Ceci n’est pas un call out : Se positionner pour une vraie autodéfense féministe

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Brochures

A travers une nouvelle brochure, le collectif Bagarre revient sur les questions de justice restaurative afin d’alerter sur l’injonction au pardon, à l’humanisme moralisateur et le libéralisme à l’œuvre dans nos milieux de luttes révolutionnaires et réaffirme le besoin d’autodéfense féministe pour protéger les victimes de violences sexistes et sexuelles et lutter contre la culture du viol.

(Brochure téléchargeable à la fin de l’article.)

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Element de contexte

Ce texte a été écrit par des militant.es blanc.hes et non-blanc.hes du collectif Bagarre. Nous ne sommes pas des universitaires, la forme employée ici n’est pas académique. C’est celle de militant.es de terrain qui luttent depuis des années au sein des milieux féministes, anarchistes, antifascistes, queers, etc. C’est aussi celle de victimes de viols, violences sexistes, abus, agressions sexuelles et violences conjugales, qui ont vu leur propre camp passer sous silence ces questions là depuis trop longtemps.
Ce texte fait suite à divers événements et discours du milieu militant qui nous alertent. Notamment celui sur la justice restaurative, mais aussi la critique de l’exclusion, la réhabilitation des agresseur.es et violeur.es dénoncé.es dans les milieux militants. Nous avons pu voir à Toulouse par exemple des cercles de parole en mixité choisie entre personnes exclues (c’est à dire aussi une mixité agresseur.es / violeur.ses).
Ce texte fait écho au nombre impressionnant de viols et d’agressions sexistes vus et vécus dans les milieux militants ainsi que leur prise en charge collective maladroite,voire inexistante, passant même parfois par l’abandon et l’ignorance des victimes.
Ce texte permet d’affirmer nos positionnements politiques mais aussi de répondre à des critiques faites à notre encontre, notamment pour ne pas avoir voulu intégrer dans notre collectif une personne autrice de VSS et qui ne reconnaît pas les faits.
Ces questions de justice restaurative ne concernent pas que le milieu féministe. Nous alertons sur la dangerosité de voir se propager une critique de l’autodéfense et une injonction au pardon généralisé dans nos milieux de lutte révolutionnaires.

SOMMAIRE :

> Intro
1. Le féminisme à l’épreuve du backlash
2. Justice punitive : quand les discours masculinistes s’invitent dans notre camp
3. Chier sur l’héritage des luttes féministes : un passe-temps récurrent
4. Protéger nos espaces de luttes : un besoin évident et vital
5. Not all men but all people
6. Justice punitive et anticarceralisme : pureté militante et complaisance
7. Le miracle de la sainte justice restaurative
8. Gestion de conflits : pacifier la lutte à tout prix
9. Logique capitaliste du développement personnel : "ouvrir ses chakras contre le patriarcat"
10. Autodéfense féministe
> Conclusion

Intro

Ce texte va parler de violences sexistes et sexuelles (VSS) et notamment de viols. Il traite des outils qu’ont développé les luttes féministes ces dernières années pour y répondre, principalement au sein de nos espaces de luttes. Qu’on soit bien d’accord, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas des "conflits" ou des "micro-agressions" mais bien des violences systémiques encouragées et permises par la société patriarcale. L’angle de vue est celui du féminisme révolutionnaire anticapitaliste et ce texte veut rappeler que le féminisme libéral n’a rien à faire dans nos milieux.

1. Le féminisme à l’épreuve du backlash

Ce paragraphe revient sur le mouvement #metoo et sur le coup de projecteur mis sur le féminisme qui a suivi, ainsi que l’offensive masculiniste en réaction ouvrant la porte à un retour de bâton permettant une banalisation des discours antiféministes.

2. Justice punitive : quand les discours masculinistes s’invitent dans notre camp

Ici il s’agit de définir ce qu’est la justice punitive exercée par l’Etat. De rappeler la différence entre féminisme réformiste qui réclame plus de prison pour les auteur.es de VSS et le féminisme révolutionnaire anticarcéral. Il s’agit aussi de rappeler les besoins des victimes et comment les féministes essayent d’y répondre.

3. Chier sur l’héritage des luttes féministes : un passe-temps récurrent

Non sans une pointe d’agacement, on revient ici sur le sabordage à l’œuvre des luttes féministes, parfois au sein même de notre propre camp. Ce paragraphe rappelle les outils d’autodéfense à notre disposition (call-out, call-in, exclusion) et les combats menés pour y arriver. Et tente de remettre du sens dans des mots vidés de leur essence. (spoiler alert : non les agressions sexuelles et les viols ne sont pas des “conflits” mais bien des rapports de domination entretenus par un système patriarcal et la culture du viol qui en découle)

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4. Protéger nos espaces de luttes : un besoin évident et vital

Après avoir vu quels outils hérités des luttes féministes nous avons à notre disposition pour protéger les victimes de VSS, nous tenterons de définir pourquoi nous les utilisons. Pourquoi il nous semble important de défendre ces outils face à celleux qui tentent de les supprimer voire de les criminaliser. Nous soulignons au passage que ces outils ne sont remis en cause que dans le cadre des VSS, ce qui n’est pas anodin. Il ne viendrait à l’esprit de personne de débattre de l’exclusion d’un.e journaliste ou d’un.e flic infiltré.e.

5. Not all men but all people

Ce paragraphe alerte sur l’injonction à sortir du prisme victime / coupable et le discours refusant de voir des responsables. Sous prétexte que tout le monde peut agresser un jour, on passe de “not all men” à “all people”. On rappelle ici qu’il y a bien des auteur.es de VSS et des victimes et bien des personnes et des systèmes permissifs à interroger. Sinon qu’en est-il de la lutte des classes ? Qu’en est-il du réchauffement climatique ? Ne pouvons nous pas désigner de responsables du désastre capitaliste et écologique ?

6. Justice punitive et anticarcéralisme : pureté militante et complaisance

Nous revenons ici sur l’indécence qui consiste à comparer l’autodéfense féministe à de la justice punitive, a du carcéralisme, avec l’argument assez fous selon lequel en dénonçant des VSS les féministes radicales font pire que la police. Rhétorique bien connue de nos ennemi.es politiques qui consiste à criminaliser les luttes tel les grévistes qui deviennent des « preneurs d’otages ». Lors de #metoo c’est les masculinistes et le camp réactionnaire qui s’insurgeaient que la libération de la parole était comparable à de la délation et faisait penser « aux pires heures de notre histoire. »
Nous rappelons ici que les féministes révolutionnaires ne lancent pas des grenades sur les manifestant.es, n’enferment pas des gens derrière des barreaux, ne tuent pas des jeunes racisés dans les quartiers et ne harcèlent pas les pauvres, les SDF, les putes, etc.
Nous rappelons qu’exclure une personne du milieu militant ce n’est pas l’enfermer mais la renvoyer vers l’extérieur et que comparer ces pratiques à la prison est également indécent pour toutes les personnes enfermées.

7. Le miracle de la sainte justice restaurative

On revient ici sur les notions de justice restaurative et transformatrice. Comment le système pénal français a intégrer ces pratiques en blanchissant au passage des pratiques issus de peuples colonisés. Comment ces pratiques sont peu à peu récupérées dans le milieu féministe et ériger en solution totale et définitive face aux VSS sans recul critique. On démontre comment la justice restaurative permet d’insuffler la notion de morale dans la politique et l’influence d’un discours occidental chrétien.

Spécificités des milieux queers :

Nous nous arrêtons un moment pour parler de comment ces discours sur la justice restaurative trouve un écho particulièrement favorable au sein des milieux queers. Les personnes LGBT+, sensibles aux questions d’exclusion, ont besoin de soins et de relations communautaires. Ayant expérimenté la marginalisation et l’isolement, ces milieux sont des espaces de survie pour beaucoup. Ils regroupent des personnes vulnérables mais aussi des personnes en situation de pouvoir où les VSS existent. Le nier serait dangereux, si la question de l’exclusion se pose différemment pour des personnes opprimées et marginalisées, l’étiquette « queer » ne peut pas être un totem d’immunité, ni servir à excuser voire silencier les comportements abusifs. C’est pourquoi il nous semble d’autant plus important de parler d’autodéfense féministe, de combattre les VSS et d’écouter et de protéger les victimes. Les outils d’autodéfense ont pu être utilisé à mauvais escient ou de manière abusive, notamment en les utilisant en dehors du cadre des VSS, pour autant cela ne doit pas justifier la réhabilitation des auteur.es de VSS mais au contraire interroger les dynamiques politiques collectives.

8. Gestion de conflits : pacifier la lutte à tout prix

Dans la même logique de morale chrétienne nous voyons comment ces discours tendent à pacifier la lutte. Nous rappelons la différence entre conflits et VSS et affirmons la nécessité de nous emparer du conflit et d’instaurer un rapport de force féministe. Le conflit n’a pas vocation a être résolu à tout prix pour amener la paix, le conflit fait partie de nos réalités militantes. Le conflit est source de transformation sociale.
Refuser l’autodéfense, c’est aussi refuser de nommer ses ennemi.es et de lutter contre elleux, et nous espérons que personne n’aura l’idée de faire des cercles restaurateurs avec l’extrême droite.

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9. Logique capitaliste du développement personnel : « ouvrir ses chakras contre le patriarcat »

Ce paragraphe revient sur les dérives libérales à l’œuvre dans nos milieux et comment le développement personnel est venu remplacer des pratiques politiques collectives. Nous dénonçons cela dans le cadre des VSS. Ce constat est à mettre en parallèle avec un délitement du milieu militant et de ses pratiques. A l’heure des réseaux sociaux, de la surinformation et de l’individualisme poussé à outrance, penser la transformation des auteur.es de VSS à titre individuel nous semble délicat. Nous rappelons également que l’énergie (limitée) dont disposent les militant.es peut être utiliser d’une meilleure façon que de s’asseoir en cercle autour d’un violeur et que ces pratiques, si elles peuvent sembler belles sur le papier, nous semblent loin d’une réalité concrète de terrain.

10. Autodéfense féministe

Cette dernière partie propose une série de pistes d’amélioration pour lutter contre les VSS dans nos milieux militants.

Conclusion

Se questionner sur nos stratégies et nos méthodes est toujours utile. Les interroger pour les améliorer fait partie de nos processus de lutte. Ce texte n’a pas pour vocation de décourager les militant·es d’exercer un recul critique sur nos pratiques et nos outils collectifs.

Par contre le fait de rejeter et nier ces outils vitaux, la stratégie d’inverser les points de vue pour adopter celui de l’oppresseur, faire des retours en arrière dans l’histoire de nos luttes, tout cela fait dangereusement écho aux discours de nos ennemis politiques. L’autodéfense féministe doit rester une stratégie concrète.

Si ces discours peuvent paraître séduisants c’est qu’ils se déguisent en discours alliés. Ils jouent sur la posture de l’activiste nuancé.e, faisant preuve de recul, de sang-froid, d’objectivité. Ils jouent sur la corde sensible de nos milieux de lutte : celle de la critique de l’autorité et de la punition. Mais, et c’est là tout le problème, cette critique est menée de manière dévoyée et dépolitisée afin de servir des intérêts contraires à ceux du camp féministe révolutionnaire.

L’autodéfense et le rapport de force féministe sont des pratiques de survie dont on ne peut pas faire l’économie. Celleux qui prétendent le contraire sont peut-être celleux qui ont le plus à perdre de cette pratique ou qui sont trop privilégié.es et/ou trop éloigné.es de réalités sociales et militantes de terrain pour en ressentir la nécessité.

Le collectif Bagarre
bagarretoulouse(at)riseup.net

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