C’est quoi un CRA ?
Les centres de rétention administrative (CRA) servent à enfermer des personnes sans-papiers, dans l’attente de leur expulsion. Les motifs d’enfermement sont divers : déboutés de l’asile ou ayant eu des refus de titres de séjour, personnes interpellées à la frontière, dans la rue ou au travail, sortant.e.s de prison... Toutes ces personnes partagent le fait de ne pas avoir eu les bons papiers au moment de croiser les services de la Préfecture (c’est à-dire des papiers "en règle" aux yeux des flics). Ces centres de rétention se situent au croisement des logiques d’enfermement et d’expulsion. En effet, ils sont pensés comme l’anti-chambre de l’expulsion mais sont avant tout des espaces d’enfermement et de tri, des personnes avec les bons ou les mauvais papiers.
Le rythme de construction des CRA s’accélère
Dans la loi de programmation du ministère de l’Intérieur, adoptée le 22 novembre par l’Assemblée nationale, Eric Ciotti a fait passer, avec l’aval du gouvernement, un amendement pour doubler la capacité des CRA pour atteindre 3 000 places d’ici 2027 (c’était à peu près 1500 en 2017). L’Etat construit partout de plus en plus de CRA. A Lyon, un deuxième CRA de 140 places a ouvert en janvier 2022 juste à côté du premier CRA, doublant les capacités d’enfermement dans la région. A Olivet, près d’Orléans, un CRA de 90 places, en cours de construction, doit ouvrir en 2023. En région parisienne, un nouveau CRA d’une soixantaine de places est prévu au Mesnil-Amelot, où se trouve déjà un CRA de 240 places. Le CRA de Vincennes va aussi faire l’objet de rénovation et d’agrandissement. Et ce n’est pas tout. Le 4 octobre, Darmanin a annoncé la création d’un CRA à Nantes. Quelques jours plus tard, il claironnait qu’un centre de 140 places serait construit d’ici à 2025 à deux pas de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac.
Bref, le rythme s’accélère. Et il n’est pas prêt de ralentir puisque le gouvernement affiche clairement sa politique : arrêter, enfermer et expulser davantage en appliquant toutes les OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français).
La loi immigration veut systématiser l’exécution des OQTF
La France est la championne d’Europe des OQTF. Elle en distribue plus de 100 000 par an. En agissant ainsi, l’Etat condamne les personnes sans papiers à la clandestinité, à la merci de patrons qui peuvent encore plus les exploiter. Les personnes sans papiers sont condamnées à vivre dans la hantise de se faire contrôler, puis expulser. La nouvelle loi immigration vise à la fois à augmenter le nombre d’OQTF, en rendant par exemple automatique les OQTF en cas de refus de titre de séjour et à exécuter plus systématiquement ces OQTF. Le gouvernement veut que toutes les personnes qui ont une OQTF quittent vraiment le territoire. Pour cela, la future loi immigration prévoit de réduire les voies de recours et à inscrire les personnes qui ont une OQTF au fichier des personnes recherchées.
L’augmentation du nombre de places en CRA s’inscrit dans cette logique, l’État souhaite que toutes les personnes sous OQTF qui ne partent pas d’elles-même soient enfermées ou assignées à résidence pour faciliter leur expulsion. En 2018, l’Etat avait déjà doublé la durée d’enfermement dans un CRA, passée de 45 à 90 jours afin que les préfectures aient davantage de temps pour faire leur sale besogne.
Faire le tri entre les gentils et les méchants
Le discours de Darmanin reprend la vieille tactique qui consiste à diviser les personnes migrantes. Hier, le gouvernement distinguait les “réfugiés” et les “migrants économiques”. Désormais le ministre de l’intérieur n’a rien de trouvé de plus pertinent que de parler de “gentils” et de “méchants”. Le “gentil” serait celui qui accepte les conditions fixées par la France, qui ferme bien sa gueule, qui travaille et qui accepte de se rendre corvéable à merci. Le “méchant” est l’étiquette collée à celleux qui se révoltent et qui refusent l’exploitation. Le nouveau titre de séjour pour les métiers en tension s’inscrit pleinement dans cette logique. Avec ce titre de séjour, aucune garantie de pouvoir le renouveler et donc aucune garantie de pouvoir rester en France. Il est certain que celleux qui se battront pour leur salaire, contre leurs patrons, ou qui subiront le racisme de la police, par exemple, ne verront pas leur titre de séjour renouvelé. Déjà aujourd’hui, la police cible les sans-papiers qui se mobilisent comme plusieurs membres de CSP parisiennes en ont fait l’expérience lors de leur arrivée à Montpellier pour le sommet Afrique-France en 2021.
Dans la logique de la nouvelle loi immigration, un non-renouvellement de titre de séjour signifierait une OQTF et un placement systématique en CRA puis une expulsion. “Travaille et ferme ta gueule, sinon tu finiras en CRA” : voilà en résumé le message adressé par Darmanin aux sans-papiers. L’État français a besoin des sans-papiers, mais il veut des travailleur-euse-s dociles. Dans la lutte contre la loi immigration, nous devons refuser la division entre les gentils et les méchants, et être solidaires de celleux qui se battent contre les conditions d’exploitation.
Créer des sans-papiers et généraliser la double-peine
La nouvelle loi immigration va fabriquer de nouveaux et nouvelles sans-papiers : toustes celleux qui seront privé.e.s du renouvellement de leur titre de séjour. Darmanin souhaite même aller plus loin puisque, en surfant de manière crasse sur des faits divers, il n’a cessé de marteler que les étranger.e.s condamné.e.s pour "troubles à l’ordre public" – ce qui est très large – se verront désormais systématiquement refuser ou retirer leur titre de séjour. Darmanin élargit alors la double-peine qui consiste à expulser des personnes qui ont déjà purgé une peine de prison. Résultat, les personnes qui se sont vues retirer leur titre de séjour reçoivent une OQTF en prison, où elle est très difficile à contester, et à leur sortie ces personnes sont placées directement en CRA. Ces dernières années, l’Etat a fait des CRA de véritables annexes de la taule. En 2021, près d’un quart des personnes en CRA venaient de prison, contre 14,5 % en 2019. Encore une fois ce mouvement s’accélère.
Le projet de loi immigration et l’augmentation des places en CRA vont de pair : l’enfermement et l’expulsion sont la punition pour celleux qui n’ont pas eu les bons papiers au bon moment. Sans les nouvelles places prévues en CRA, la loi immigration portée par Darmanin ne pourra jamais atteindre ses objectifs de systématisation de l’expulsion. Plus largement, cette loi s’inscrit dans un racisme d’Etat s’exprimant par des discours et des mesures sécuritaires ultra répressives de criminalisation des personnes sans papiers, dont les CRA sont la forme la plus aboutie. Au-delà des débats législatifs, s’opposer, retarder et bloquer les constructions de CRA sont des moyens pratiques d’empêcher l’application de la loi portée par Darmanin.
À bas les CRA, à bas les frontières !
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