Quand grenoble chope la viscose

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« Charges trop chères / isolation en carton / charges au plafond »
« On ne vit plus / charges-loyers trop chers / ça nous exaspère »
« Choisir / se chauffer ou manger... »
Depuis plus d’un mois, plusieurs banderoles attirent l’attention des passants à la jonction entre Grenoble et Echirolles, arrachant leur regard à l’habituelle équivalence du paysage métropolitain.

« Habitants Viscose / tous unis contre les hausses / loyers charges »

Derrière les banderoles : le quartier Viscose, construit en 1937 sous le modèle des cités- jardin ouvrières, autour de l’usine de textile, haut lieu de lutte et de résistance, fermée en 1989, remplacée depuis par un musée qui expose un passé que l’on veut bien mettre en scène maintenant que les ouvriers ont été réduits à si peu.

Au premier abord, de quoi faire pâlir les cliques d’urbanistes, les travailleurs sociaux et les bonnes âmes de gauche : « entretien insuffisant des parties communes, route rectiligne qui coupe le quartier sans ralentisseurs ni chicanes, manque de locaux pour les jeunes du quartier qui n’ont que le banc pour se réunir, éclairage public défectueux , qui en fait le seul quartier dans toute l’agglo où il fait complètement noir le soir… isolation très limitée des vieux édifices ».

Pour qui prend le temps de s’arrêter entre ses petits bâtiments éparpillés, où les potagers sauvages disputent le terrain aux espaces verts, la cité HLM ressemble à un village, un village qui résisterait au grignotement par la Ville, Grenoble-Métropole, la Cité dédiée aux cadres sup’, aux étudiants cools et aux ingénieurs en nanotechnologies ; le paradoxe veut que les endroits les plus insalubres soient les seuls à être encore habités de quelque façon. On y traîne, on y discute, on y vit : il suffit de passer les banderoles en curieux pour trouver des réponses à ses questions, que ce soit en discutant avec un vieux blédard sur son banc ou de la bouche d’un gamin sur sa trottinette : « ici on est tous concernés, c’est de notre vie à tous qu’il s’agit ».

L’ histoire part de l’installation du chauffage urbain, réalisée l’an dernier et dont le propriétaire, l’OPAC 38, avait fait la pub en vantant le confort et l’économie. Mais cette installation a surtout servi de prétexte à l’augmentation des loyers et des charges. Bon nombre d’habitants ont décidé collectivement de ne plus payer leurs charges de chauffage, et l’OPAC a directement accepté de suspendre la régulation pour quelques mois… le temps de faire baisser une pression qui leur est monté un peu vite à la gueule.

Le 24 septembre, les organisateurs d’une soirée sur la question du logement dans une salle du quartier ont préféré annuler le film prévu pour laisser place à l’assemblée réunissant environ 150 personnes, dont plus du quart des habitants du quartier qui compte 280 résidants.

« Y’en a marre d’être pauvre et pris pour des cons »

Beaucoup sont ouvriers retraités, certains, employés à Caterpillar, sont au chômage depuis peu, les loyers ont augmenté dans le même temps.

Des mots multiples pour dire la colère - de s’être laissé avoir, d’enrichir les actionnaires ( Dalkia/Veolia…), de ne plus arriver à joindre les deux bouts - mais le fond reste le même : il est question de survie, et là, c’est un nouveau coup dur.

Le seul représentant de la mairie communiste d’Echirolles (qui s’est bien dépêchée de se positionner du coté de la mobilisation massive des habitants tout en évitant de se mettre en jeu effectivement) est remballé par une habitante dès sa première intervention et s’éclipsera rapidement. Dépassés par ce qui s’anime ici, les politicards n’ont jamais vraiment su ce qu’il en était du mouvement, restant au fond attentistes et crispés par leur jalousie de contrôle sur le petit pré-carré militant qu’il ont réussit à amasser.

« Ce qu’on nous reproche, c’est de ne pas être riche »

Un type explique que sa vie se résume à travailler pour fournir un compte bancaire.

Pas mal se disent en colère contre eux même, d’avoir accepté la proposition de l’OPAC, d’avoir moins de prise sur leurs problèmes. Et pour cause : « l’ancien système de chauffage et d’aération a été bouché, alors qu’il y avait déjà les problèmes d’isolation avant, et qu’on avait pris l’habitude de ne pas trop utiliser les radiateurs et de se chauffer autrement, au bois par exemple, si on avait continué avec le système D, on en serait pas là ».

Alors que certains évoquent l’idée « d’arracher carrément les radiateurs », d’autres annoncent que si la prochaine rencontre avec les proprios ne donne rien, ils « prendront eux-mêmes les choses en main » ; une habitante qui bosse dans l’associatif parle de recours juridiques possibles, mais la proposition qui remporte définitivement le plus d’enthousiasme est encore celle « d’aller tout casser à l’OPAC ».

Ce qu’on voit, et l’intelligence commune qui s’impose ce soir-là y trouve son point d’appui, c’est un quartier constitué en petit foyer. Un foyer né de la contradiction dans ce monde éteint qui n’en supporte aucune : refuser le sort qui nous est fait, refuser d’être ramené au néant et à la solitude des moins que rien, avec une commune détermination.

La présence d’habitants venus d’ailleurs, de la Villeneuve ou du Village Olympique, avec les mêmes problèmes, laisse espérer que ce foyer pourrait bien résonner avec d’autres, à coté, plus loin. La question pourrait maintenant être : comment, à partir de toutes ces misères, de tous ces problèmes, on (re)prend possession de nos lieux comme de nos vies, pour esquiver la propriété et y ramener la sensibilité de ce commun, non négociable.

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