Défendre la ZAD, Comme l’on défend sa peau
Région nantaise, Notre-Dame-des-Landes [1]. Depuis quarante ans, un projet d’aéroport « vert » menace d’atterrir sur 2000 hectares de terres agricoles, bocages et hameaux. Mais c’était sans compter qu’à la fin des années 2000, des dizaines de personnes viendraient s’installer sur cette Zone À Défendre, à l’appel d’habitants et de paysans qui avaient choisi eux de résister. Des occupants sans droits ni titres qu’une opération de type militaire à l’octobre 2012, la pompeuse « César », tente d’expulser avec la plus grande difficulté pendant plusieurs semaines. Infructueusement.
Et ce qui se pensait alors dans les couloirs du gouvernement comme une opération de nettoyage prend la gueule d’un double-revers. Le « kyste », comme on en parlait à l’époque, se généralise salement, et pire, gagne en profondeur. Les soutiens non seulement affluent (40 000 manifestants participent le 17 novembre 2013 à la reprise du bocage et à la construction d’un ensemble de nouvelles cabanes), mais décident à l’occasion de rester sur zone, faisant gagner l’occupation en densité.
Des vies, nos vies, se mêlent si profondément à la lutte qu’elles en deviennent inséparables. Il ne s’agit plus ici de seulement militer pour ou contre une cause, ou en réaction à un grand projet nuisible, mais de rendre poreux l’existence et le combat jusqu’à en affaler les frontières.
C’est bien d’habiter dont nous parlons, de tout donc sauf d’une triviale évidence. D’habiter, c’est à dire, de lier nos présences ici-bas à un territoire qui n’est pas fait que de nous, mais d’une prise à bras le corps enfin possible des événements les plus élémentaires d’une vie digne de ce nom. Bâtir, faire pousser, regarder pousser, nourrir, se nourrir, mettre en commun, s’embrouiller et se réconcilier sans médiation policière, soutenir sans faille, extirper le gouvernement hors de nous, et affirmer sans détour que l’aéroport ne se fera pas. Et de lier, en définitive, nos destins individuels à celui d’une construction collective fondamentalement politique.
On n’expulse pas les rêves et les espoirs qui ont pris racine dans les plis de chaque existence. À la ZAD, l’idée de victoire s’étend au-delà du strict abandon du projet, en communisant les terres et en pensant les conditions d’une zone libérée et contagieuse [2]. Deux perspectives entrelacées d’une manière irrévocable, rendant irrésistible le mouvement vers leurs réalisations.
Humilié une première fois sur le terrain, le gouvernement – soucieux d’opposer à l’aura de mollusque qu’on lui connaît l’affirmation d’une virilité qu’il estime plus que jamais de circonstance – songe à Notre-Dame-des-Landes comme à l’antidote de sa propre impuissance. Il faut résoudre cette crise, au moins, à défaut de n’importe quelle autre. Qu’il s’agisse de faire plus ou moins semblant de parler d’un projet d’aéroport aussi inconsistant que dépassé ou, plus franchement, de considérer la question sur le plan des principes, de la ZAD comme d’un « défi lancé à la République ». Car c’est bien de cela dont on parle.
Alors se déploie un pathétique scénario de manœuvres de pouvoir, au sujet desquelles on ne peut depuis longtemps plus parler de politique. Si à l’été de cette année l’exécutif avait su nous divertir par quelques annonces spectaculaires, puis en automne en relançant une ou deux procédures techniques comme s’il s’agissait d’éclaireurs qu’on enverrait sur un champ de bataille à venir [3] , il avait en novembre-décembre décidé de prendre une petite pause, en attendant que passe une météo moyennement propice (il paraît que la France accueillait un sommet inter-gouvernemental censé résoudre l’apocalypse climatique, l’info étant tombée in extremis dans son oreillette). Et puis en janvier, reprise, on poursuit la décision de s’attaquer le plus fourbement du monde aux habitants et paysans historiques de la ZAD de NDDL, les convoquant à un procès pour le 13 janvier à Nantes. En sachant d’ailleurs très bien ce que l’on vise au fond.
Le territoire en lutte lui ne s’y trompe pas :
Le procès du 13 janvier est une attaque sans précédent contre les habitants et paysans résistants de la ZAD. Une attaque du même ordre que celle de l’automne 2012, même si elle ne prend pas cette fois ci la forme d’une intervention policière, du moins pour l’instant. AGO-VINCI veut à tout prix acculer les habitant-e-s au départ, en les menaçant d’expulsion sans délai, de saisie de leur bien et de leur cheptel et en réclamant qu’ils soient condamnés à des amendes journalières exorbitantes. Il n’est pas question de laisser l’État expulser une partie d’entre nous, ni même de laisser peser une telle menace sur l’ensemble des habitants de la zone [4].
Faire menace, détacher les liens, tenter de gagner sournoisement et petit à petit du terrain. Comme toujours, on a peur de ce qui fait masse – et à plus forte raison lorsqu’on s’y est déjà fait prendre une fois -, alors on cherche à porter la guerre au niveau individuel, en croisant les doigts pour que peut être existe un niveau infra aux solidarités...
Manque de bol ou plutôt erreur de calcul, c’est une mobilisation générale qui trouvera à répondre à cette nouvelle déclaration d’hostilité. La ZAD dans son ensemble, avec tous ceux qui la partagent sur place, toutes les composantes du mouvement de lutte. Et puis tous ceux qui peuplent son territoire : non pas de simples limites géographiques, mais d’abord une essentielle détermination commune à ce qu’autre chose qu’un monde planifié et puant la mort puisse exister.
À ceux-là, aux comités locaux et autres groupes amis, campés hors du bocage nantais tout en en étant le prolongement, on nous adresse aujourd’hui :
Notre perspective est l’abandon du projet, cependant notre force collective doit arracher immédiatement l’engagement de l’État à renoncer à toute procédure d’expulsion jusqu’à ce que tous les recours soient menés à leur fin [5].
Et puisque la Zone A Défendre c’est une part de nous-mêmes, qu’on la foule du pied chaque jour, qu’on la traverse quelquefois, ou qu’on l’éprouve simplement comme possibilité d’éclaircie depuis une autre région locale d’un présent au bord de l’abîme : nous la défendrons, comme on l’entend dire la-bas, « comme on défend sa peau ».
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