« Ne parlez pas de "répression" ou de "violences policières", ces mots sont inacceptables dans un État de droit. (...) Vous me parlez de répression, je vous dis "c’est faux" ». Ironie du calendrier : un an jour pour jour après ce déni de réalité du président de la République, la police macroniste violentait des dizaines de manifestant-es sur la place Bellecour, à Lyon, à l’occasion d’une manifestation de Gilets jaunes. Le bilan (provisoire et lacunaire) dressé par le Comité contre les violences policières de Lyon après le recueil de près d’une trentaine de témoignages est sidérant : 26 cas de blessures commises avec des armes, sept personnes blessées à la tête ou au cou, sans compter trois autres blessures ayant nécessité une hospitalisation. En moyenne sur l’ensemble de l’après-midi, une personne au moins a été blessée toutes les 9 minutes au cours de cette manifestation. Ce nombre (minimal) n’inclut que les blessures les plus graves. N’y figurent pas les personnes blessées superficiellement, matraquées, frappées à coups de boucliers, intoxiquées par les gaz lacrymogènes. Face à cette offensive policière d’une exceptionnelle gravité, le Comité saisit ce jour le Défenseur des droits et le procureur de la République aux fins d’enquêtes, de sanctions administratives et de condamnations judiciaires (voir document).
Au moins 17 impacts de LBD, dont 4 dans la tête ou la gorge
Sur 26 blessé-es recensées, 17 ont été impacté-es par un probable tir de LBD, soit un impact toutes les 14 minutes. Les autres armes policières étaient pourtant abondamment utilisées : grenades de désencerclement, lacrymogènes (qui n’ont cessé de pleuvoir), matraques et même canon à eau. Deux données sur l’usage constaté du LBD sont particulièrement problématiques. D’abord, le tiers des impacts recensés concerne le haut du corps (tête, gorge, épaule). Ensuite, la totalité des tirs qui ont pu à ce stade être attribués à une unité (8 tirs) concernent soit la BAC (5 tirs), soit les unités en uniforme de la direction départementale de la sécurité publique (3 tirs). Les deux grands corps dédiés au maintien de l’ordre (CRS et gendarmes mobiles) n’ont pour l’instant pas été mis en cause alors qu’ils étaient également présents. La précision est de taille : les CRS et GM ne peuvent pas pratiquer le tir dit « d’initiative » (sans ordre d’un supérieur direct). Les autres, si. Et en l’occurrence, comme à son habitude, la préfecture a mis en avant les unités qui tirent le plus. La BAC n’a cessé de sillonner le centre de la place Bellecour, contribuant à attiser la tension avec les manifestant-es, et n’hésitant pas à tirer au travers des nuages de gaz lacrymogène. On en mesure le résultat.
David contre Goliath
Au total, ces tirs ne peuvent être considérés « proportionnés » comme l’exige pourtant la loi en cas d’usage des armes. D’un côté, la préfecture compte 24 policiers blessés. La nature de ces blessures n’a été précisée que pour l’un d’entre eux, ce qui laisse penser que c’est la blessure la plus grave : il a reçu « un pavé sur la main ». De l’autre, le nombre total de manifestant-es blessé-es n’est pas connu, mais leur gravité parle d’elle-même. En fait, l’usage même du LBD, une arme extrêmement dangereuse (a fortiori dans des situations confuses) pour « riposter » à des tirs de projectiles (selon l’expression préfectorale en vigueur) est en soi disproportionnée. On ne peut comparer un jet de pierres sur des personnes recouvertes de protections et des impacts de projectiles lancés à la vitesse d’un TGV sur des personnes sans protections : en France, il y a longtemps que David ne l’emporte plus contre Goliath. Face à l’obstination du Gouvernement, la justice doit aujourd’hui démontrer qu’elle est indépendante et prendre les décisions qui s’imposent pour contraindre l’exécutif (et localement la préfecture) à limiter l’usage de ces armes mutilantes. Aujourd’hui, nous espérons que des enquêtes indépendantes et approfondies seront menées pour punir les coupables et dénoncer l’agressivité des ordres donnés par le commandement et in fine, la préfecture.
La justice est-elle indépendante ?
On peut malheureusement en douter. Le 7 mars 2019, le président de la République assurait : « A chaque fois que quelqu’un a eu à reprocher des violences, il a pu porter plainte [...]. A chaque fois que des écarts ont été constatés, des enquêtes ont été demandées sur le plan administratif par le ministre ». Pourtant Arthur, tabassé le 10 décembre 2019 sur la place Bellecour attend toujours que justice soit faite. L’un des policiers de la BAC qui l’avait agressé, clairement identifié, a été vu à nouveau en manifestation le 6 février dernier… porteur d’un LBD et en train d’attaquer un cortège syndical. Parmi les victimes du 7 mars, la plupart n’ont pas souhaité déposer plainte et rester anonymes. Une d’entre elles, touchée deux fois au LBD ce jour-là (!) nous explique : « On sait jamais, mais je ne pense pas que moi j’étais visé. Je veux continuer de manifester, donc je préfère rester discret ». La plupart ne souhaitent pas non plus se rendre au commissariat pour témoigner. La peur des représailles est omniprésente. Aujourd’hui, pour sortir du silence et combattre l’impunité, le Comité publie les récits des personnes qui ont accepté de témoigner, à travers la lettre adressée au Défenseur et au procureur. Pour que la férocité des ordres préfectoraux soit dénoncée au grand jour, nous appelons toutes les personnes à faire de même. Nous devons continuer de nous organiser pour combattre la peur qui, trop souvent, nous empêche de dénoncer.
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