demandaient de quitter les lieux, ce que vous refusiez en venant au contact et en bousculant les fonctionnaires de police. C’est alors que dans la bousculade vous avez été malencontreusement blessée », écrit laconiquement le DIPN.

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Le courrier reconnaît donc l’origine policière de la blessure de Sonya. Mais il n’apporte aucune précision sur la provenance de cette version des faits, élaborée sans que Sonya ait pu apporter son témoignage. Le DIPN ne fait aucun commentaire sur une éventuelle faute, ou absence de faute des agents impliqués. Il ne conclut rien, laissant le signalement de Sonya dans le vide. Comme l’IGPN le dit elle-même, la plateforme de signalement « ne constitue ni un service de plainte, ni un service d’enquête ». Traduction : ces signalements ne servent, sauf exception, à rien.

« Tu reviens des courses, tu perds ton œil, et ils s’en foutent » se désespère Sonya. La DIPN de Valence n’a pas répondu à nos questions concernant l’existence ou l’absence de réalisation d’une enquête administrative. Et malgré nos relances, le procureur de la République n’a pas non plus donné suite sur le volet judiciaire du dossier. Le silence : un an et demie après les faits, c’est la seule réponse institutionnelle apportée à la plainte et au signalement de Sonya.

Violences policières et théorie judiciaire

Rappelons qu’en théorie, les autorités doivent fournir une « explication satisfaisante et convaincante » sur l’origine des blessures apparues quand la victime « se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police », sans quoi les violences seront considérées en droit comme illégitimes (CEDH, Ghedir c/ France, §123).

La victime qui se plaint de violences policières doit pouvoir participer à l’enquête et sa parole doit être traitée sur le même plan que celles des autres acteurs des faits (CEDH, X et autres c/ Bulgarie, 2 février 2021, §227 ; Bouyid c/ Belgique, §122 ; Anguelova c/ Bulgarie, § 138).

Dans tous les cas qui lui sont signalés, l’État doit mener « une enquête prompte, impartiale, indépendante et transparente [qui] soit menée dans des délais raisonnables » (ONU, Comité contre la torture, CAT/C/FRA/CO/7, juin 2016). L’inaction de la justice pendant un délai de six mois puis un an viole le principe du délai raisonnable (CEDH, Tomasi c/ France, §125).

La rédaction de flagrant déni
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