Le Progrès dans la désinformation

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Villeurbanne

Dans un article du mardi 9 novembre 2021, Le Progrès de Villeurbanne signait sa 3e réaction [1] à l’égard des prises de position de notre association, La Ville Édifiante.
La 1re remonte à 2018 où il adoptait une posture ouverte sur le rôle que pourrait avoir à jouer notre contribution patrimoniale au PLU-H. Mais, tandis que la 2e déjà remodelait volontiers nos propos, la 3e confirme son intention d’adapter son discours à un public qu’il juge vraisemblablement incapable de penser en dehors de lignes très convenues.

De quoi s’agit-il ?

La polémique s’est crispée autour de la sauvegarde d’une façade industrielle située rue Anatole France qu’une opération de renouvellement urbain de grande ampleur et l’édification d’immeubles de bureau menaçait. A cet égard, notre association se serait « émue » de la situation déclare le journal avant de laisser le maître d’œuvre du projet à l’analyse de la situation matérielle.

En reléguant notre position du coté des passions, d’un sentimentalisme sans objet, peut-être nous croit-il incapables de faire l’épreuve de la réalité face à l’objective parole technique. Au moins nous croyons-nous assez compétent.e.s pour reconnaître à travers ce procédé un argument d’autorité. Le Progrès entend-il le faire servir à l’idée que la Ville telle qu’elle se construit se porte très bien et que les conseils de celles et ceux qui la critiquent sont décidément mal venus ? La dernière fois la lecture du Progrès nous avait déçu.e.s, désormais elle ne nous surprend plus.

En parcourant l’article on pourra s’extasier devant la définition que donne un promoteur du patrimoine. Elle a la saveur d’une dénégation conservatrice face à une posture militante. On ignore à ce jour à qui elle s’adresse mais elle est d’un grand intérêt, autant que l’avis d’un masculiniste à propos du féminisme, ou celle d’un productiviste à propos de décroissance. C’est dire si elle a sa place entre les lignes du Progrès.
Ainsi, et entre autres propos passionnants, notre spécialiste en bureau vitré, se répand en explications d’expert sur la chose historique :

« la définition du patrimoine est aléatoire, estime Guillaume Berruer. Est-ce que tout ce qui est vieux est patrimonial ? Sur ce projet, la question ne se pose pas, on est dans l’esprit de faubourg. Il y a une volonté de la mairie d’identifier les éléments patrimoniaux, de les conserver et de les mettre en valeur. Tout cela peut se faire sans les opposer à une architecture nouvelle et fonctionnelle ».

En effet une définition est aléatoire, à fortiori quand elle est le fait d’une personne qui l’énonce sans les compétences nécessaires et dont la profession consiste précisément trop souvent à sa déchéance. Prenez le bourreau par exemple, la vie pour lui c’est bien vague, mal défini et somme toute très relatif. Quant à savoir ce que ce bon monsieur place derrière l’étiquette de « l’esprit Faubourg » nous n’en savons rien, faute de fabriquer des résidences aux patronymes boostés aux hormones des éléments de langage marketing. Qui a dit enfin que tout ce qui est vieux avait de l’intérêt ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un homme de paille ?

Plus loin, il explique quel service inouï l’opération bulldozer rendra à l’humanité en contribuant à dépolluer le sol. La pollution du sol par le béton donc, le béton ou la pollution, l’offre du capitalisme est simple, choisis ton camp camarade.

Quel événement justifiait au fond ce 3e article du journal ? Nous en sommes arrivé.e.s à la conclusion que la diffusion du visuel futur a tellement enthousiasmé le Progrès qu’il n’a pu résister à en ajouter une couche. A moins tout simplement que nos promoteurs soient venus pleurer à sa porte quémander cette tribune.

La réalité c’est que la Ville accumule un retard préoccupant sur ces questions urbaines qui la couvrira de ridicule à l’heure où elle se pique d’un label de capitale culturelle à l’échelon européen. Si elle souhaite continuer à se rassasier de béton, ce qui n’est pas sûr, elle sait qu’en plus du soutien des promoteurs qui en ont encore en stock, elle pourra encore compter sur le Progrès qui se déclarera bientôt prêt à diffuser ses catalogues.

Les faits

Depuis le départ il n’a jamais été question de gloser sur les conditions de la conservation d’une simple façade, surtout depuis que l’accumulation de tant de circonstances l’avait rendues impossible. Il s’agissait plutôt d’attirer l’attention sur un fait tout simple : celui que certaines des parties situées en retrait des fameuses façades pourtant situées en Périmètre d’intérêt patrimonial (PIP) selon le PLU-H validé par la Métropole sont également frappées de démolition et d’ores et déjà démolies.

La partie abattue, correspond à 18695 m² sur un total de 76400 m² soit près du quart du secteur censément protégé.

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PLU-H PIP (A6) à voir entre les balises roses, les parties démolies correspondent aux zones UEi2 et 13 (marques bleues)

Bien sûr la partie ciblée jouit d’un zonage spécifique, celui d’UEi2 qui fait enclave au sein du PIP et le destine aux activités économiques et mixité d’usage, mais il n’en reste pas moins compris dans la zone de protection comme l’indique à la fois ses contours figurant au plan et plus explicitement encore les prescriptions qui l’accompagnent :

« Cet îlot connaît désormais une situation, partielle mais importante, de friches. Il présente dès lors une mutabilité potentielle à plus ou moins long terme qu’il s’agit d’encadrer » [2]

Voici le projet retenu pour l’îlot en question :

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Une « friche encadrée », http://www.fontanelpromotion.com/wp-content/uploads/2020/10/c02.jpg

En dépit de la grande variété d’interprétation permise par la lecture des prescriptions, aucune ne laissait envisager un renouvellement urbain de cette envergure. Mais nous posons ouvertement la question : sanctionner un périmètre pour son intérêt patrimonial avait-il pour dessein de lui substituer un programme aussi radicalement étranger à son environnement d’inscription ? Les immeubles de verre qui s’y dresseront demain sont ils la juste réponse à cette désignation ?
Allons plus loin et identifions les prescriptions citées cette fois par le cahier des PIP : il s’agit de :

« Prendre en compte l’identité et la cohérence du secteur » et « La réhabilitation et la réinterprétation des bâtiments industriels existants, dans une expression contemporaine, est encouragée afin de pérenniser l’esprit des lieux. » [3]

Mais ce n’est pas tout puisque la Métropole souligne également à travers ses documents l’importance de la conservation des façades rue Anatole France :

« Affirmer l’identité faubourienne de l’îlot Mansard, telle que décrite dans le périmètre d’intérêt patrimonial et tout particulièrement préserver les fronts industriels en partie sud, rue Anatole France »

Aujourd’hui tout est parti en fumée ; l’arrière de l’îlot mais aussi sa façade dont la préservation avait été retenue en quelque sorte comme mesure compensatoire. Nous n’aurions pas assez de mots pour qualifier cette fumisterie.

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Front industriel rue Anatole France, amputé du N°45
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PLU-H Documents de la commune de Villeurbanne P132

Finalement dans une configuration où la façade était si importante qu’on s’autorise à la détruire pour la reconstituer, pourquoi s’étonner d’un genre de réinterprétation qui finit par s’asseoir complètement sur le sujet ? Sous ce rapport, tout parait pleinement faire sens.

Car s’il est permis enfin de s’interroger sur la portée de pareille prescription aux contours flous :
« Préserver les fronts bâtis rue Anatole France, sur une profondeur d’environ une travée et développer en greffe des projets valorisant cet héritage industriel »  [4]

l’application, ferme ou laxiste, l’observation de la règle ne devrait pas consister en un jeu d’interprétation qui vide tout, propos et objet, de sa substance. Que vaut un fac-similé en carbone du fronton jeté en garantie ? La question de l’authenticité passe aussi par la matérialité et elle mérite d’être soulevée. Son résultat c’est la ville dans son épaisseur et dans sa réalité.

Coucou la loi !

En procédant d’un élément factuel, à savoir que le chantier de cette nature permet difficilement la conservation d’une façade réduite de facto à une rondelle de salami, tout le monde parait s’étonner de notre opiniâtreté à camper sur nos positions. Mieux vaudrait pourtant s’étonner du projet immobilier initial qui refuse de se plier aux prescriptions que nous venons de passer en revue. Pourquoi les ambitions du projet n’observent-elle pas la loi ? Pourquoi le Progrès ne s’en émeut-il donc pas avec nous ?

Focaliser enfin le débat sur la façade, s’est s’en tenir à la surface des choses : il s’agit en effet de passionner le public pour le rideau du théâtre plutôt que sur la scène qui se situe derrière lui. Jamais cette façade n’a eu vocation à cristalliser le débat autrement que comme symbole ou alors depuis qu’elle s’est réduite au seul vestige d’un ensemble censément protégé par la loi. S’applaudir du résultat c’est se féliciter de la façon dont la loi elle-même est foulée aux pieds. C’est ce que font les promoteurs par la voix du Progrès qui lui accorde une colonne pour le faire. Le journal n’ouvre pas une réflexion profitable au débat public en s’interrogeant notamment sur la violation du droit urbain ou la place des citoyen.ne.s dans les prises de décision. En procédant du parti pris que la volonté des projets urbains privés doivent donner le ton, il conforte une vision du monde libérale, conservatrice, où les plus forts peuvent se permettre d’appliquer la loi tant que celle-ci ne contrevient pas à la défense de leur intérêt personnel.

A propos des friches industrielles pourtant, les idées de des habitant.e.s ne feraient pas défaut à l’appel. Mais les initiatives collectives sont vouées à tomber raides mortes dans la poudre d’un paysage banalisé, la ville dense, l’hydre du capitalisme métropolitain.

On le voit cette affaire a été traitée de bout en bout sans sérieux. Et puisqu’il en est ainsi nous ne résistons pas à proposer notre propre version alternative du projet, elle aussi très respectueuse du site (attention c’est une blague) :

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Le choix du dinosaure évoquera l’ancien graff de la pieuvre (qui a fini avec un coup de pelleteuse derrière la nuque). Une passerelle pourra être dressée entre l’extrémité de la tête du dinosaure et la crête de la pyramide, tout ceci dans l’esprit du faubourg-tout.

PierreD pour La Ville Édifiante.
Article paru sur notre Blog https://lavilleedifiante.wordpress.com

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