Cet article à été initialement publié le 24 novembre 2015
L’attentat est dans le monde post-sovietique la plus haute expression de la marchandise médiatique. Elle a des salauds pour origine, comme dans un bon film ainsi que l’aspect soudain et meurtrier de la catastrophe naturelle, celui qui offre nombre d’images spectaculaires. On peut dire que c’est dans cette triste conjoncture de caractéristiques qui fait de l’attentat un excellent produit médiatique que se trouve toute la puissance du terrorisme [1].
Chaque fois c’est le même cirque qui se déploie. Les infos tombent en direct sur les écrans, on suit l’assaut minute par minute. La course à l’audience produit une surenchère de détails jusqu’à la nausée. Entre la télé du salon et son petit ordinateur voila que noyé-e-s sous les détails on commence à s’halluciner. Cet attentat que j’ai suivi sur mes multiples écrans, je l’ai vécu. D’une certaine manière je l’appréhende mieux que ce quidam qui doit la vie au fait d’être resté caché dans tel ou tel recoin de la scène. En temps réel j’ai été au fait des mouvements des différents protagonistes lui n’a fait qu’entendre les claquements de balles et les explosions dans son coin sombre quand moi je les ai vu depuis différents angles. Je fini par me prendre au jeu, comme devant le meilleur des polars, je ne peux plus décrocher. Voilà que vient l’heure de me lever, je relance les écrans et de nouveau, des analyses, des cartes etc - l’espace médiatique en est saturé des jours entiers.
Au fur et à mesure que j’engraisse les différents médias que j’utilise, je me sens de plus en plus victime de ce qui se passe. C’est que cette nausée qui nous prend, c’est une grande vague d’empathie. Soudainement la souffrance des autres s’étale en grande lettre sur les boulevards. Ce que l’empathie nous pousse soudain à ressentir ce n’est pas seulement la peur, c’est la panique du chaos généré par l’attentat qui se répercute à travers les mots et les images. Soudain ces vies qui m’étaient lointaines et étrangères me deviennent familières. Les journaux étalent dans leurs colonnes des portraits-hommage au milieu de témoignages de survivants. Au fur et à mesure que je rencontre ces personnes, qu’elle me deviennent familières je me reconnais en elles, je m’y transfère. Dans ce processus la panique qui au début était médiatisée par les journaux devient ma panique. Je me l’approprie entièrement. Il ne manque presque rien pour que les agresseurs triomphent. Me voilà prêt à renoncer à chaque portion de liberté pour mettre un terme à cette terreur. Dans les contes c’est en général le moment où le diable vous offre un moyen de troquer le salut de votre âme contre le salut de votre corps. Dans la vie il semble que l’on a de toute façon déjà signé ce pacte depuis longtemps.
C’est de ce moment de panique que le terrorisme tire son nom, la panique chez les garants de l’ordre causée par la possibilité que chaque civil puisse être le soldat de la subversion qui viendra l’abattre. La peur face à cette foule au milieu de laquelle on patrouille disparaît au profit d’une tout autre stratégie. Ici l’expérience de la foule est retournée, ce n’est plus la marée qui cache la subversion, c’est elle qui est l’objet de l’agression.
La multiplication des nouvelles n’apparaît donc plus comme ce doux chant de victoire qu’on écoutait jadis sur radio Londres. Derrière mes écrans je vis l’expérience de la soldatesque aux ordres de l’oppresseur. Point de perspective d’émancipation derrière ces morts. Dans cette nouvelle Mythologie voila que des Goliaths de tailles variés s’en prennent à un pauvre David désorienté, prétendant chacun vouloir son bien et finissant par le démembrer.
Les communautés humaines, depuis l’invention de l’état moderne, tendent de plus en plus à coïncider avec les frontières de celui-ci. Il utilise à cet effet une bonne partie des ressources à sa disposition. Les médias, en profitant de l’aubaine offerte par cette apparition du spectacle sous sa forme la plus pure, participent à ce processus au même titre que les terroristes, l’état et le personnel politique. Sans ces instances de médiation, la mort de quelques centaines de personnes en un endroit ou un autre ne nous concerne que peu. La mort quelques heures avant de libanais dans la même circonstance en est la tragique démonstration. Ce qui finalement va nous perdre, c’est donc d’avoir manquer d’empathie avec les libanais et de ne pas avoir pu sentir dans nos chairs que leur souffrance était la notre. Alors que la souffrance de notre voisin médiatisé au plus haut degré nous aura littéralement rendu abruti cédant sur toutes les maigres victoires qui pouvaient encore laisser croire que les démocraties étaient autre chose que l’organisation de la soumission par la norme.
Si les intérêts de chacun des acteurs convergent à ce moment malgré leurs différences, c’est qu’ils touchent à leur nature profonde. Tout le personnel de direction qui composent ces institutions sont des petits fonctionnaires du capital, les Énarques sous-préfet de provinces, comme les anciens cadres de Baas ministres de Daesh constituent une partie motrice de la petite bourgeoisie de leur région. Chacun défend sa place dans le jeu de concurrence entre les bourgeoisies locales qu’on nomme globalisation. Si les défenseurs de l’État Nation sont si terrifiés de voir les groupes terroristes d’Irak et de Syrie se proclamer État Islamique au Levant c’est bien parce que c’est cette évidence qu’il n’y a pas d’État qui ne soit terroriste qui transparaît là. Chaque dommage collatéral d’une bombe qui tombe d’un rafale français nous apparaît pour ce qu’il est un acte politico-militaire visant des populations supposées conciliantes avec les institutions qui les administrent. A l’autre bout du monde, une population terrorisée vit sous les bombes et rencontre quotidiennement le diable de notre conte.
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