Malgré la pluie qui s’abattait sur les vitres du TGI de Lyon ce mercredi 6 juillet, de nombreuses personnes avaient bravé l’orage pour soutenir Virginie, Luis et Christian, qui comparaissaient suite aux reports pour compléments d’information demandés les 25 et 26 mai derniers. La presse était elle aussi présente, puisque nous avons pu y apercevoir une caméra de France 3, ainsi que des journalistes de Lyon Capitale et du Progrès.
L’ambiance était tout de même moins tendue que pour les audiences précédentes, et c’est avec plaisir que nous avons pu constater que la huitaine de policiers jusqu’alors toujours en faction devant la salle était aujourd’hui absente.
L’audience de Virginie débute donc vers 15 h 50. Un rapide tour de tête nous permet de dénombrer environ 25 policiers en civil dans la salle. Comme quoi Virginie, Luis et Christian ne sont pas les seul-e-s à avoir un comité de soutien !
Virginie est donc appelée à la barre, et le Président du tribunal commence comme il se doit par énumérer les très graves chefs d’accusation à l’encontre de Virginie, portant sur des faits qui se sont déroulés lors de la Manifestive du 30 avril dernier :
résistance à son interpellation, avec violence à l’encontre des gardiens de la paix Bonnet [1], Mandon, Bricard et Picot ;
appel à la rébellion en criant « Cassez la gueule à ces sales flics ! » ;
tentative de vol de l’arme du gardien de la paix Bonnet.
Jusqu’ici rien de nouveau. Le complément d’enquête demandé par la défense et approuvé par le tribunal le 25 mai dernier avait porté sur l’analyse de photos et de vidéos prises lors de la Manifestive (mais pas uniquement lors de l’interpellation de Virginie), ainsi que sur une enquête de l’IGPN, au cours de laquelle furent entendu-e-s plusieurs témoins de l’arrestation.
Sans trop de surprise, Me Versini, l’avocat de la partie civile, a sorti de sa manche cinq témoins : les agents Gayraud, Omani, Malterre, Pastor et Phravixay, tous policiers, collègues des « victimes », et ayant participé aux altercations avec les manifestant-e-s.
Rappel des faits
Le Président, Jean-Patrick Péju, nous explique donc qu’au cours de la Manifestive, des dégradations sont constatées sur le centre de commande de la vidéosurveillance de la police municipale situé 11, rue Pizay, dans le 1er arrondissement, et semblent être le fait de quatre individu-e-s grimé-e-s, portant des masques blancs ainsi que d’épaisses vestes noires avec des capuches ou des chapeaux. Ces mêmes personnes sont ensuites aperçues par les équipes de vidéo-surveillance sur la Place des Terreaux, à proximité du Crédit Agricole, alors qu’elles sont en train de se dévêtir, et apparemment Virginie en fait partie. L’ordre de les appréhender est donc transmis aux policiers de la BAC.
Cependant, les photos présentées au tribunal montrent Virginie à divers moments de la Manifestive, et on la voit toujours en train de danser, jongler, habillée uniquement d’un polo bleu et d’un bermuda vert, et en aucun cas d’une veste noire. Une autre photo la montre juste avant son interpellation, toujours habillée de la même manière, se dirigeant vers un groupe de policiers affairés à « interpeller » une autre personne à coups de tonfas et autres. Le geste que fait Virginie sur cette photo est de mettre les mains en avant, pour tenter de calmer la bagarre qui se déroule devant ses yeux. Selon le Président, elle aurait dû se rendre compte qu’il s’agissait de policiers, même s’ils ne portaient pas leurs brassards, puisqu’ils avaient leur tonfa à la main. Ce dernier argument est tout de même un peu léger quand on voit que n’importe qui peu acheter un tonfa à Décathlon.
La version que Virginie donne des faits correspond à ce qu’indiquent les photos : jamais elle ne s’est changée pour enfiler de veste noire à capuche, et si elle s’approche de la rixe sur la Place des Terreaux, c’est pour calmer le jeu et rien d’autre. Cependant elle se retrouve à ce moment-là ceinturée puis mise à terre, et, sonnée, est tirée jusqu’à la voiture des policiers. Elle avoue ne plus bien savoir ce qu’il s’est passé précisément, tant elle était choquée de se retrouver victime d’une telle violence. Elle reprend ses esprits, dit-elle, lorsqu’elle reçoit trois ou quatre [2] décharges électriques de 50 000 volts infligées par un Taser X26, alors qu’elle tentait de se protéger en s’agrippant pieds et mains à la roue du véhicule banalisé des policiers.
Le film vidéo montrant une partie de son interpellation concorde bien avec ses dires, puisqu’on l’y voit recevoir un coup de pied au flanc avant de s’amarrer autour de la roue, où elle sera alors électrocutée.
Témoignages recueillis lors de l’enquête de l’IGPN
Plusieurs témoins s’accordent à dire qu’ils ont vu Virginie complètement paniquée se faire tirer à terre sur plus d’une trentaine de mètres (certain-e-s disent par les bras, d’autres par les cheveux), puis recevoir plusieurs coups de pied. L’interpellation s’est éternisée sur plus de dix minutes, durant lesquelles plusieurs témoins ont été choqué-e-s par le fait que Virginie soit restée un long moment à terre, inerte, sûrement groggy.
Aucun-e des témoins ne voit de brassards « Police » sur les policiers ayant appréhendé Virginie, mais plusieurs reconnaissent que l’identité de ces personnes ne faisait « pas de doute, sauf au début ».
Il est aussi à noter qu’un-e témoin affirme avoir vu une personne invectiver les policiers lorsqu’ils procédaient à l’arrestation de Virginie, alors que si cette dernière poussait bien des cris, il s’agissait de cris de peur et de panique et non d’un appel à la rébellion.
Enfin, un des témoins, conseiller municipal, signale que les policiers étaient « dans un état émotionnel qui altérait leur maîtrise de soi ».
Une lueur d’espoir
Suite à la lecture des témoignages, le Président reprend une photo où l’on voit l’agent Bonnet, penché sur Virginie à terre, portant son arme dans le dos. Il lui semble alors bien impossible que Virginie ait pu tenter de voler cette arme, qui était parfaitement hors d’atteinte. Il lui semble aussi que les cris poussés pour harranguer la foule à l’encontre des policiers n’ont jamais été poussés par Virginie, mais bien par une autre personne, comme indiqué par un témoin et corroboré par la vidéo.
À la question lui demandant à partir de quel moment Virginie s’est rendue compte qu’il s’agissait de policiers, celle-ci avoue ne l’avoir pas réalisé avant de se retrouver menottée après s’être faite électrocuter. Puis à la question suivante, « Quel effet ça fait, le Taser ? », Virginie, directe : « Super mal ! ».
Les témoignages appelés par la partie civile
Gayraud
Il avait été envoyé sur les lieux avec sa patrouille pour surveiller la fin du cortège de ce qu’on lui avait présenté comme une « manifestation d’anarchistes-libertaires ». Il tient à préciser que tou-te-s les manifestant-e-s étaient « extrêment alcoolisés et consommaient des produits stupéfiants » (le président lui demande des précisions sur les stupéfiants. Sans réponse). Ces premières phrases vont nous être par la suite ressorties quasiment mot pour mot par les autres témoins appelés par la partie civile, ainsi que par les victimes, qui avaient apparemment tous bien appris leur petit texte par cœur. Magnifique !
Il explique donc qu’à leur arrivée sur la Place des Terreaux suite à la demande d’interpellation [3] des quatre personnes suspectées pour les dégradations commises, ces quatre mêmes personnes s’enfuient devant eux. Ils se retrouvent alors « assaillis par tous les manifestants », suite à quoi plusieurs grenades lacrymogènes sont lancées pour faire reculer la foule.
Lorsqu’il se retourne, il aperçoit Bonnet et Mandon en train d’interpeller Virginie qui, surexcitée, rameute la foule en hurlant « Venez m’aider, sauvez-moi ! ». Les deux policiers arrivent à lui passer une menotte mais pas l’autre.
Il voit alors Mandon donner un « coup de diversion » [4]. Bonnet peut alors passer la deuxième menotte à Virginie, mais il ne la serre pas assez. Virginie se libère alors, et s’accroche à la roue de voiture, tout en continuant de rameuter la foule. Gayraud lui assène donc un coup de Taser X26, ce qui a pour effet de calmer Virginie. Ils lui passent alors les menottes et l’embarquent.
Si la version relatée ici concorde à peu près avec celle de Virginie, ce n’est pas du tout le cas de la version des faits du PV rédigé par Gayraud après l’interpellation. Ainsi, dans le PV, Gayraud écrit « nous revêtons nos brassards », mais il avoue ici que finalement lui ne l’a pas fait. De même, le PV désigne Virginie comme une auteure des dégradations, alors que Gayraud avoue ici ne pas pouvoir l’identifier comme faisant partie des quatre personnes suspectées. « C’est les collègues qui ont dicté mais c’est moi qui ai écrit » bafouillera-t-il pour sa défense...
Enfin, toujours dans son PV, il est fait état de la tentative de vol de l’arme de Bonnet : Virginie aurait touché cette arme, mais Mandon a pu l’en empêcher en lui assénant un coup de pied à l’avant-bras. Cependant, Gayraud déclare aujourd’hui n’avoir pas vu ce coup de pied. Il explique là encore avoir répété ce que ses camarades lui ont raconté. Le Président condamne largement cette méthode, car Gayraud ne s’est fait ici que le « relais de on-dit », mais n’a jamais donné sa propre version des faits.
Le Président aborde ensuite le sujet de l’utilisation du Taser, qu’une note de service rappelle être justifiable « uniquement en cas de légitime défense, sur des individus dangereux ». À la question « Êtiez-vous en cas de légitime défense ? » qui a donc suivi, Gayraud a répondu « Oui, du fait de l’environnement » puis « C’était aussi pour protéger Virginie des bouteilles ». Du grand n’importe quoi !
Suite à un épisode quelque peu comique où le magistrat a demandé à comparer les corpulences de Gayraud et de Virginie, le Procureur de la République s’interrogea sur la douleur causée par une décharge de Taser, et demanda à Gayraud pourquoi Virginie était inanimée après avoir été ainsi électrocutée. Le policier n’a pu que dire qu’il s’agissait d’une « utilisation normale » de l’arme [5] !
Sur le même sujet, une avocate de la défense lui a demandé combien de décharges il avait asséné à Virginie. Réponse du témoin : « Une seule, et encore, seulement trois secondes au lieu des cinq secondes habituelles »... Quelle magnanimité ! Et alors comment se fait-il que Virginie ait eu l’impression de recevoir trois ou quatre décharges ? « Non, une seule, mais le temps paraît plus long »...
Omani
Après le même délire sur les « anarchistes-libertaires alcoolisés » que son collègue, Omani explique qu’il a tout d’abord mis son brassard « Police » avant de poursuivre une personne suspecte qu’il a attrapée par la capuche. Cette personne (qui était en fait une jeune femme) a quitté sa veste, et lorsqu’Omani a crié « Arrêtez-vous, Police ! », elle s’est retournée et a hurlé à la foule « Au secours, sauvez-moi ! ». Pris à partie de toutes parts, Omani a dû confier la jeune femme à Mandon. C’est en se débattant qu’elle a d’ailleurs donné un coup de pied à Mandon, le blessant à la main droite.
Omani, appelé à regarder les photos, identifie la personne avec la veste noire sur la photo, puis identifie formellement Virginie comme étant cette personne. Lorsque le Président lui demande comment elle a pu faire pour mettre sa veste alors qu’on la voit juste avant en polo et bermuda, Omani répond tout simplement « Une veste ça s’enlève et ça se remet » !
Et lorsque le Président lui tend une photo qu’Omani reconnaît comme étant prise après qu’il ait soit-disant confié Virginie à Mandon, alors qu’on aperçoit cette même Virginie ailleurs dans la foule, Omani n’estime pas qu’il s’agisse d’une contradiction : « Bah non » dit-il... Une rhétorique implacable s’il en est.
Enfin, quand on lui demande d’expliquer pourquoi son brassard n’apparaît sur aucune des photos, Omani nous explique sans sourciller que « Le brassard peut passer sous la manche du T-shirt ».
Échaudé par tant de mauvaise foi, le Procureur de la République parle alors de faux témoignage, et explique qu’il est clairement impossible que Virginie soit l’une des quatre personnes suspectées.
Malterre
Il conduisait l’un des véhicules mais a dû intervenir quand il a vu que ses collègues étaient violemment pris à partie par la foule. Il insiste sur le fait qu’ils avaient tous « les brassards, armes et flashballs apparents ». Cependant, son témoignage n’apporte rien, puisqu’il n’a pas vu l’interpellation de Virginie, occupé qu’il était à faire reculer la foule.
Il ne pourra quand même s’empêcher d’insister sur l’extrême virulence de la foule à leur encontre, et parle de « 100 à 150 canettes » lancées en leur direction. Le Président estime pour sa part qu’on n’en voit qu’une poignée au sol sur les photos.
Pastor
Il s’agit du chef des policiers de la BAC qui étaient intervenus lors de cet incident, et n’ayant rien vu, ne peut se prononcer. Pour éviter que la défense puisse remettre en question l’affirmation de Gayraud sur le nombre de coups de Taser assénés à Virginie, il refuse même d’indiquer combien de marques de brûlures laissent une décharge électrique. Il ne parle même pas de brûlures d’ailleurs, mais juste de « légères rougeurs » - même s’il dira juste après qu’elles restent bien visibles encore dix jours plus tard !
Phravixay
Avant que celui-ci soit entendu, il a été aperçu en train de discuter avec Gayraud, alors que les témoins ne doivent recevoir aucune information sur l’audience tant qu’ils n’ont pas été entendus. Ils sont pour cela censés être isolés, même si apparemment ça n’a pas posé de problème à ces deux-là de faire entorse au règlement.
Rien d’étonnant alors à ce que sa version des faits vienne en secours à Gayraud, car il expliquera à maintes reprises pourquoi l’intervention avait dû durer aussi longtemps. « D’habitude, on gicle en cinq minutes », explique-t-il. Mais là, il s’agissait d’une femme, et, comme il nous l’a si bien expliqué dans une brochette de clichés machistes, « Elles sont fragiles, alors on n’ose pas cogner, et elles sont aussi souples », suivi par le magnifique « On attend qu’elle se calme puis on la traîne par les pieds ». En effet, ils ne souhaitaient pas « porter atteinte à l’intégrité physique de Virginie ». Effectivement, ça s’est senti...
Décidé à enchaîner les perles, Phravixay se met à défendre l’usage du Taser : « Les coups au visage, c’est choquant, mais le Taser, non ». Il conclura en revenant sur la longueur de l’arrestation de Virginie, en expliquant que son boulot à ce moment-là consistait à faire reculer la foule en faisant des "8" avec son tonfa, mais il tentait de « contrôler » (c’est-à-dire ne viser que les bras et les jambes), encore une fois par respect de l’intégrité physique. Cependant, comme il le dit si bien : « On a peut être un peu trop contrôlé : on aurait pensé plus à l’intégrité physique des collègues et moins à celle des manifestants, ça se serait passé autrement »...
Les versions des « victimes »
Après les témoignages fort drôles de ces cinq policiers ont suivi les versions des deux victimes portées partie civile (la partie civile était jusqu’à l’audience précédente constituée de quatre policiers, mais deux d’entre eux ont laissé tomber).
Bonnet
Après avoir réussi à interpeller une des personnes suspectes avec l’aide d’Omani, la foule aggressive parvient à libérer cette personne. Bonnet aperçoit alors Mandon aux prises avec Virginie, qui semble très excitée. Il s’en saisit par les poignets, et Mandon prend les chevilles. Virginie crie alors « Venez m’aider ! Venez leur casser la gueule ! ».
Mais Virginie venait d’où ? « Je sais pas ». Faisait-elle partie du groupe de quatre personnes suspectes ? « Peut-être »... Là on est vraiment dans l’à peu près.
Ils ont par la suite posé Virginie au sol qui s’est libérée en se débattant, et a ainsi blessé Mandon d’un coup de pied qui lui a fracturé l’auriculaire droit. Elle a ensuite tendu la main vers l’arme de Bonnet, mais Mandon l’en a empêchée d’un coup de pied à l’avant-bras.
Le Président demande s’il s’agit de la scène que l’on voit sur la vidéo, mais Bonnet explique que la tentative de vol de l’arme s’est déroulée bien avant le « coup de diversion » que l’on voit sur la vidéo. C’est d’ailleurs après ce coup de diversion que Virginie s’accroche à la roue, puis se fait électrocuter.
Cependant, dans la déposition de Bonnet, il est dit que l’enchaînement des évènements n’est pas le même : elle aurait d’abord tenté de prendre l’arme de Bonnet, puis aurait reçu le coup de pied (et non de « diversion ») de la part de Mandon, avant de s’accrocher à la roue de la voiture. Justification de Bonnet : « J’ai peut-être fait un raccourci »...
Un autre raccourci flagrant est aussi mis en évidence dans sa déposition : sur les quatre personnes suspectes, seulement trois sont appréhendées, et deux se libèrent. Il n’en reste donc qu’une, qui doit donc bien évidemment être Virginie, même s’il est clair qu’elle n’a jamais enfilé de veste noire.
Toutes ces approximations continues de faire monter la moutarde au nez du Procureur et du Président. Bonnet, tentant de se justifier, bafouille alors que « si l’affaire ne prend pas d’ampleur », ce n’est pas grave de faire des approximations de la sorte, ce qui achève la patience du Président.
Mandon
Mandon est donc le policier victime d’une fracture au petit doigt apparemment suite à un coup de pied de Virginie. Plus de deux mois après les faits, le voilà donc qui comparaît avec un joli bandage d’apparât. Petite leçon de médecine : une fracture de l’auriculaire, ça guérit en deux mois ; si quand bien même ça n’est pas guéri, on met une attelle, pas un bandage ridicule !
Sûrement jaloux de la performance appréciable de Phravixay au concours de celui qui débitera le maximum d’invraissemblances en une demi-heure, il attaqua d’entrée en expliquant que les quatre suspects reconnaissent les policiers venus les arrêter grâce à leurs signes distinctifs : « cheveux courts, habillés proprement ».
Il explique donc qu’il poursuit puis ceinture une personne vêtue d’une veste noire. Devant la pression de la foule, elle parvient à s’enfuir et à enlever ses vêtements, mais il arrive à la suivre du regard.
Pourtant dans ses deux dépositions, il n’est nullement fait état de l’évasion de la personne interpellée [6]. Il est même écrit qu’elle « perd ses vêtements lors du transport au véhicule ». Mandon nous explique qu’il s’est mal exprimé, et qu’il fallait lire qu’elle avait perdu ses vêtements en s’enfuyant vers le véhicule. Il excuse son lapsus par un pathétique « Oui mais j’étais énervé, fatigué, je n’ai pas pu dormir de la nuit avec mon doigt cassé, demandez à ma copine »...
Le juge, à bout de patience, se met vraiment en rogne : « Vous avez fait deux PV qui sont faux ! », ce à quoi Mandon répond toujours dans le même registre « Je les ai relus et signés, mais je n’avais qu’une envie, c’est de rentrer chez moi ». Une assesseure relève alors la phrase, et à son tour remet Mandon en place : « Cette phrase on l’entend tous les jours ici, mais jamais de la bouche d’un policier ».
Le tribunal lui fait aussi remarquer qu’il a oublié de mentionner Omani, qui pourtant témoignait juste avant lui avoir « confié » la personne vêtue de noir. « J’ai passé à l’as certains détails ».
Mandon reconnaît avoir porté le « coup de diversion », mais le justifie en expliquant que « Le coup, j’aurais pu le porter à la tête, aux parties génitales, au thorax, non, je l’ai porté au flanc », car « C’était pas dans le but de lui faire mal ». Dans sa déposition, pourtant, il ne mentionne que le coup de pied à l’avant-bras, suivi directement par l’épisode de la roue et du Taser. Encore un raccourci sûrement...
Heureusement, pour sa défense, il nous explique bien qu’ « En plus, ils nous aiment pas, ces gens-là ! »...
Plaidoiries
Avocat des parties civiles
Me Versini entame son réquisitoire en expliquant qu’il s’agit ici d’un « procès de l’à peu près » à cause du « manque d’éléments probants », car malgré les photos, la vidéo et le rapport d’enquête de l’IGPN, il n’est pas possible de poser de certitude. « Ou bien les policiers de la BAC sont des menteurs, ou bien il y a quand même des éléments qui pèsent peu ou prou pour la version des policiers ».
« Il faut raison garder, mais ne pas tomber dans l’absurde ». Lui nous sert un discours (avec la voix très forte, justifiant que « la nature lui avait donné un bel organe... » au Président), ponctué de « peu ou prou » à foison et de locutions latines, dans lequel il « endosse le rôle d’un avocat de défense plus que de partie civile », en tentant de justifier les agissements impardonnables de ses clients.
On y apprendra tout de même qu’au moment des faits, autour de la Place des Terreaux, se trouvaient 97 policiers en service. Cela fait un bon rapport, pour une manifestation, selon la police, d’environ 700 à 800 personnes ! On y apprendra aussi que "manifestation anarcho-libertaire" "c’est tout simplement l’intitulé qu’ont donné le directeur départemental de la sécurité publique et le préfet du Rhône, dans une note de service" à la place de "manifestive". (On sait que ce terme "manifestation anarcho-libertaire" a été repris par presque chacun des policiers, ainsi que largement dans la presse, comme le Progrès, dans un essai de disqualifier cette "manifestive".)
Après s’être interrogé sur des questions aussi peu en rapport avec la réalité des faits telles que « Pourquoi Virginie est-elle avec son chien sur cette photo alors qu’on ne le voit pas sur cette photo prise auparavant ? Il vient d’où le chien ? », il reconnaît tout de même la non applicabilité de la légitime défense, bon prince, car « on ne doit pas devenir des saltimbanques de la justice ! ».
Il conclura son réquisitoire par « Ces hommes-là, moi j’les aime bien ! » à propos des policiers de la BAC.
Procureur de la République
Si nous n’en attendions pas moins de Me Versini, une agréable surprise viendra du réquisitoire du Procureur de la République, Alexandre de Bosschère, qui y explique qu’il ne maintient pas ces condamnations et que le ministère public abandonne ses poursuites.
Par contre, il condamne fortement les mensonges prononcés par les officiers de la police nationale, qui ont eu recours à de faux témoignages « pour secourir leurs collègues ou pour légitimer une interpellation qui s’était très mal passée ». Ces mensonges sont d’autant plus dangereux, souligne-t-il, car ils accusent Virginie des dégradations commises sur le local de la police municipale.
Et pour revenir sur la résistance à l’arrestation, il explique que même si les policiers étaient sans aucun doute reconnaissables, le climat de violences et de tensions qui régnait alors rendait compréhensible voire prévisible la réaction de panique de Virginie.
Il conclura son réquisitoire en soulignant qu’il s’agissait bien « d’une des rares fois où l’intérêt de l’État et celui de la prévenue coïncident », puis en présentant ses « sincères regrets quant à tout ce que Virginie a subi » et en demandant à ce qu’elle ait droit à la commission d’indemnisation.
Avocates de la défense
Me Frédérique Penot, une des avocates de Virginie, cherche dans sa plaidoirie à mettre en avant la volonté déterminée de la part des policiers de stigmatiser ce climat de violence et d’opposition systématique des manifestant-e-s aux forces de l’ordre. Ainsi, ces manifestant-e-s sont d’entrée affublé-e-s par des policiers du qualificatif de « guerriers anarchistes révolutionnaires » dans le rapport de conclusions de la partie civile. Ces mêmes policiers qui n’hésitent pas non plus à parler « d’état de siège » pour décrire la situation, alors que l’ambiance était on ne peut plus festive avant l’intervention catastrophique de la BAC.
On va même jusqu’à lire dans ce rapport que les policiers de la BAC, qui « incarnent les valeurs républicaines bafouées de notre société », se considèrent comme des « éboueurs », chargés d’éliminer les déchets que représentent ces citoyens ! Hallucinant !
Elle achèvera sa plaidoirie en mettant l’accent sur certaines pratiques de la BAC, qui consistent à arranger et maquiller la réalité pour couvrir les collègues. Le passage de la marge, se croire au dessus de la société, au dessus des lois, entraîne des déviances graves qui font que des personnes innocentes se retrouvent en prison. C’est très grave.
Me Stéphanie Zahnd-Cartier, quant à elle, se demande vraiment pourquoi un tel acharnement de la part des policiers sur cette jeune fille aussi menue qu’est Virginie ? Pourquoi est-elle interpellée ? Pourquoi a-t-elle reçu tant de violences sur tout son corps, qui n’était qu’échimoses et brûlures ?
Verdict
Un peu avant 22 h, soit après plus de six heures d’audience, le verdict est rendu par le tribunal :
concernant le chef d’accusation pour résistance avec violence, le port des brassards par les policiers n’est pas reconnu, et donc Virginie n’a pu les identifier en tant qu’agents de la force de l’ordre au début de son arrestation ;
concernant l’appel à la rébellion, il n’est pas non plus reconnu, puisque Virginie « criait de peur », mais n’invectivait pas les policiers ;
concernant la tentative de vol de l’arme de Bonnet, elle n’est pas non plus reconnue, car ce passage n’apparaît sur aucune des photos et vidéos saisies, et les versions des policiers discordent trop pour que l’on puisse leur accorder un quelconque crédit.
Le tribunal relaxe donc Virginie !
Le tribunal tient aussi à s’associer aux regrets du procureur pour les 22 jours de détention provisoire subis par Virginie, car cette décision de la placer en détention lors du procès en comparution immédiate était fondée sur les seuls dépositions et PV mensongers des policiers. Il lui présente ses excuses et l’informe que sa plainte contre X, qui devient plainte nominative contre des policiers identifiés, va bien être suivie d’effet par un jugement.
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