Nuits debout / jours de colère [1]
Des courses folles dans les rues, le périph bloqué sous les gaz et une pluie de fin du monde, des lycées débrayés, un peu de casse à la Police aux Frontières, au tribunal ou au local du PS...
Plus loin des affrontements géants avec la police, à l’échelle d’une ville ou au coeur de la capitale.
Des occupations d’amphi, ou de places, dans des dizaines de ville.
Ce “mouvement ” échappe aux formes classiques de la politique : celles qui ont précisément vocation à l’encadrer puis à l’enterrer quand le moment sera venu. Les syndicats sont débordés depuis le début de l’histoire, ou bien, ça et là, rejoignent le bordel ambiant. Et surtout il n’y a pas d’issue politique à la crise : qui ira voter à gauche lors des prochaines élections alors qu’on se bat depuis un mois contre un gouvernement socialiste ? Qui ira voter contre l’extrême droite et pour une droite dure au deuxième tour ?
Pas d’issue providentielle : tout est ouvert, la situation nous appartient. D’où un certain sentiment de vertige, et l’extrême disponibilité de tous ces gens qui ne veulent plus rentrer chez eux, le soir, après la manifestation... mais qui ne savent pas trop quoi faire, ni comment faire, comment être ensemble, une fois qu’on se retrouve serrés mais un peu embarassés, comme des pingouins sur la banquise, place Guichard ou place de la République.
Retours sur terre
On nous a dit que ça ressemblait au mouvement des places en Espagne, ce qui peut inquiéter si on considère que cette séquence n’a pas vraiment déclencher de révolution de l’autre côté des Pyrénées... Mais dans le jeu de ressemblances-dissemblances il y a peut être la place de débusquer quelques pistes pour que quelque chose arrive, les nuits qui viennent.
En Espagne il y avait quand même beaucoup plus de monde. Peut être à cause de la météo. Mais surtout pendant un mois et demi, les places ont été réellement occupées, jour et nuit, ce qui impliquait de se ressaisir au moins de quelques nécessités : faire à manger, construire des endroits où dormir, les infrastructures du mouvement (infirmerie, points info, ateliers divers)... S’auto organiser. Ce qui n’est pas sans rapport avec l’objet de la mobilisation actuelle... Lutter contre la précarité implique bien de nous ressaisir de l’organisation effective de nos existences, face à la vie qu’on nous réserve : alors comment on mange à plein, avec ou sans thune ? comment on se loge ? comment on se parle et on partage quelques élans, pour rompre notre isolement bien utile d’un point de vue gestionnaire...
A un moment, les grandes AG à deux mille personnes sur les places espagnoles, où là aussi on votait tout et son contraire, sont devenues suffisamment ridicules pour que des gens se mettent à faire d’autres choses. Partir à quelques dizaines ou quelques centaines pour effectivement s’opposer aux expulsions locatives, dans un contexte de lutte pour le logement ; des occupations de centre de santé pour en faciliter l’accès à tous et toutes... Pour Nuit debout il y a eu aussi de belles manifs sauvages, notamment sur Panam, et des affrontements sporadiques. Mais quand même, ancrer l’occupation des places dans la situation implique qu’on se bouge. Contre la loi travail pas mal de gens commencent à parler de blocage économique : empêcher que l’économie tourne rond et continue à nous mouliner corps et âmes...
Après ce rayonnement d’actions diffuses, dans la ville, le second mouvement a été de redéployer l’occupation en plusieurs dizaines d’assemblées et d’organisations de quartier (130 rien que pour la Catalogne). Histoire de se rapprocher des enjeux effectifs, se donner des prises à portée, lutter concrètement contre tel ou tel aménagement, ouvrir des crèches, occuper des lieux pour habiter, se capter, se tenir, construire des réalités et des chimères qui valent la peine.
Qu’est ce qui se passe ici, au bas de la rue, et comment on s’en ressaisit ? comment faire de la ville un terrain d’affrontement, un terrain de jeu, un territoire où se dégager de l’économie, faire reculer la police, ne plus la trimballer partourt dans nos têtes... Si on commence à répondre à ces petites questions, ils pourront toujours voter en 2017, nous on sera ailleurs, c’est à dire ici bas. Si ça vaut le coup, nous retiendrons la nuit.
Post scriptum sur les conditions objectives et la grève générale
Les AG des nuits debout, ou leurs open mic’, sont parfois déprimantes. Il en ressort rien. Alors qu’il suffirait de presque rien, une petite parcelle de réalité, pour que ça s’agrège, que ça bouge. Un geste, une idée, une cabane (si elle a de la gueule). En un sens, il n’y a rien à en attendre, c’est comme la grève générale. On n’a pas à attendre que tel ou tel secteur se mette dans le mouvement, parce que nous sommes tous et toutes pris dans la même situation, le même tissus affectif étrange : il se passe quelque chose mais quoi ? Le premier mouvement de la grève générale c’est donc d’aller fouiller en nous pour trouver cette détermination, un truc qu’on veut vraiment tenter et qu’on lâchera pas, quelque chose qui ressemble à une ZAD, un chateau commun ou une émeute. La grande vie.
une nuit debout quelque part sur la terre
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