Nous ne reviendrons pas ici sur les pratiques du patron des CNP qui, après avoir laissé pourrir ses cinémas lyonnais, en a dépecé le plus beau et le plus ancien, le CNP Odéon (pour se prémunir du « terrorisme social » qu’il dit). Nous laisserons aux pétitionnaires et autres prétendants au rachat le soin de soumettre à la vindicte populaire ce patron pourri parmi tellement d’autres, en espérant que ses salariéEs s’en sortent… Il suffit pourtant de jeter un coup d’œil à côté de l’Odéon pour voir que derrière cette sale affaire, s’en trament d’autres encore pires, qui font écho à une série de mutations de la ville nous étouffant chaque jour un peu plus. Retour sur une opération immobilière ignoble au départ, scandaleuse à l’arrivée : Up in Lyon, futur quartier de l’hyperluxe.
Quand la ville de Lyon vend tout un quartier (avec ses habitants, ses magasins et son cinéma !) à un groupe céréalier américain qui en revend une partie à des promoteurs immobiliers lyonnais rachetés par des suisses
A l’origine d’Up in Lyon se trouve la décision de la mairie lyonnaise, en 2004, de vendre une partie importante de son patrimoine immobilier, 48 000 m2 de logements et locaux commerciaux en plein centre-ville, soit dix gros immeubles haussmaniens. Le but est officiellement de financer crèches et écoles (difficile de s’opposer à ça !).
Les occupants se mobilisent, et réussissent à faire une proposition importante, supérieure à l’estimation d’un cabinet immobilier. Ils proposent 80 millions d’euros. La Mairie de Lyon, elle, préfèrera finalement la filiale « Marchés financiers » du céréalier américain Cargill, pour quelques millions de plus. La somme paraît alors énorme, 87 millions d’euros et Collomb se pavane quelques temps, tandis que locataires et commerçants s’inquiètent légitimement de leur avenir [1].
La suite démontrera pourtant que les talents de Collomb en tant que spéculateur immobilier [2] au-delà de son mépris pour les habitants, sont bien piètres…
Collomb se félicite alors de faire entrer « des acteurs étrangers dans l’immobilier lyonnais ». Mais les acteurs ne sont pas forcément décidés à rester trop longtemps, puisque Cargill [3] débute son dépeçage 3 mois après l’achat effectif, en mars 2005. La vente à la découpe commence, et Cargill repropose cyniquement aux locataires l’achat de leur appartement, mais à un prix déjà augmenté de 50 à 150 % : le prix du m2 passe ainsi de 2000 euros à un prix entre 3100 et 4900 euros [4] ! Dans le même temps, les commerçants et occupants professionnels voient leur bail non renouvelé et le quartier se vide peu à peu. Cargill prépare en effet un gros coup : elle réussit en novembre 2006 à revendre à un prix deux à trois fois plus élevé que le prix d’achat les 19 000 m2 de locaux commerciaux et de premiers étages du quartier Grolée à la société « Les Docks Lyonnais ».
C’est cette société qui va mettre en œuvre l’opération Up in Lyon, réalisant au passage le souhait de Cargill : la transformation du quartier en un centre du luxe pour valoriser les appartements qu’il lui reste à vendre, auparavant logements sociaux. Pendant ce temps-là, l’adjoint au maire Jaquot se félicite de cette opération qui permettra « la cohérence commerciale du quartier » [5].
Le CNP Odéon ne fait pas partie de cette « cohérence commerciale » : déjà mis à mal par l’opération immobilière de la ville de Lyon qui a vu bondir leur loyer d’un euro symbolique à 30 000 euros (passons sur les rapports étranges entre la ville et Moravioff)) les Docks Lyonnais souhaiteront tôt ou tard récupérer leur bien, de la même manière qu’ils mettent tout en œuvre pour vider le quartier pour réaliser « Up in Lyon ». C’est chose faite ce mois d’août 2009 pendant les vacances des salariéEs, quand Moravioff vient rendre les clés du cinéma. On imagine le propriétaire heureux d’une si parfaite collaboration.
Up in Lyon : des promoteurs immobiliers en difficulté ?
Vieille société lyonnaise, auparavant épiciers avant de devenir promoteurs immobiliers, les Docks Lyonnais ont été rachetés en 2005 par la banque suisse UBS et le spéculateur immobilier anglais Shaftesbury [6].
Plus précisément, les Docks Lyonnais sont détenus par une société de droit luxembourgeois, Boca Sàrl, [7], qui s’en est d’ailleurs un peu dégagée depuis quelques temps, revendant quelques parts de cet entrepreneur très fortement endetté (les Docks Lyonnais ont une dette de 1,2 milliards d’euros !) et touché de plein fouet par une crise immobilière particulièrement sévère pour l’immobilier commercial.
Les Docks Lyonnais ont quand même pour eux un statut fiscal particulier qui leur permet d’échapper à l’Impôt sur les Sociétés et d’avoir une fiscalité très réduite (le statut SIIC, créé en 2003). Quand à leur « gestionnaire d’actifs », Shaftesbury Asset Management, il est basé dans un paradis fiscal, au Luxembourg.
Si Les Docks Lyonnais ne vont pas très bien, leur maison-mère UBS n’est pas vraiment non plus en très grande forme : fait rare pour une banque suisse, elle a été ces deux dernières années habituée aux gros titres des journaux, étant impliqué dans la plupart des derniers scandales financiers qui ont secoué la planète. Elle est l’une des banques mondiales qui a le plus été touché par les subprimes. Elle est depuis cet été au cœur d’un scandale d’évasion fiscale aux États-Unis et au Canada (voir l’article du Monde du 27/08/09
Le gang des banquiers d’UBS). Elle aurait été l’un des principaux partenaires du super escroc Bernard Madoff. Pour finir, elle cacherait en son sein un « super Jérôme Kerviel ». Pas mal non ? De là à penser que les entrepreneurs du luxe ne souhaiteraient pas s’aventurer dans des partenariats aussi risqués en tant de crise…
D’un quartier ils font un désert
En grands stratèges (!) les Docks Lyonnais ont décidé de vider le quartier pour mieux vendre leur projet : ils ont réussi, seules quelques boutiques dont un tabac continuent de résister à leurs augmentations de loyer ou à leurs dénonciation de baux… Le CNP Odéon est leur dernière victime en date.
Début juillet, ils ont lancé un peu en avance la commercialisation de leurs boutiques, prenant soin lors de leur conférence de presse de ne pas inviter les « acteurs locaux ». L’opération semble loin de connaître le succès espéré.
Résultat, Zilli, le seul magasin d’hyper-luxe [8] installé dans le quartier au milieu de ce désert, est déçu par son implantation dans le quartier Grolée (Le Progrès Eco du 01/09/09) : petit à petit le quartier s’est vidé... Tu m’étonnes, pas facile pour les affaires d’être situé dans un cimetière !
Sienne Design, toute la palette de la com’ et de la politique
Pour masquer le désert qu’est maintenant devenu le quartier Grolée, de chatoyants stickers ont été apposé sur la quasi-totalité des magasins, après que la mairie ait râlé pour le peu d’entretien des bâtiments. Le rafraîchissement a été confiée à la pétillante (et « de gôche ») agence de com’ de Vénissieux Sienne Design, qui, quand elle ne bosse pas pour les milliardaires, réalise une grande partie de la communication de la ville de Vénissieux, celle du cinéma Gérard Philippe, ou encore celle du Théâtre de Vénissieux titré « Résistances » ! [9]… L’argent n’a pas d’odeur pour les communicants de la métropole.
Up in Lyon : un emplacement étrange
Frayer avec la populace ? Intégrer tout un quartier de luxe dans ce qui est d’abord la balade de centre-ville des lyonnais lambdas, ça paraît étrange… Habituellement, les milliardaires préfèrent se tenir à l’écart et consommer leur luxe indécent en toute discrétion… Forcément, faire ça en plein milieu de tout le monde, ça risque d’attirer la convoitise des péquins sans le sou qui déambulent toute la journée sur le pavé à défaut de pouvoir se payer une terrasse… La cohabitation risque d’être amusante, à moins qu’il ne faille inventer des checks-points ?
Un parcours de manifesting de rêve. Idéalement situé aux abords des traditionnels parcours des manifestations lyonnaises (éternels et indémodables Terreaux-Bellecour-Terreaux, ou Bellecour-Cordeliers-Pref, etc. etc.), « (Smash) Up in Lyon » offrira par ailleurs en un seul endroit l’ensemble des magasins de rêve pour une émeute réussie (et rémunératrice). Autour de deux artères principales, une dizaine de petites rues faciliteront grandement entrée et sortie rapides du quartier de luxe" vers Bellecour, les quais ou le reste de la Presqu’île voire le 3e arrdt.
Up in Lyon, une facette de la métropole de Collomb
Ce ne sont pourtant pas les projets de luxe qui manquent sur Lyon : parmi les 3 hôpitaux historiques de Lyon en cours de reconversion pour devenir entre autres des hôtels quatre ou cinq étoiles (Debrousse, l’Antiquaille et l’Hôtel-Dieu), ce dernier au moins abriterait une galerie commerciale de boutiques de luxe, ce qui commence à faire beaucoup... [10].
Le fantasme de Gérard Collomb de transformer Lyon et son agglomération en Dubaï-sur-Rhône [11] se poursuit et plus précisément à Confluences, à la Cité Internationale ou encore à la Part-Dieu autour des futures tours... sans parler du pharaonique OL Land soutenu à bout de bras par notre sénateur-maire, et qui doit redessiner l’est lyonnais encore préservé.
La droite n’est cela dit pas en reste question projets mastoques avec le calamiteux futur Musée des Confluences soutenu par Michel Mercier, dont les seules fondations ont déjà largement dépassé le budget initialement prévu.
Il se murmure pourtant que l’opération Confluences est loin de se passer pour le mieux, après le succès très mitigé de la Cité Internationale, et que Gérard Collomb commence à suer à grosses gouttes : sa monomanie pour « l’attractivité internationale de Lyon » au détriment de ses habitants commence à tourner vinaigre. Après l’échec cuisant de la candidature lyonnaise au titre de capitale européenne de la culture 2013, de méchantEs fêtardEs non prévuEs sur les maquettes d’architectes envahissent tous les soirs ses Berges qu’il est obligé de faire quadriller par la police et une milice privée en plus des caméras… Quand à l’OL Land, ce projet est en train de devenir une tragi-comédie mémorable [12].
Bref, qu’on lui file un ordi avec un logiciel de simulation d’administration de ville genre SimCity et qu’il nous laisse vivre !
En attendant, si la guerre aux pauvres est déclarée de longue date à Lyon, la guerre aux riches pourrait bientôt l’être aussi. La fermeture de l’Odéon ne saurait rester longtemps sans réponse...
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