1er mai à Lyon : la police a-t-elle le droit de tabasser les manifestants jusque dans les immeubles ?

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Manif

Comme souvent lors des 1er Mai à Lyon, la police a été particulièrement violente. En s’introduisant cette fois dans les parties communes d’un immeuble pour tabasser des manifestant-es, elle a encore repoussé les frontières de l’arbitraire policier.

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ILLUSTRATION DE @GALAAXXE

Que s’est-il passé le 1er mai peu avant midi, place Victor Basch à Lyon ? D’après plusieurs témoignages, des manifestant-es auraient été frappé-es par des policiers à l’intérieur d’une cage d’escalier. Bilan : des hématomes aux jambes, aux fesses, sur le nez et à l’œil, trois jours d’ITT, au moins une plainte déposée. Et cette question : quel insecte a piqué l’équipe de policiers qui s’est introduite dans l’immeuble situé au n°5 pour distribuer des coups pendant plusieurs minutes – mais sans procéder à aucune interpellation ?

Charger ne suffit plus

Il est 11h45 environ lorsque, aux alentours du secteur Saxe-Gambetta, la police charge violemment la tête du cortège célébrant la fête du 1er mai. Juste derrière le camion de la CGT, c’est le chaos : les CRS et la BAC accourent depuis les côtés est et ouest du cours Gambetta et depuis la rue Jean-Marie Chavant, sans offrir de possibilité claire de reflux aux manifestant-es. C’est sauve-qui-peut, et comme-on-peut. « C’était le bordel, parce que tout le monde se poussait : on voyait bien que les flics chargeaient matraque en l’air et frappaient au hasard », raconte un manifestant.

Le long d’une des arrêtes de la place Victor Basch, quelqu’un ouvre la porte de l’immeuble situé au n°5 et invite les personnes autour de lui à s’y réfugier. Six, peut-être sept personnes finissent par s’y engouffrer. Paniquées, elles escaladent les marches à toutes jambes. Derrière, la porte s’ouvre à nouveau : un policier, appartenant probablement à la BAC, interpelle ses collègues : « ils sont là-haut ! ». Qui sont-« ils » ? Qu’ont-« ils » fait ? Qu’est-ce qui justifie qu’« ils » soient pourchassés jusque dans les parties communes ? Rien, dans ce qui s’en est suivi, ne permettra de répondre à ces questions.

Haie du déshonneur

Paniqué-es, certain-es manifestant-es tambourinent à une porte, espérant trouver un abri. D’autres s’immobilisent. « Je me suis arrêté seul [à un étage] pour redescendre, étant donné que je n’avais rien à me reprocher et [que je voulais] éviter une confrontation avec les policiers », raconte Jules*… dans la plainte qu’il a déposée par la suite. Et pour cause : d’après son témoignage, un premier policier le dépasse et lui assène un violent coup de matraque sur la fesse ; Jules continue de descendre, et encaisse un deuxième coup d’un deuxième policier, cette fois au niveau du genou droit. Il croise un troisième agent, qui lui aurait envoyé à son tour deux violents coups de coudes sur la pommette droite. Jules finit par atteindre la sortie. Son nez est contusionné, son œil est rougi. Et pourtant Jules n’a rien fait.

Thomas* s’est lui aussi arrêté après que les policiers se soient introduits dans l’immeuble. Il s’est placé contre le mur, les mains en l’air. D’après son récit, il est silencieux quand le premier flic lui dit « ferme ta gueule » en lui décochant une violente claque dans la tête. Le deuxième des trois agents surgit à son tour. Thomas raconte.

« Il m’attrape par le col, il pose sa jambe en travers des miennes. Il me regarde assez calmement, et il me tire par le col. Je commence à chuter dans l’escalier, la tête vers la pente. J’arrive à dégager ma jambe droite et je me rattrape quelques marches plus bas. Le troisième m’a répété 3 ou 4 fois “descend” en me donnant des coups de matraques dans les jambes. »

Lorsque Thomas arrive sur le trottoir, des flics sont postés à l’entrée. Aucun n’entreprendra rien : Thomas a été frappé, projeté dans les escaliers, mais ne sera pas interpellé. Comme Jules qui, pris en charge au même moment par les street medic, est inquiet de ce qui arrive à sa compagne – toujours dans l’immeuble.

Leïla* sort quelques instants plus tard. Elle a un bleu à la cuisse, sa carte bleue aurait été brisée par un coup de matraque du deuxième policier, qui lui intimait l’ordre d’ouvrir son sac. Elle pleure, sous le choc. Elle raconte avoir vu un jeune homme trébucher dans les escaliers après avoir été frappé derrière les genoux. « J’étais en état de choc, j’ai juste répété en boucle que ça allait mais qu’ils avaient frappé un gars devant moi »rapporte-t-elle. « Il y avait une personne qui était en crise de panique violente. Elle était complètement traumatisée, elle n’arrivait pas à nous parler et elle avait mal », témoigne un street medic. Pourtant, d’après les témoignages d’autres personnes situées au dehors de l’immeuble, aucun-e des manifestant-es sorti-es de l’immeuble ne sera embarqué. Pasqua appelait à terroriser les terroristes ? On peut désormais terroriser les manifestants.

De la « flagrance » à l’arbitraire

Du moins, c’est la question redoutable que pose cette affaire. Car cette intervention était-elle légale ? La réponse est à la fois oui, et non. D’un côté, et sous des conditions particulièrement souples (en particulier le fait de s’autoriser d’une mission de police judiciaire), la police est aujourd’hui habilitée à s’inviter dans les parties communes des immeubles : en l’espèce, elle a par exemple pu invoquer (ou prétexter) une enquête de « flagrance » pour s’y introduire.

Mais l’existence d’un arsenal légal permettant aux policiers de poursuivre les manifestants jusque dans les immeubles suffit-elle à justifier les faits du 1er mai ? Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel rappelait que les dispositions du Code de sécurité intérieur « ne sauraient avoir pour effet de permettre [aux forces de l’ordre] d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions ». En bref : les policiers ont un droit d’accès qui ne leur donne pas pour autant le droit de faire n’importe quoi.

Or la violence des policiers était manifestement sans objet ni fondement juridique. Et c’est ici que le problème se complique à nouveau. Car tout laisse à craindre que le cadre légal autorisant leur introduction dans la cage d’escalier n’autorise in fine une nouvelle manifestation de l’impunité policière : comment caractériser désormais la matérialité des faits qui se sont déroulés à l’ombre des portes closes, à l’abri des regards du public autant que des captations vidéos ? Comment, autrement dit, rééquilibrer le jeu pipé du « parole contre parole », entre victimes de la police et agresseurs assermentés ? Si enquête il y a, la suite nous le dira. Dans le cas contraire, l’arbitraire policier pourrait s’étendre aux cages d’escalier.

Rafaël Snoriguzzi & Laffrance

*Les prénoms ont été changés

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