De la manifestive à nos pratiques militantes :
Encore une fois, les flics s’en sont donnés à cœur joie durant la manifestive d’avril 2005 sur Lyon, quoi d’anormal là dedans ? Rien du tout malheureusement, d’ailleurs : "à quoi servirait le pouvoir si on ne pouvait pas en abuser ?"
Mais aussi tragiques qu’aient pu être les derniers évènements, surtout dans leurs suites : arrestations brutales, mises en garde à vue et pour finir le résultat du procès de Luis et Christian, pouvons-nous nous contenter de hurler à la répression et de dire que les flics sont des fachos ?
Je ne pense pas, puisque cela, nous le savions déjà bien avant de nous confronter à eux. L’attitude policière ce jour là, n’étonnera donc que les naïfs ou les rebelles de base. Alors comment s’organiser pour éviter ou limiter ce genre d’incidents ? Personnellement, le principe de manivestive m’a toujours paru, pour rester poli, comme un piège et ce n’est pas ce qui s’est passé en avril à Lyon qui va me convaincre du contraire. Je pense même que d’un point de vue stratégique, telle qu’elle est généralement mise en œuvre aujourd’hui (refus, ce n’est pas toujours le cas il est vrai, d’avoir un service d’ordre par amalgame, mauvaise gestion des débordements par peur de paraître autoritaire) ne peut qu’être une aubaine pour les policiers désirant entraîner leurs nouvelles recrues en les mettant en situation facile pour les familiariser à la casse du manifestant. C’est aussi une des apparitions les plus facilement détournables pour les médias (c’est, je l’accorde, un peu facile de dire ça puisque même la manif la plus irréprochable peut être mise sous un angle négatif avec un "bon" traitement de l’image, mais il y a quand même des limites) C’est apporter de l’eau au moulin de leur propagande qui vise à faire passer les act-rices-eurs des mouvements sociaux pour des irresponsables sans réelles alternatives politiques à proposer.
Ce qui suit est une définition de la manifestive présentée sur Rebellyon : « c’est avant tout une manifestation avec des revendications sur un ou plusieurs thèmes. Mais quitte à manifester, autant le faire de manière rigolote, colorée et festive. D’où le principe de fête de rue à caractère militante ».
Dans le paragraphe qui suit, je me base sur les discours que j’ai pu entendre et sur ce que j’ai lu sur cette pratique sur Rebellyon. Peut-être que d’autres personnes prônant la manifestive pourraient me faire changer d’avis, ou peut être me conforter un peu plus dans mes opinions.
Théoriquement, elle est proposée comme une alternative à deux catégories. Mais deux catégories qui me semble caricaturales : il y aurait d’un coté les militants rabats-joie, ne sachant jamais parler d’autre chose que de politique et de l’autre, les fêtards, plutôt dépolitisés. Il suffirait donc de faire une manif qui mixe les deux tendances pour rallier les deux camps. Est-ce aussi simple que cela ? Je ne crois pas. Beaucoup connaissent ce petit slogan de comptoir : "la lutte oui, mais la fête aussi." Est-il critiquable ? Oui et non, en fait cela dépend de la façon dont il est interprété. Il y a ceux qui pensent que l’on ne peut pas faire les deux en même temps (le tract dans une main, la bière dans l’autre) je suis de ceux-là. Mais ces mêmes personnes reconnaissent que le militantisme demande beaucoup d’énergie et d’investissement et qu’il faut donc savoir se ménager en s’accordant des moments de décompression, autrement dit : savoir faire la fête, mais hors du cadre du militantisme. Puis il y a les autres, qui pensent que l’on peut lutter tout en faisant la fête. Nous en revenons donc à cette fameuse pratique de la manifestive, qui est à mon avis, premièrement, tout sauf une nouveauté et deuxièmement une aubaine pour les flics.
Les phrases qui suivent ne s’adressent qu’à une petite minorité présente dans ce genre de rassemblement. Pour caricaturer, la manifestive est pour certain-es, soit un moyen de boire quelques bières dans la rue en se donnant comme caution (et encore !) un fond politique, soit une façon de se coller une étiquette de militant, le temps d’un parcours de manif. C’est donc militer sans vraiment militer, dénoncer sans vraiment dénoncer, ou disons, l’espace d’un après-midi seulement, à condition qu’il soit ensoleillé bien sûr. Le principe de manifestive est potentiellement dangereux car il crée un flou entre l’espace de lutte et l’espace de fête, surtout pour les gens qui n’ont pas ou peu d’expérience dans les luttes. Laissons de coté et ne nous laissons pas berner par l’effet de nombre : il y a certainement quelque chose de motivant à participer à une manif imposante, mais au fond ? Est-ce pour autant que l’ont sera plus convaincant et que l’on va attirer l’attention des gens sur le discours politique de fond ? Je suis sûr que non. Cela me rappelle un peu les rassemblements sur le Larzac. Si il n’y avait pas des groupes très connus programmés pour un concert en fin de soirée, nous savons très bien que les rassemblements attireraient moins de monde . De plus, nous savons très bien que les réseaux militants restent ce qu’ils sont une fois la fête finie, c’est à dire minoritaires.
Aujourd’hui, au vu des dernières mesures d’état d’urgence, nous devons sérieusement remettre en cause nos façons de militer : celles et ceux (je m’inclus dedans) qui continuent de militer aujourd’hui de la même façon qu’il y à quelques années, sont à côté de la plaque. Combien de militant-es se contentent de differ leurs tracts sans prendre le temps de créer la discussion avec les gens dans la rue ? Mais à quoi bon ? Si ce n’est pour ensuite s’auto-féliciter d’avoir fait une bonne diff. Cette opinion n’a pour but que de mettre en avant le fait que les milieux militants (politiques, associatifs, collectifs, syndicats, orgas, les étiquettés sans étiquettes, squats, etc) sont aujourd’hui en crise, nous nous posons tou-tes la question de comment continuer à résister face aux lois qui sont votées sans que nous puissions faire quoi que ce soit pour empêcher leur mise en place. Désarroi que nous ressentons tou-tes face à la montée d’un climat que nous jugeons comme l’avènement d’un fascisme moderne. Pour ma part, j’ai participé à de nombreuses manifs, rassemblements, actions ANPE, etc... Et je ne regrette rien, il fallait le faire et il faut continuer tant que nous pouvons le faire, car je suis convaincu que dans un avenir très proche, ce genre d’apparitions ne sera plus possible (couvre-feu = interdiction de réunions, rassemblements, etc.). Qui est visé dans ce texte de loi si ce n’est les gens les plus "dangereux" après les jeunes de banlieues pour l’État républicain, c’est à dire nous, act-rices-eurs des luttes !
Beaucoup sont frustrés car ils-elles aimeraient transmettre leur clairvoyance et leur esprit critique (politiquement parlant) aux gens qu’ils-elles croisent dans la rue simplement en leur donnant un tract. Autour de moi je vois trop de personnes qui pensent que c’est comme cela qu’un grand mouvement va naître et soulever les foules - je caricature un peu... Moi aussi je suis parfois rongé de l’intérieur en voyant l’inertie face à l’aggravement du climat social. Mais il ne faut pas se faire d’illusions sur les diffs de tracts et les diverses apparitions que nous pourrons faire, cela n’a jamais ramené de nouve-lles-aux militant-es ou des personnes en nombre prêtes à s’investir dans les luttes. Ce n’est pas en diffant des tracts dans la rue que nous allons susciter la révolte - au bon sens du terme - des gens. D’ailleurs, les gens, c’est aussi nous, cessons la division "nous" et "les gens", qui n’est d’ailleurs pas présente que chez les avant-gardistes. Il faut simplement comprendre (et je ne prétends pas apprendre quoi que ce soit à qui que ce soit) que l’on ne peut pas, quelle que soit l’énergie que l’on dépense, dépasser le climat politique actuel. Historiquement nous avons toujours été une minorité, même en periode de forte agitation.
En fait, il faut se dire que tout ce que nous faisons, nous le faisons pour maintenir - et vous serez tou-t-s d’accord avec moi pour dire que c’est déjà bien assez - un discours en vie et peut-être rien de plus.
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