GUERRE DES SOCIALISMES
L’épisode des conseils de Bavière nous apporte, avec le recul, plusieurs enseignements à propos de la valeur de l’expérience et de l’attitude possible des différentes « familles » du socialisme devant une situation révolutionnaire. En ce qui concerne ce dernier point, les faits se sont montrés accablants. Lorsque se produit la révolution bavaroise, les 7 et 8 novembre 1918, la direction sociale-démocrate (S.P.D.), débordée, feint de pactiser avec le mouvement révolutionnaire pour mieux le canaliser.
Elle constitue un gouvernement provisoire avec un séparatiste minoritaire : Kurt Eisner. Celui-ci fera la balance entre la voie réformiste (S.P.D.) et bureaucratique syndicale et celle, révolutionnaire, issue des conseils. Cela le conduira à faire arrêter l’anarchiste Erich Mùhsam et d’autres militants qui poussaient vers cette dernière solution.
Désavoué par des élections, Eisner se couvre ensuite de ridicule en manifestant avec les conseils contre son propre gouvernement ! Cette cohabitation ne pouvait durer très longtemps.
La mort d’Eisner, puis la proclamation de la République des conseils le 7 avril 1919 dévoile le vrai visage des socialistes. Ils prennent alors la fuite et recrutent des troupes et des corps-francs.
Ceux-ci écraseront la révolution en mai. Mais cela leur sera difficile.
Il faudra que le gouvernement central de Berlin mobilise de nombreux renforts. Car, contrairement à ce qui s’est passé dans le reste de l’Allemagne, la révolution fut plus solide en Bavière, du moins en ce qui concernait sa défense. Cela justifia un châtiment exceptionnel : plus de sept cents exécutions sommaires et l’activité militante détruite à Munich pour tout l’entre-deux-guerres. Il faut signaler que, parmi les troupes qui écrasèrent la République des conseils se trouvaient de futurs nazis (Rudolf Hess, Himmler, Roehm,...) et que le point de départ de cette doctrine fut Munich, nettoyée de toute contestation ouvrière.
Les sociaux-démocrates ont, à cet égard, une lourde responsabilité historique. Dans un premier temps, les communistes (K.P.D.) furent à la remorque des anarchistes. C’est Erich Mùhsam qui pousse à une série d’actions menant à la République des conseils. La direction du K.P.D. envoie alors de Berlin un responsable « orthodoxe », Eugen Levine, plus, habile à manoeuvrer contre Mùhsam. Les communistes appliquent aussitôt une tactique visant à leur donner le pouvoir comme en Russie. Ils boycottent la République lors de sa proclamation et noyautent entre-temps les comités. Lorsque les circonstances leur furent favorables, ils prirent pour eux seuls la direction des affaires (ce qui n’empêcha pas la répression de s’abattre sur la Bavière). Les justifications fournies quant à leur attitude ne tiennent pas : si la révolution n’était pas mûre en Bavière, pourquoi le serait-elle devenue après les magouilles du K.P.D. dans les comités de base ?
C’est, en fait, leur tendance totalitaire qui a dicté leur conduite et précipité l’effondrement de la République. En effet, il faut mettre à leur passif d’avoir exacerbé les divisions internes au sein des conseils. Les assemblées d’usine n’étaient plus que le lieu d’affrontements où ils lançaient leur tentative d’hégémonie.
Notons que, quelques jours avant l’effondrement (26 avril 1919), les ouvriers de Munich avaient tenu une assemblée des conseils d’entreprises où ils désavouèrent à une large majorité le comportement du K.P.D. Il était trop tard, hélas !
Quant aux anarchistes, qui furent influents, nous devons reconnaître qu’ils ont fait preuve, parfois, d’une grande naïveté. Parmi les responsables désignés par les conseils le 7 avril, se trouvaient Erich Mùhsam, Gustav Landauer, Silvio Gsell. De nombreuses propositions furent formulées, dans le domaine de l’éducation ou celui du logement notamment, mais il n’y eut pas de réquisitions, de réel démantèlement des anciennes structures. Les conseils manquèrent de coordination et d’expérience pour appliquer les nouvelles mesures.
Il ne suffit pas de proclamer la fin de l’appareil étatique, il faut le détruire et le remplacer, de même pour toutes les anciennes institutions. On ne peut pour cela faire abstraction, à un certain moment, de la violence révolutionnaire, comme ce fut le cas en Bavière. Lorsque la révolution fut en passe d’être écrasée, ex-policiers, juges et bourgeois n’ont eu qu’à ressortir de chez eux, parfois même en participant à la répression ! Sans compter les sabotages et les provocations dont fut victime la République des conseils pendant sa brève existence.
Un manque de fermeté pendant les événements paraît aujourd’hui évident. Autre erreur : on ne se lance pas dans une révolution si ses acteurs n’en ont pas la capacité ! Passé le stade de l’insurrection, paysans et ouvriers de Bavière s’avérèrent incapables de définir leurs objectifs. Ernst Toner, un des protagonistes écrivit : « Le peuple savait ce qu’il ne voulait pas, mais pas ce qu’il voulait ».
Sans pessimisme, nous devons savoir que l’échec est avant tout une leçon.
Les anarchistes doivent être conscients que la véritable révolution est le fruit d’une préparation et qu’à la révolte doit succéder la pratique, amorce d’une autre société.
Yves - C.L.E.A.
Tiré de Increvables Anarchistes, série de brochure historique sur l’anarchisme.
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