Aussi étonnant que ça puisse paraître aujourd’hui,
le 1er mai n’a pas toujours été
synonyme de promenade entre la CFDT et la
CFTC, ni même de financement du Parti
Communiste par la vente de muguet : l’histoire
de cette journée illustre à elle seule l’évolution
du mouvement prolétarien. La première
fois que les travailleurEs l’ont choisie
pour représenter leurs intérêts, c’était aux
États-Unis en 1886, où les syndicats ont décidé
de débuter le 1er mai la mobilisation pour
l’obtention de la journée de 8 h. 150 000
travailleurEs auront gain de cause alors qu’environ
190 000 autres, qui n’auront pas pu
imposer leurs revendications à leurs patrons,
entament une grève générale. Le 3 mai, une
manifestation fait trois morts parmi les grévistes,
et lors de la marche de protestation,
une bombe envoie une demi-douzaine de flics
briser des grèves en enfer. Bien évidemment il
fallait trouver - et punir - des coupables, et
cinq anarcho-syndicalistes sont pendus, et
trois autres condamnés à perpétuité.
L’absence de preuve n’a pas empêché la « justice
» de faire un exemple et de « neutraliser »
des syndicalistes (toute ressemblance avec des
événements récents est fortuite).
Ces cas exemplaires de luttes et de répressions
ont poussé la IIe Internationale
Socialiste, lors de sa fondation en été 1889, à
reprendre cette date pour appeler à une journée
de grève internationale en faveur de la
journée de 8 h. Les anarchistes, sceptiques
devant l’appel des socialistes, décident finalement
de prendre part à cette manifestation. Ils
seront notamment très actifs à Vienne, où
auront lieu émeutes et grèves spontanées. On
peut citer à ce propos Joseph Tortelier, précurseur
de la grève générale révolutionnaire : « Ce
n’est pas une manifestation pacifiste que
nous voulons. Il faut que ce grand mouvement
porte profit. Il faut qu’il en sorte l’idée
d’une grève générale pour aboutir à la journée
de 8 h en attendant mieux. Nous n’allons pas
voir les députés, c’est inutile, ils ne feront rien
pour nous ». Le succès du 1er mai 1890 (en
terme de mobilisation plus que de résultat) a
naturellement amené les travailleurEs à
remettre ça l’année suivante. En 1891, pour
fêter dignement les cinq ans de la répression
étatsunienne, les forces répressives d’État
tirent sur les manifestantEs à Fourmies, dans
le nord de la France, faisant neufs morts (soit
dit en passant, cet événement fut une grande
source d’inspiration pour Ravachol).
Comme on le voit, l’époque était radicale de
chaque côté de la barricade, et le 1er mai aussi.
Le 1er mai 1906 est l’occasion pour la CGT
d’évaluer la force du syndicalisme révolutionnaire
en France, en appelant les
travailleurEs à cesser le travail après huit heures. Si la journée elle-même n’a pas eu le
succès espéré, elle aura le mérite d’avoir
effrayé les bourgeois (qui faisaient des réserves
de nourriture ou migraient vers la
Suisse) et d’avoir enclenché une dynamique
de lutte qui dura toute l’année 1906 en
mobilisant et radicalisant les travailleurEs.
Le 23 avril 1919, après des années de luttes
le sénat ratifie la journée de 8 h et fait du
1er mai suivant un jour férié (en lorgnant
d’un oeil apeuré vers la Russie, on l’imagine).
Le 1er mai 1936 était animé par la perspective
des élections du 3, qui allaient voir l’arrivée
au pouvoir du Front Populaire ; pour
s’assurer de l’application des réformes promises
(on ne sait jamais...), les travailleurEs
ont tout de même jugé bon de faire pression
sur le gouvernement en déclenchant une
grève générale à la fin du mois de mai, en
inaugurant sur une large échelle la pratique
des occupations des lieux de travail.
Malheureusement, le 1er mai a aussi été le
reflet d’époques moins glorieuses : cette date
est déclarée « fête du travail » et jour chômé
le 24 Avril 1941, sous Pétain donc, par un
ancien syndicaliste, devenu ministre du travail,
René Belin. Le travail n’est alors plus vu
comme opposé au capital (ni le/la
travailleurE au/à la capitaliste) mais est glorifié
en tant que valeur morale et conservatrice.
En 1947, le 1er mai est déclaré férié mais
n’est pas officiellement la « fête du travail »...
C’est le seul jour férié qui soit obligatoirement
chômé, sauf dérogation et alors payé double.
Depuis, les manifestations du 1er mai se
sont enfermées dans la routine, se contentant
de quelques mots d’ordre sans conviction,
n’étant plus capables de mobiliser
autour de revendications aussi importantes
que ne l’était la journée de 8 h à une époque
où il était courant de travailler 12 h par jour.
Contre cet état de fait, il faut réaffirmer
le caractère émancipateur de cette date :
elle doit incarner la conscience de classe,
d’abord par l’histoire (les luttes, les
avancées sociales et, ne l’oublions pas, la
répression) qui lui est attachée, ensuite
par le rassemblement des prolétaires
pour l’offensive contre le capitalisme.
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