La réforme des retraites en trois mensonges
« “Ça sera plus transparent” »
Aujourd’hui la situation est loin d’être parfaite mais on sait au moins quels sont nos droits en fonction de nos cotisations. Demain, avec un système de retraites à points, non seulement les droits évolueront en fonction de l’espérance de vie, mais aussi en fonction des valeurs d’achat et de service du point, valeurs déterminées chaque année par le gouvernement… selon des critères peu clairs.
D’un système à prestations définies, on passera donc à un système à cotisations définies : résultat, on sait ce qu’on paie en cotisant, mais pas ce qu’on gagnera à la retraite…
De plus, le gouvernement entend limiter les dépenses consacrées aux retraites à leur niveau actuel, soit 13,8% du PIB. Comme le nombre de personnes à la retraite va augmenter dans les années à venir, la part de retraite revenant à chaque personne va mathématiquement diminuer. Ainsi, le Conseil d’orientation des retraites a calculé que le taux de remplacement (le rapport entre le dernier salaire et la pension) passerait de 64,4% (en moyenne aujourd’hui) à 50,9% en 2050. En outre, qu’en sera t-il si le PIB baisse, comme c’est le cas après une crise économique ?
« “Ça sera plus juste” »
Alors qu’à l’heure actuelle le calcul de la retraite se fait sur les meilleures années ou les 6 derniers mois, dans le système de retraites à points il se fera sur la totalité de la carrière. Là encore, ce seront donc les plus pauvres qui trinqueront.
Comme ce nouveau système va affaiblir durablement le niveau de vie des retraité·es, dans le même moment la loi Pacte encourage la mise en place de retraites par capitalisation : les plus hauts salaires pourront se faire une retraite complémentaire, encouragés par de nouveaux avantages fiscaux, et la finance va récupérer l’argent de ceux et celles qui voudront et pourront épargner via des organismes privés. Drôle de conception de la justice sociale…
« “Ça sera mieux pour les femmes” »
Les femmes ont de nombreuses discontinuités dans leur carrière à cause de la précarité et de l’inégalité, dont la charge de l’éducation des enfants qui, dans une société patriarcale, repose d’abord sur elles. Comme la pension sera calculée sur toute la carrière, elles subiront donc une baisse de pension par rapport à la situation actuelle.
Les femmes vont également perdre la MDA, Majoration de Durée d’Assurance, qui était égalitaire. Dans le nouveau système, un membre du couple aura 5% de bonus par enfant, au choix des parents, ce qui favorisera le choix de reporter la bonification sur celui qui gagne le plus : l’homme en général (en 2015, en équivalent temps plein une femme gagnait entre 18,5% et 23% de moins, selon la méthode de calcul, qu’un homme).
La fin du régime par répartition
En l’état, ce qui va disparaître si ce projet voit le jour, c’est la retraite issue de la Sécurité Sociale telle qu’on la connaît depuis sa création en 1945 : un système redistributif, qui donne plus à celles et ceux qui ont moins, en gommant les accidents de carrière, en attribuant un meilleur taux de remplacement aux salaires les plus faibles…
Ce système émanant de choix politiques imposés par les rapports de force des mouvement de résistance, s’est ensuite amélioré grâce aux luttes sociales. Mais depuis 1993 il est remis en cause par les gouvernements successifs.
Presque 30 ans de grignotage de nos droits : ça suffit !
- 1993
Balladur réforme en plein été. Calcul sur la moyenne des salaires des 25 meilleures années, au lieu des 10. Indexation sur les prix et plus sur les salaires. Passage de 37,5 à 40 annuités pour une retraite complète avec une décote de 5% par année manquante. Diminution des pensions du secteur privé de 20%.
- 1995
Grandes grèves de décembre contre la casse des régimes spéciaux. Juppé et Chirac doivent reculer.
- 2003
Passage de 37,5 à 40 annuités dans la Fonction publique dans un contexte où la grève reconductible ne se développe réellement que dans le secteur de l’Éducation nationale. Mise en place des décotes mais maintien de la référence aux 6 derniers mois pour le calcul de la pension.
- 2007
Au nom de l’équité, figure de proue du nivellement par le bas, le gouvernement attaque les régimes spéciaux.
- 2010
Relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et relèvement progressif de 65 à 67 ans, à partir de 2016, de l’âge à partir duquel ne s’applique plus le mécanisme de décote pour les salarié.e.s n’ayant pas cotisé le nombre de trimestres requis pour une retraite à taux plein.
Travailler plus… ou lutter plus pour inverser la vapeur
Concernant la réforme actuelle, si le gouvernement a renoncé à augmenter tout de suite la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein ou à reculer l’âge de départ, c’est pour ne pas faire de vagues à peu de temps des élections municipales et parce que la contestation sociale est très forte avec notamment le mouvement des gilets jaunes. Mais ne rêvons pas, le but est d’inciter le plus grand nombre d’entre nous à travailler plus longtemps parce que que nous vivrions plus longtemps. Ce prétexte qui ne pourra peut-être bientôt plus être utilisé puisque depuis 2 ans la courbe de l’espérance de vie en France est en train de redescendre, est à mettre en perspective avec un autre indicateur : l’espérance de vie en bonne santé ou sans incapacité. En France, il est de 64,1 ans chez les femmes et 62,7 chez les hommes, à savoir en-dessous de la moyenne en Europe (64,2 et 63,5 ans). Il est de plus à relativiser en fonction de la classe sociale, un.e ouvrier.ère vivant en moyenne 6 ans de moins qu’un.e cadre.
Allons nous nous résoudre sans réagir à accepter comme seule perspective future de passer directement de nos lieux de travail à l’hôpital ou à la maison de soin ou assisté.e.s à domicile par des auxiliaires de vie sous payé.e.s ?
Si l’histoire nous montre que les conquêtes démocratiques et sociales ne sont jamais définitivement acquises, il en est de même pour les reculs imposés par les gouvernements.
À minima les stopper… mais aussi reconquérir des droits
Si le système de retraite par répartition ne remet pas en cause les inégalités intrinsèques au capitalisme, il permet toutefois de limiter un peu les dégâts. C’est pourquoi une riposte d’ampleur de celles et ceux qui sont attaqué.e.s, nous les travailleurs et travailleuses, s’impose pour faire reculer le gouvernement.
Lutter contre un système de retraite nous faisant passer d’une logique de redistribution à une logique de capitalisation et nous imposant de travailler plus ce n’est pas seulement refuser la détérioration de nos propres conditions de vie. C’est aussi refuser une situation ubuesque où l’âge de départ en retraite est retardé alors que les taux de chômage chez les jeunes et les plus de 50 ans battent des records.
Pouvons nous laisser l’élaboration de notre futur à celles et ceux qui profitent du système capitaliste et qui n’ont aucun intérêt à ce que soient posées les questions du partage du travail et des richesses ?
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