« Quand on envoie des projectiles sur les forces de l’ordre c’est un acte antirépublicain très grave ». Récit des procès de gilets jaunes du 29 avril et du 2 mai

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Comptes-rendus de justice | zbeul hiver 2018/2019 | Gilets Jaunes

Ce lundi 29 avril, quatre gilets jaunes étaient jugés en comparution immédiates au tribunal de grande instance de Lyon suite à la manif du 27 avril. Dans l’enceinte judicaire lyonnaise, le nouveau délit de dissimulation du visage créé pour condamner encore plus lourdement les manifestants fait un tabac auprès des magistrats : trois prévenus sur quatre ont été interpellé et sont jugés pour ce nouveau délit liberticide. Récit d’une justice au service de la police.

La manif est partie de Charpennes (Villeurbanne) sous des trombes d’eau. À plusieurs reprises sur le parcours, les manifestants ont tenté de déborder le dispositif policier qui les talonnait : une première fois en s’introduisant au pas de course dans le centre commercial de la Part-Dieu, puis sur le parcours en essayant de dévier au niveau de l’auditorium. Les interpellations ont pratiquement toutes eu lieu dans des moments de stagnation vers la fin au niveau de l’Université.

Affaire n°1

Un homme, interpellé dans la manifestation gilet jaune au niveau de l’Université est poursuivi pour dissimulation du visage, rébellion et outrage. Il aurait traité des policiers de « gros bâtards ». la dissimulation du visage est constituée par le port de lunette de piscine, d’un masque de chantier et d’une capuche. Le gilet jaune a fait la route depuis Annemasse pour manifester.

Juge : « Les faits interviennent dans le cadre de la manifestation de samedi dernier alors que la manifestation dite des gilets jaunes se trouvait vers le pont de l’Université à 16h40. Vous avez été interpellé parce que vous avez été repéré comme ayant dissimulé votre visage. Le gendarme qui vous a interpellé, dit qu’ils avaient pour mission de faire barrage au niveau du pont. Ils ont aperçu un homme masqué et ont reçu l’ordre de vous interpeller. Vous vous êtes débattu avec virulence. Ils ont quand même réussi à vous mettre sur le ventre malgré votre virulence. Aucun coup n’a été porté par les policiers disent les policiers. Aujourd’hui qu’est-ce que vous avez à dire ? »

Prévenu : « Je reconnais que j’aurais pas dû dire le mot déplacé. C’est arrivé très vite, comme un réflexe. Ils m’ont fait une clef de bras, j’ai cru qu’ils allaient me casser le bras. Et puis quand ils disent que j’ai été virulent. Je fais 1m60 et 50 kilos tout mouillé, je vois pas trop comment j’aurais pu leur résister. Moi j’ai toujours défilé de manière pacifique, le masque c’était pour me protéger des gaz et la capuche c’est parce qu’il pleuvait samedi. »

Procureur : « Alors les policiers outragés ne sont pas là pour se porter partie civile. Et je vais vous dire pourquoi ils ne sont pas parties civiles : parce que le lundi ils bossent ! Quand on se balade avec le visage dissimulé c’est pour en découdre. Qu’on vienne pas me dire aujourd’hui que les gaz sont envoyés sauvagement. Monsieur, la liberté individuelle s’arrête là où commence celle des autres. Évidemment le droit de manifester est une liberté fondamentale. Mais la liberté de se déplacer et de commercer tout autant. Lorsqu’il a fallu prendre des arrêtés parce qu’il y a eu des dégradations c’est parce qu’ils empêchaient la liberté de se déplacer à d’autres. Lorsqu’on vient manifester encore aujourd’hui, la tête couverte, avec des lunettes de piscine, le visage couvert pour ne pas être identifié c’est qu’on vient pour en découdre. Aujourd’hui il y a une loi qui vient interdire d’avoir le visage dissimulé. Chaque fois que la loi sera enfreinte, une réponse pénale sera apportée et les comparutions immédiates suivront. »

Réquisitions : 8 mois avec sursis + interdiction de Lyon + interdiction de manifestation pendant 1 an.

Défense : « On est en face à un mouvement national avec un droit de manifestation. Pour autant les dégradations ne sont pas acceptables et desservent le mouvement. Toutefois il faut faire la part des choses entre les casseurs et les gilets jaunes. Aujourd’hui on est dans l’amalgame ! Vous avez quelqu’un qui n’a rien dégradé, le policier n’a pas été blessé. Vous avez un jeune homme qui gagne bien sa vie. Il n’est pas directement concerné par le mouvement. Mais par solidarité il vient. On lui reproche la dissimulation du visage. A 16h30, il y avait des gaz lacrymogènes. Il voulait simplement protéger sa santé. On n’est pas sur quelqu’un en récidive. On n’est pas sur quelqu’un qui a fait tous les tribunaux de France donc je demanderai la clémence de votre tribunal. »

Délibéré : 6 mois de prison avec sursis + Interdiction de manifestation pendant 6 mois.

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Deuxième affaire

L’homme est poursuivi pour outrage et rébellion. Il a également été arrêté vers l’Université. Il aurait insulté les policiers et les aurait menacé de sa ceinture au moment de son interpellation. L’homme reconnaît les injures et la rébellion mais assure qu’il n’a fait que riposter. Les six policiers de la BAC se sont constitués parties civiles.

Prévenu : « Je ne suis pas un manifestant. J’arrivais du centre commercial de Confluence et je voulais aller prendre le tram’ à l’Université. Pour passer, il y avait une rangée de policiers. Je suis arrivé avec les mains en l’air et trois policiers sont venus vers moi tête contre tête. Ils m’ont traité de « fils de pute », de « fils de chien », « sale bougnoule on va te ramener dans ton pays », alors que je sui même pas arabe. Là je les ai insulté et j’ai essayé de partir. Y’en a quatre autres qui sont venus et là pareil les mêmes insultes. Alors j’ai commencé à déboutonné ma ceinture pour les ralentir. Une fois qu’ils sont arrivés vers moi, j’ai reçu un coup de matraque à la tête. Et puis après c’était un déluge de coups, ils m’ont étranglé, j’ai cru que j’allais mourir madame la juge ! »

Juge le coupe : « Alors vous vous taisez maintenant ! Vous reconnaissez que vous vous êtes débattu pour vous enfuir ? »
Prévenu : « Oui. Quand il y a sept policiers qui sont sur vous et que vous croyez que vous allez mourir vous faites quoi ?! Je pouvais pas les frapper comme c’est des policiers donc j’ai essayé de fuir. Mais c’est moi la victime ! J’ai six agrafes sur la tête et des bleus de partout sur le corps ! »
Juge : « Oui oui on a compris… Madame l’avocate des parties civiles vous avez la parole. »

L’avocate des parties civiles, fait une longue plaidoirie pour rappeler l’honneur de la mission des policiers de la BAC et demande 400 euros de dommages et intérêt pour chacun d’eux.

Procureur : « Il n’est pas acceptable d’entendre que monsieur est la victime. On a un individu alcoolisé qui se pointe devant eux et qui veut impérativement traverser. Ils refusent gentiment et lui demande de s’éloigner, il ne le fait pas. On a quand même six témoignages concordant des six policiers. »

Le prévenu énervé coupe la procureur : « Mais c’est pas vrai ce qu’ils disent ! »
La juge le rappelle à l’ordre : « Monsieur vous vous taisez sinon on vous expulse ! »

Réquisitions : la proc’ demande 12 mois de prison avec mandat de dépôt et l’obligation d’indemniser les victimes.

L’avocate de la défense abandonne son client : « Je ne reviendrai pas sur les faits, vous avez eu sa version. » Elle fait une plaidoirie sur la personnalité, infantilisante pour espérer toucher le cœur des juges.

Délibéré : 10 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, c’est-à-dire qu’il part directement en prison + 300 euros de dommages et intérêts pour deux baqueux et 150 euros pour les quatre autres. La couleur de peau et la remise en cause de la parole et des violences policières n’ont visiblement pas plu aux magistrats.

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Affaire n°3

Un jeune gilet jaune de 18 ans est poursuivi pour groupement en vue de préparer des violences, dissimulation du visage et violences. Il aurait jeté un pavé en direction des flics. Il a été arrêté vers 15h30 à proximité du cours Garibaldi. Il nie les violences assurant qu’à ce moment-là il était entre deux lignes de policiers. La juge semble formelle, la commissaire l’a repéré jeter un pavé, a transmis le signalement aux autres policiers qui l’ont ensuite interpellé. Aucune preuve à part les procès-verbaux des policiers…

La proc’ prend la parole : « Les violences à l’encontre des forces de l’ordre ne seront jamais, jamais, mais jamais tolérées. Elles seront poursuivies par la justice et par les forces de l’ordre. Lorsqu’on va dans une manifestation, masqué, presque cagoulé, le parfait attirail du petit casseur ; lorsqu’on vient équipe, harnaché et masqué c’est qu’on vient en découdre. Alors quand on veut en découdre face à la justice, la justice répond et punit ! Le message est clair et simple. Quand on envoie des projectiles sur les forces de l’ordre c’est un acte antirépublicain très grave. Et votre réponse est attendue par le parquet, et par la presse qui s’en fera l’écho. »

Réquisitions : 9 mois de prison ferme avec mandat de dépôt et interdiction de manifestation pendant 1 an.

L’avocate de la défense se lance dans une plaidoirie fondée sur la personnalité et sur la dissociation avec les autres prévenus :
« Le tribunal voit bien que les personnes déférées ne présentent pas le même profil et n’attendent pas les mêmes réponses. Monsieur a juste 18 ans, il ne fait pas bien grand et tout au plus on peut lui reprocher d’être encore un peu dans la provocation. »
« Sur le plan scolaire, c’est quelqu’un de respectueux qui sait respecter l’autorité et rentrer dans le cadre. »
« Pour le reste, sur les faits, il vous donne des explications triviale : "J’avais le visage cagoulé pour emmerder le système" Vous voyez c’est très adolescent. »

Le prévenu prend la parole en dernier : « Si j’avais vraiment lancé un pavé il y aurait des témoins. J’aurai aimé qu’ils soient là. »

Délibéré : relaxe pour les violences, coupable pour le reste : 2 mois de sursis-TIG (105H)

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Dernière affaire

Un gilet jaune est poursuivi pour dissimulation du visage et rébellion lors de son interpellation. Il a été arrêté devant l’Université vers 17h. Avant même qu’il n’arrive dans le box des accusés, l’avocate s’adresse à la présidente. En totale connivence elle s’excuse et la prévient que son client va demander un délai. Alors que c’est son droit le plus strict.

Effectivement il demande un délai. Le procès ne porte donc plus que sur sa « personnalité » pour savoir s’il va attendre son procès dans une cellule à Corbas ou en contrôle judiciaire (ou libre). La procureur demande un contrôle judiciaire. C’est ce que la défense demande également.

Délibéré : Contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’au procès et pointage une fois par semaine au commissariat.

Les avocats commis d’office ce jour-là ont pris un malin plaisir à maintenir la distinction gilet jaune/casseur, à dénigrer le mouvement ou à infantiliser et dépolitiser les agissements de leurs clients. Un conseil : essayez de faire appel à des avocat·e·s conseillé·e·s par la Caisse de Solidarité.

Gilets jaunes et chasubles rouges

Pour la manifestation du 1er mai, cinq personnes ont été arrêté. Un seul est passé en comparution immédiate le lendemain.

Le jeune étudiant est poursuivi pour participation à un groupement en vue de..., dissimulation de visage, refus de signalétique (ADN, empreintes digitales) et refus de donner son code de téléphone en garde à vue.

Il demande un délai pour préparer sa défense.

Le proc’ demande un placement en détention provisoire par rapport au risque de réitération des faits en arguant qu’il risque de ne pas se présenter à son procès vu qu’il ne veut pas être fiché et qu’il refuse de donner son code pin.

La défense demande un placement sous contrôle judiciaire.

Délibéré : contrôle judiciaire avec interdiction de manifester et pointage une fois par semaine au commissariat. La juge, magnanime, lui indique qu’il est « passé à un millimètre de la détention préventive ».

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