Carbon Bee, on venait te chercher chez toi

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Biotechnologies | bye bye bayer

Les promesses de l’agritech, entre néant et prophétie réalisatrice. Le 9 février dernier, des activistes ont voulu rendre visite à Carbon Bee, une jeune pousse de l’“AgroTech", en vain. Récit d’une journée d’action étonnante.

La saison 2 des soulèvements des Soulèvements de la Terre touche à sa fin. Pour son épisode final, un ultimatum a été lancé contre l’entreprise Bayer-Monsanto, si son siège social n’a pas quitté la ville de Lyon d’ici le 5 mars, les manifestants l’assiègeront jusqu’à son départ. En attendant, un appel à une campagne d’actions décentralisées semble avoir été entendu [1].

Pour réussir cette nouvelle révolution de l’alimentation saine, durable et traçable, [...] nous devons investir dans trois révolutions [...] : le numérique, la robotique, la génétique. Ce sont les trois transformations essentielles.

Emmanuel Macron, Chief Executive Officer de la République, plan « France 2030 » [2]

Le 9 février dernier, nous nous joignons aux Soulèvements de la Terre et à la Confédération paysanne de la Drôme pour rendre visite à Carbon Bee. Cette start-up développe des caméras intelligentes à capteurs hyperspectraux embarquées sur tracteurs ou drones. Ces machines, mariant intelligence artificielle et robotique, promettent le tir de précision de Round’up par reconnaissance faciale des mauvaises herbes, appelé par ces concepteurs ’reconnaissance foliale’. C’est l’avènement de l’agritech.

Repérages et enquêtes préalables devaient permettre à la petite centaine de personnes réunies au matin d’expliquer aux dev’ tout le mal qu’elles pensent de leur travail et de prélever quelques exemplaires de leur camelote. Mais il y eut un hic.

Nous pensions venir saboter des machines robotisées. Nous sommes tombés nez à nez avec une autre réalité machinique. Expérience désarmante qu’ont été ces quelques minutes au contact du néant.

Un bâtiment médiocrement typique d’une « zone artisanale ». Un open-space à deux étages dans un cube métal-bois serti par un combo parking-pelouse, lui-même entouré de haies tristes.

Nous entrons et là, tout cloche. Les locaux n’ont aucune trace d’usage, les meubles sont vides, ni classeurs ni dossiers dans les étagères, aucun objet personnel sur les bureaux. Rien d’humain ne semble avoir laissé sa trace. Mais pourtant, il y a bien des gens disséminés dans cet espace, travaillant et ne nous prêtant aucune attention. Une petite centaine de personnes débarquent un peu en speed dans leur espace, sprayent les caméras de surveillance, distribuent un tract, déclarent vouloir occuper leur lieu de travail et le niveau de réaction est proche de zéro. A peine un regard par dessus leur laptop avant de replonger dans l’écran. Pas de réaction de défense mue par un possible esprit d’entreprise. Rien qui incarne une quelconque volonté de nous virer, nous intrus, de la boîte. Les corps sont là, le reste avalé dans les ordis. Nous n’étions réellement pas au même endroit. Trop loin d’eux pour les toucher.

Par contagion, les personnes elles-mêmes semblent des avatars. Le manager qui déboule de l’étage par un escalier en nous disant sourire aux lèvres « Ah, mais non, nous ne sommes pas Carbon Bee, ils ne sont plus là depuis 6 mois. Vous vous trompez ! Nous on fait du biogaz, on sauve la planète. » En regardant autours de nous, dubitatives, nous découvrons un mur de feuilles A3 fraîchement affichées qui mentionnent en grands caractères gras, des mantras manageriaux du type « Nous sommes ici pour trouver des solutions », « Ici, il n’existe pas de question idiote ». On en trouve une sur le fameux biogaz. Ok, on s’est bien planté. Mais vraiment, le doute persiste. Tout semble si factice. Peux être que c’est eux Carbon Bee : comment on différencie un dev’ d’un autre dev’ ? A part l’affiche, ça pourrait bien être eux. Peut être qu’ils ont été avertis. Peut être que le groupe dans le coin là bas, c’est Carbon Bee. Mais ils sont pareils…

Le manager est sincère. À travers lui, la croissance verte parle. Il est le verbe incarné de cette croyance dirait Sandra Lucbert. Un cas d’école. Il est possédé. « Vous vous trompez de cible, nous voulons la même chose ». Tout le contexte, tous les codes esthétiques qui composent ce moment le contredisent. Tout dissone avec ses mots, avec nos attentes, avec le plan. Rien ne colle. Un mode d’existence rencontre un mode d’inexistence.

Nous nous tenons là, dans l’espace souple du modèle start-up, à la fois générique et instable. Nous voulions ‘désarmer’ cette entreprise. Nous nous sentons désarmés. On se casse avant que, quand même, ils pensent à appeler la police.

Carbon Bee, nous l’apprenons trop tard, ne loue plus ces locaux. L’entreprise Prodeval [3] les possède. Winneuse du biogaz en plein boum, elle les utilise aussi pour la formation de ses nouveaux employé.e.s ou des projets ponctuels. Il s’agit sûrement de les laisser vides pour les relouer au besoin. Une surface d’ajustement aux dilatations et rétractations du marché florissant de la décarbonation, un simulacre lucratif.

Où est Carbon Bee alors ? Elle a trois adresses postales, elle existe sous forme de boîtes aux lettres, de façade internet, de projets qui se déploient puis se concentrent au gré des financements. Elle est immatérielle, volatile, insaisissable, ce jour là en tout cas. Où es-tu Carbon Bee ? Nous étions venu·e·s te chercher chez toi. Tout ça ressemble bien à du vent, mais à force de promesses et de financements, ces idées folles de robotique et d’intelligence artificielle, on le sait, deviennent réalité.

En partant, quelques réflexions revenaient par-ci, par-là : il n’y a plus de matérialité - La prochaine fois, on vise les data-center - Faut les débrancher. Cette impression forte qu’avec la digitalisation de leur travail, ce sont les gens rencontrés ici qui semblaient avoir perdu de leur matérialité.

Pour l’anecdote.

Bien décidé·e·s à faire quelque chose de ce moment collectif, c’est finalement la DDT de Valence qui fut occupée pour porter le refus de l’agritech. On a rencontré la directrice et l’adjoint. On leur a expliqué notre dégoût du plan France 2030. On voulait voir la préfète. En attendant, on a discuté en assemblée, de nos revendications. Il y en avait ici qui avaient des choses à raconter. A propos du monitoring des champs par satellites pour le contrôle des surfaces de culture, deux fois par semaine, par exemple. On s’est demandé si c’était ça la revendication, ne pas se faire filmer dans son champ en train de pisser. On a discuté du codage génétique aussi. Du codage, et non du décodage, de tout le vivant par les entreprises de biotechnologies. Du sommet de la mer] qui avait lieu le même jour, dans lequel il était question pour les grandes puissances réunies de donner un prix à toutes les ressources aquatiques, pour les protéger. En fait, on n’en avait pas tellement, des revendications, face à ce désastre. Il est apparu à beaucoup qu’il n’y a rien à négocier mais tout à refuser. On a pris une photo et on s’est cassé, avec un rendez-vous prévu avec la préfète le lendemain, auquel pas grand monde n’avait envie d’aller. On se revoit le 5 mars.


Notes

[1Lire aussi, dans l’édition de cette semaine, l’oraison funèbre de Bayer-Monsanto lu à Loos ce samedi lors d’une action de blocage des bureaux de l’entreprise.

[3Le biogaz est fabriqué dans ces grands dômes que l’on sent avant de les voir dans les zones agricoles et que l’on appelle méthaniseurs. L’État encourage leur installation pour augmenter la part de biogaz dans le mix énergétique de la France. Cette course au biogaz appauvrit dores et déjà les sols et a donné naissance à une agriculture au service du méthaniseur et non plus de l’alimentation. On en dénonce déjà les pollutions locales. Prodeval est un des acteurs principaux de ce marché dans le monde. L’entreprise françase vient de créer une nouvelle boîte, Works4Impact avec le groupe Suez pour méthaniser les boues d’épuration.

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