Ouibus dégraisse : interview d’un gréviste

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Un des douze irréductibles des OUIBUS en grève est venu récemment à l’AG de ville de Lyon avec un collègue. Ils nous ont raconté les deux journées ubuesques qu’ils venaient de passer chez celui qui se proclamait leur nouvel employeur, Faure Express. Nous avons depuis rencontré un salarié pour en savoir plus.

« Les cars Macron sentent le sapin » titrait la CGT le jour de l’annonce de la candidature du Macron à la présidence. C’était il y a 6 mois, lors de la première faillite d’une entreprise, Mégabus, qui s’était lancée dans la concurrence du transport en car nouvellement libéralisé, sur une idée ingénieuse du jeune ministre de l’économie. Or depuis l’ouverture du marché, toutes, Ouibus comme Flixbus ou Isyline ont toujours été déficitaires. Après avoir jeté l’argent public par les fenêtres, direction et DRH serrent la vis, poussent au départ et ferment des lignes.

A Lyon chez Ouibus, filiale de la SNCF, le dégraissage a commencé fin 2016 : changement de planning et horaires intenables, pression à la démission contre 6000 euros et une offre de reclassement fumeuse. Certains se sont retrouvés le bec dans l’eau et d’une soixantaine de salariés, ils sont passés à douze, lâchés par leurs collègues syndicalistes promus par la direction. Fin mai, les chauffeurs entrent en grève pour obtenir des conditions de départ décentes mais la hiérarchie fait la sourde-oreille. Le 6 juin en arrivant au travail, leur dépôt de Perrache est fermé ; l’activité est transférée chez Faure Express (entreprise régionale) et les salariés font partie du lot. La SNCF sous-traite ses lignes et ses licenciements – c’est mauvais pour l’image.

Le 7 juin, à l’AG de ville de Lyon, un des douze irréductibles, est venu avec un collègue nous raconter les deux journées ubuesques qu’ils venaient de passer chez celui qui se proclamait leur nouvel employeur, Faure express. Entre intimidation et harcèlement deux jours de suite, le nouveau patron n’a pas lésiné sur les moyens : trois huissiers de justice en moins, bataillons de cadres encravatés en tout genre, mais Faure se défend « On vous a laissé boire et aller aux toilettes ! ». La guerre d’usure se solde par une mise à pied pour faute grave, la direction confond droit de grève et refus de travailler ; les salariés de Ouibus sont convoqués le 15 juin pour être licenciés par un employeur avec qui ils n’ont jamais signé de contrat.

Stupéfaits et intrigués par ces méthodes annonciatrices, nous avons rencontré un salarié pour en savoir plus. Entre une critique franche des syndicats et le récit de leur détermination collective, il nous en dit plus sur le déroulé de l’affaire, qui pour lui préfigure le sort réservé aux cheminots lors de la grande libéralisation du rail français prévue pour 2018.

Morceaux choisis.

Depuis le lancement de la guerre entre les compagnies de car, tout le monde se disait que les voyages à 5 € ça n’allait pas durer. Qu’il y allait avoir des faillites et des licenciements à gogo. Ça se précise donc. De l’intérieur, qu’en dis-tu de la stratégie à OUIBUS ?

Pour moi ils ont mal calculé leur coup. Tu vois, par exemple, dès l’achat du matériel, ils ont acheté des cars à double essieux à l’arrière. On a l’habitude de voir des cars à simple essieux, les doubles essieux c’est plus rare. Mais là donc, ils ont acheté des cars bien chers, plus chers à l’entretien et surtout, surtout, qui sont quasiment taxé deux fois plus cher à chaque péage et à tous les passages frontaliers. Juste pour cet essieu en plus. Tout ça parce que dans des cars double essieux, il y a une dizaine de siège en plus.
Tu vois, ils ont vu les choses en grand, ils voulaient faire un max de profit, mais les cars ne sont que très rarement remplis et c’est une catastrophe l’argent perdu à chaque péage.

Un autre exemple. Ils ont acheté des bus qu’ils ont d’abord fait plastifier en ID bus. Alors qu’ils le savaient déjà que ça allait changer en OUIBUS ! Au bout de quelques mois, ils ont donc tout déshabillé puis rhabillé les cars. Puis encore de la com’ pour faire connaître leur nouvelle marque. Ça leur a coûté des millions. Et puis faut voir les pubs, les types sont à Hollywood ! Blocages des autoroutes pour le tournage, hélicoptère pour filmer...
Ils ont vu les choses de façon grandiose, extravagante. Ils ont foncé dans le plan Macron. La SNCF était là à fourguer et fourguer des millions d’euros d’argent public et les dirigeants de OUIbus, mais c’était complètement des débutants, des ignorants. Ils ont pris l’argent et il l’ont jeté par la fenêtre.

Ils se sont pris pour les meilleures. Du genre « Nous, c’est la SNCF, nous on a de l’argent. On va écraser tous nos concurrents ». Pour le présent, c’est leurs salariés qu’ils écrasent.

Ça donne quoi plus précisément ce recours à la sous-traitance ? Tu disais que les propositions de reclassement s’étaient révélées être du vent. Côté salaire par exemple ?

Ils sont fous, ils nous prennent vraiment pour des pigeons. Fin mai, je suis dans le bureau d’un directeur Ouibus avec la DRH à coté. Ce qu’ils me disent ?! L’entreprise est en difficulté, pour remonter les caisses de cette entreprise, messieurs, il faut faire un effort…. Tu vois, un directeur qui gagne 12 000€ par mois et la DRH à côté 8 000€ pour un mi-temps qui te disent ça ? Quand tu vois les écarts… C’est inadmissible ! C’est une honte de me dire ça à moi. 10,4€ de l’heure. Et je suis encore trop payé parce que j’ai des primes de découché ?

Je remplissais ma valise de tupperwares pour pouvoir manger dans les hôtels et mettre les 10 € de repas qu’on me donnait pour relever mon salaire. Chez Faure, le sous-traitant, les primes sont minimes. A la SNCF elles sont basées sur celles des cheminots, par contre quand on arrive chez un privé, le privé va appliquer celles de la convention collective du transport et qui descend à ras les pâquerettes. C’est là qu’ils nous baissent drastiquement nos salaires. Entre les primes de découché et les primes repas, on y perd de 500 à 600 euros. C’est ça la différence entre la SNCF et un sous-traitant privé.

Son projet, à Macron, c’est la précarité. Je l’ai toujours dit, sa loi c’est une loi sans loi, c’est une loi pour la création de la précarité. Et on va y venir. C’est pas parce qu’il est tout jeune, il est tout beau, ça y est c’est le renouveau. Non, non ! Il y a du nouveau certes mais il faut voir est-ce que c’est un nouveau positif ou si c’est un nouveau négatif.

Alors le PDG je lui ai dit : « Oui monsieur, je suis prêt à poser 200 € sur la table, à condition que vous aussi vous mettiez votre salaire sur la table. Pour sauver l’entreprise ! » Alors là, il a failli me retourner la table sur la tête : « Comment vous osez me parler comme ça à moi ! Vous êtes qui pour me parler de mon salaire ! » Ça ne lui a pas plu du tout.

Tu parlais de ces deux journées de pression chez le sous-traitant FAURE, enfermé de salle en salle avec le DRH qui vous répète la même question pour vous faire craquer. A ce moment, vous n’étiez plus que douze. Ça a débuté comment leur stratégie pour pousser à la démission ?

Début 2016, ils ont commencé à nous proposer des petites choses pour qu’on parte, on les a vus venir. Puis ils ont essayé par tous les moyens d’éliminer la masse salariale. A changer les horaires d’un jour à l’autre, à serrer les horaires pour que les gens n’en puissent plus et qu’ils craquent. C’était dangereux de conduire, on n’avait pas assez de temps de repos. Les syndicats criaient, la direction s’en foutait complètement. Ils avaient pour objectif d’éliminer. Il y a eu des accidents à cause de la fatigue. A Milan, un gars s’est endormi sur son volant, il s’est encastré dans les glissières. Un deuxième accident, un collègue qui a fait un Genève-Paris toute la nuit, arrivé sur le périph parisien aux alentours de 8 heures du matin, il s’est endormi, il est rentré dans un camion. Les deux étaient de Lyon. Il n’y a pas eu de blessés, ils ont eu de la chance.

Comment font-ils pour se débarrasser d’employés qui sont protégés par les conventions collectives de la SNCF ?

En ce moment, à la SNCF, Il y a tous ceux qui partent à la retraite et peut-être que vous le savez pas mais la SNCF a changé de politique. Avant ils embauchaient des moins de 30 ans sous statut cheminot, mais maintenant ils emploient a partir de 35, 40 voir 45 ans, parce qu’en commençant après trente ans, y’a plus le droit au statut de cheminot. Ils se préparent à ce qu’il y ait le moins de cheminot possible. Et puis les gars ils ne sont pas pris en tant que cheminot, ils sont pris en tant que salarié de la SNCF, en CDI.

Alors un jour c’est sûr, la SNCF va dire : « Tiens j’ai un sous-traitant, transfert d’activité, lui ce n’est pas un cheminot et hop je le transfère ». Il se fera embaucher dans des conditions non négociables, précaires, dans des boites de sous-traitance où il n’y a pas de sécurité de l’emploi. C’est ce qu’ils ont fait avec nous mais y a un flou, ça pose beaucoup de questions sur la légalité de la manœuvre. C’est pas vraiment un transfert. La SNCF reste propriétaire des lignes mais en sous-traite l’exploitation. Comme ça, plus de parc à entretenir, plus d’employés à payer parce qu’elle s’est débarrassée de la masse salariale. Mais elle touche toujours une partie des bénéfices. Elle n’a plus qu’à empocher l’argent.

Mais surtout, l’opération de la SNCF, c’est de sous-traiter les licenciements. Hop, transfert d’activité dans le privé sans te demander ton avis, propositions non tenues de reclassement en son sein, réduction de salaire. On était en grève et on s’est fait licencier pour faute grave par Faure avec qui on n’a jamais signé de contrat de travail et puis la SNCF, elle, ne s’est pas mouillée à licencier.

Tu disais en assemblée : « Ce qui se passe à Ouibus, la sous-traitance par région, la dégradation des contrats jusqu’à la sous-traitance des licenciements, ça préfigure ce qui va se passer durant la libéralisation du rail en France ». Comment ça ?

Eh bien oui. On est les premiers à subir ce genre de choses. La SNCF aujourd’hui, elle nous a utilisés comme un laboratoire, pour préparer le terrain pour l’extermination des cheminots, leur statut et leurs acquis sociaux. Ils s’en rendent compte d’ailleurs, la CGT Cheminots. Je vais témoigner de ce qui se passe pour nous dans leur assemblée.

La SNCF, elle applique sa stratégie de libéralisation pour les bus, pour nous précariser ou nous éliminer. Ils ont posé cette stratégie avec nous sur le site de Perrache mais y a eu des failles, y a eu des choses qui ont été mal faites. Ils vont en tirer des leçons. Ensuite ils vont s’attaquer au site de Paris, ils vont s’attaquer au site de Lille, ils vont s’améliorer dans leur façon de procéder. L’ouverture du rail à la concurrence, c’est prévu pour fin 2018 !

Avec cette loi de Macron, ils vont faire la même chose. Une fois que les privés seront arrivés sur le rail français, que ça sous-traitera à tout va, la SNCF ne va plus se casser la tête avec les cheminots.

Ils ont fait quoi les syndiqués pour votre situation ?

Au début on a laissé faire le syndicat. On leur a dit : « Est-ce que c’est normal ? - Ah non c’est pas normal ! On va faire ça, on va faire ci, paf paf... ». A l’époque, nous en tant que salariés, on a les syndicats qui s’en chargent, on les laisse faire. Sauf que finalement ces syndicalistes quand ils arrivent en réunion, ça ne donnait pas grand-chose, ça ne nous permettait pas d’avancer.

Et rien ! C’est pour ça qu’à un moment donné, au bout de neuf mois, je me suis dit je vais y aller moi-même à Paris. Ils nous ont bassinés pendant neuf mois et au bout du compte, tous ces gars des syndicats à Perrache, ils les ont achetés ! Je parle cru parfois, mais il faut aujourd’hui. Je ne dis pas que c’est le cas de tous. Mais vraiment...

Je leur ai dit : « Vous êtes pas des hommes. Vous êtes quoi exactement ? Des lâches ! Vous n’avez pas honte ? Vous vous regardez dans la glace comme ça le matin ? Vous avez signé notre mise à mort. Moi, ton collègue avec qui t’as travaillé, on a mangé ensemble, on a bu des bières ensemble, on a rigolé ensemble et un jour on te présente un document on te dit tu signes là pour la mise à mort, là. » Un m’a répondu « Mais tu sais j’ai pensé à mon avenir. – Mais quel avenir mon gars ? Vous ne savez pas que vous êtes les prochains ? On t’a donné un poste de responsable de parc. Tu surveilles les cars, bravo ! Mais le jour où toute l’activité part à la sous-traitance, y’aura plus de car, y’aura plus de parc ! Y’aura plus besoin du chef du parc parce que le chef du parc il ne va pas surveiller les cailloux ! Eh ben maintenant tu dégages mon gars ! »

Ils ont signé notre mise à mort en échange de petits postes. Eux en revanche n’ont pas eu à signer de démission, ils sont restés à la SNCF.

Ça ne t’a pas donné envie de te syndiquer on dirait. Vous faites comment alors ?

Non, franchement non, ça m’a repoussé. Je mène ce combat d’une façon complètement indépendante. Du jour au lendemain, j’ai senti cette injustice, j’étais très, très énervé et il y avait le mal-être de mes collègues à côté. Ça me faisait de la peine, tout le monde nous a lâchés. A un moment j’ai dit : « Je ne suis pas syndicaliste, je n’appartiens à aucune entité qui peut me protéger, je prends le risque ». L’essentiel c’est que je sais pourquoi je le fais. J’ai pris la responsabilité de ce mouvement, je sais que la direction est très, très énervée par rapport à tout ce que j’ai dit mais je continue. Ils ne vont pas m’acheter avec un 4 000 euros, un 6 000 euros pour que je démissionne. Je dis non. J’ai mes valeurs, j’ai mes principes, j’ai mon honneur et je vais me battre jusqu’au bout.

Et à Paris ça a donné quoi ?

Je suis monté à Paris avec un collègue le 14 juin. Depuis le début, les syndicalistes parlaient de la fédération nationale avec juristes, avocats qui travaillent, etc. Donc on monte à Paris pour avoir des explications. Je rencontre les gars, puis le juriste. J’ai vu aussi un délégué syndical. Et j’ai vu l’avocat soi-disant engagé pour notre affaire.

Franchement, suite a cette réunion, on a préféré faire nous-mêmes. On est rentrés et j’ai appelé les collègues pour leur dire qu’on allait se débrouiller. Sauf que la CGT ne nous aidera pas financièrement si on ne prend pas l’avocat qu’ils nous ont proposé. Faut qu’on trouve l’argent ailleurs.

Vous faites comment financièrement pour tenir ?

C’est très dur, faut dire ce qui est. Du jour au lendemain tu perds ton travail, tu perds ton salaire, en quelque sorte on est humilié. On n’a pas touché de salaire depuis mai, celui qui n’a pas d’économies, il est mort. Il n’y a pas d’autre mot, c’est dur.

Et puis c’est toute la vie qui change. On a travaillé les weekends, on a travaillé jour et nuit, on a travaillé des jours fériés, on a travaillé des Noëls. On a toujours travaillé, 24/24. Se retrouver à la maison sans rien faire, sans perspective, sans savoir ce qu’on va devenir, c’est dur.

Mais depuis que j’ai commencé à en parler, j’ai rencontré des gens, y’en a qui sont venus me voir. J’ai découvert plein de choses que tu n’imagines pas quand tu travailles, que tu rentres chez toi et que tu regardes ta télé. Des radios indépendantes, des sites d’informations, tout un monde et ça c’est bien. C’est grâce à une radio militante parisienne que France 3 m’a appelé pour faire un sujet.

Pour le moment, donc, vous continuez. Comment vous imaginez la suite ?

On ne va pas lâcher, c’est dur mais ça nous donne quand même du courage pour aller devant des tribunaux et demander des réparations. On continue, pour faire justice. Pour demander à la SNCF des comptes. Ils nous ont jeté comme des chiffons. Au début avec les collègues on a essayé de s’exprimer, on leur a dit venez aux négociations, venez à la discussion. Ils n’ont jamais essayé de comprendre. On ne peut pas s’arrêter.

Avec Macron tout est fait pour écraser le petit salarié, il ne faut pas se voiler la face. Il y a des gens bien dans les syndicats, mais le monde syndical s’affaiblit de plus en plus. La CGT bouge un peu des choses mais s’affaiblit aussi. Si les gens ne se mobilisent pas et si la loi passe au mois de septembre… Avec ce que j’ai subi c’est sûr que je vais être dans la rue. Partout où je peux parler et dire ce qui s’est passé avec nous, j’hésite plus.


Voir aussi :

Les grévistes de Ouibus déterminés : « soit on arrive à une solution, soit il y aura une grève de la faim »

La SCNF tente actuellement de se débarasser des salarié·es lyonnais·es de Ouibus, qu’elle souhaite transférer vers ses sous-traitants. Pour ce faire, la direction use de méthodes de management inhumaines envers les personnels. Mais ceux-ci ont décidé de résister, en grève illimitée, ils (...)

8 juin 2017

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