Le mouvement en cours à la SNCF et sur les universités offre une opportunité unique d’infliger une défaite au pouvoir capitaliste et aux forces œuvrant à l’aggravation des conditions de vie et de travail du prolétariat.
Les logiques de sélection sur lettre de motivation à l’entrée d’universités désormais conçues comme des entreprises privées et la transformation de la SNCF en société anonyme s’inscrivent l’une comme l’autre dans une même restructuration de l’économie capitaliste . Cette restructuration, qui vise à la création de marchés rentables en remplacement des services financés par l’état et les cotisations sociales, comprend également l’individualisation extrême des rapports sociaux et la destruction des garanties collectives liées, notamment, aux statuts des salariés. Fondamentalement, l’objectif poursuivi est une baisse massive, avec le nombre des salariés, des salaires qui leur sont versés, soit directement en fin de mois, soit sous une forme socialisée ou différée à travers les retraites, les allocations de chômage, les services gratuits ou subventionnés.
Avec, notamment, la loi travail et les ordonnances Macron, passées s’agissant de ces dernières sans encombre et sans résistance opposée par les centrales syndicales, les capitalistes ont poussé l’avantage en se dotant, sur le terrain du droit, des instruments juridiques de leur restructuration. Toutefois, ils n’ont pas encore consommés cette victoire sur le terrain politique. C’est ce qu’expriment les 20 000 travailleurs.ses en grève à Carrefour, les mouvements répétés touchant les hôpitaux et les EPHAD, qui montrent l’existence d’une disponibilité à la lutte aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. C’est ce qu’exprime également l’actualité des grèves universitaires, qui répondent à la répression par un élargissement du mouvement.
Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que les prochains développements auront une portée décisive dans l’évolution du rapport de force entre le capital et le travail, les bourgeois et les prolétaires. De la capacité du mouvement à se structurer et à s’étendre jusqu’à remporter la bataille qu’ont provoqué le gouvernement et les patrons dépendra la situation politique et sociale pour plusieurs années. Si aucune garantie de victoire n’existe dans une telle situation, aucune incantation d’ordre générale sur la « convergence des luttes » – à laquelle s’aventure désormais même la direction de la CGT – ne peut remplacer une appréciation fine des forces en présence, des enjeux soulevés et des moyens propres à pousser la lutte au maximum de ses potentialités.
Sur les mots d’ordre
La saine volonté affichée dans le mouvement de convergence des luttes a le désavantage de se présenter sous la forme d’une immense accumulation de mots d’ordre revendicatifs sectoriels. Du maintien du statut de la SNCF et des cheminots à la préservation du baccalauréat comme premier grade universitaire, des objectifs chiffrés de recrutement à l’inspection du travail à la défense de Notre Dame des Landes, le désavantage d’une mobilisation conçue comme simple agrégation de mots d’ordre est que ceux-ci sont susceptibles d’être vus – même à tort – par de larges franges des travailleurs.ses, avec ou sans emploi, comme ne les concernant pas directement.
D’autre part, la volonté de « faire tomber le gouvernement », telle qu’elle ressort de l’expression de différents groupements d’extrême-gauche, et pour pertinente qu’elle soit, apparaît comme décalée avec les potentialités réellement offertes par la mobilisation, au stade embryonnaire de développement qui est le sien actuellement ; et partant ne peut constituer pour l’heure le mot d’ordre central et opérant de la lutte.
Les mouvements actuels sont, pour partie, une réaction à contre-temps à l’adoption des ordonnances Macron sur le code du travail. Dès lors, il nous semble opportun de proposer au mouvement de se fixer le but explicite d’arracher l’abrogation des ces ordonnances. De plus, un exemple récent d’histoire sociale, le CPE, illustre ce fait que des dispositions légales peuvent être rayées de la carte même après avoir été ratifiées, pour peu qu’un mouvement suffisamment déterminé en arrive à menacer, même virtuellement, l’équilibre du pouvoir dans la société. Refuser d’entériner la défaite face aux ordonnances, c’est renforcer l’élément moral du mouvement, ainsi que sa capacité à s’adresser aux travailleurs.ses.
En raison de leur objet – favoriser les licenciements et l’éclatement des statuts conventionnels – re-poser la question des ordonnances, c’est aussi penser les rapports concrets de travail qu’elles visent à modifier ; c’est, en lien avec des luttes concrètes, questionner les stratégies de résistance dispersées aux pertes de garanties, restructurations, plans « sociaux », dégraissages à l’œuvre partout dans les entreprises ; et qui trouvent à s’illustrer dans plusieurs boîtes où les salarié.e.s sont actuellement en lutte. De sorte à ce que ce mot d’ordre ne peut s’affirmer qu’en s’articulant, sur les lieux de travail, avec une attitude offensive portant sur les conditions de travail et les revendications salariales.
Plutôt qu’entreprise par entreprise, cette attitude de lutte peut trouver à s’exprimer et à s’ancrer utilement, dans un premier temps, au niveau des branches professionnelles, à l’échelon desquelles les garanties menacées avaient été précédemment obtenues. De véritables branches professionnelles du précariat, souvent féminines et racisées, se sont instituées avec les externalisations successives de services, comme, par exemple, dans le nettoyage. Le moment est peut-être venu – dans ces secteurs où les escarmouches établissement par établissement vont se multipliant – d’y porter des exigences à la fois défensives et offensives – notamment sur le refus de la sous-traitance, les salaires, les limitations à l’arbitraire patronal – au niveau du métier entier. D’un même mouvement, le refus des ordonnances, de ce qu’elles impliquent et permettent, est également de nature à s’articuler avec le refus de la mise en cause du statut général des travailleurs de l’état et des différentes fonctions publiques, qui porte un contenu identique aux dispositions légales contestées (rupture conventionnelle collective, individualisation des rapports et des rémunérations, mise en cause de la représentation du personnel).
Au total, plus qu’une convergence de différentes luttes, c’est à une unification des luttes – aussi bien celles en cours que celles contenues potentiellement dans la situation – qu’il convient d’œuvrer. A l’heure de la dispersion générale des collectifs de travail, et pour peu qu’elle s’émancipe des réflexes corporatifs et cherche l’amélioration et le nivellement par le haut des conditions de travail de tous.tes, une telle unification est également la clef de l’ancrage local, au niveau du site industriel, du pôle commercial ou de service au sein duquel se côtoient désormais des travailleurs.ses attachés à une dizaine, parfois à une centaine d’employeurs distincts. Seule, par son niveau de généralité comme par ses potentialités d’ancrage, une telle unification semble pouvoir, par ricochet, être porteuse d’une mise en cause politique réelle – et non plus seulement incantatoire – du pouvoir d’Etat.
Sur l’organisation de la lutte
Des tendances observables dans le cycle de lutte duquel nous sortons, et qui comprenait le mouvement contre la loi travail de 2016, ressort une tendance « avant-gardiste » (dans le mauvais sens du terme) dans la manière dont les différents courants, aussi bien bureaucratiques, réformistes que radicaux appréhendent les luttes. Qu’il s’agisse d’accomplir des actions se voulant exemplaires au titre du « cortège de tête », ou de mener une négociation avec le gouvernement, partout – du « comité invisible » à Martinez, en passant par bien des équipes militantes de terrain – émane l’idée qu’on pourrait faire ou dire, faire ou défaire le cours des événements, à la place des travailleurs.ses. Cette idée trouve son pendant paradoxal dans une forme de suivisme face aux événements, une sorte d’immédiatisme consistant à réagir à chaque situation au coup par coup en se privant d’une réflexion sur le temps long et moyen.
Au contraire, une attitude communiste comme nous l’entendons doit replacer au poste de commande et les travailleurs.ses et personnes en lutte (avec les instances d’organisation collective qu’ils ont la possibilité de se donner) et une pensée tactique et stratégique de la lutte.
Pour ce qui concerne l’instance de base de la lutte, la forme AG, tant critiquée, ne pose pas, par elle-même, de problème particulier, dans la mesure où elle n’est rien d’autre que la réunion des personnes intéressées au développement de la lutte. Son souci n’est pas de forme mais de fond : elle n’est la plupart du temps qu’une chambre d’enregistrement de la tactique syndicale discutée en dehors d’elle. Parfois, seule la question de la reconduction de la grève y sera posée, ce qui lui donne paradoxalement un air souvent simplement propagandiste. Pour que l’assemblée de base renoue avec sa vocation délibérative et exécutive, il convient d’y poser non seulement des questions de politique générale du mouvement, mais encore d’y proposer des moyens concrets de les résoudre, c’est à dire, d’abord, des instances chargées de mettre en œuvre les conclusions auxquelles les participant.e.s arrivent collectivement, à chaque échelon où ces conclusions doivent trouver à s’appliquer.
Ainsi, par exemple, il est évident que des instances spéciales doivent être désignées dans les facultés, en vue de promouvoir spécifiquement l’extension du mouvement aux lycées avoisinants – les lycéens étant les premières victimes de la réforme en cours.
De fait, la grève politique n’est pas qu’une affaire d’établissement, elle est, avant tout, une affaire de politique nationale. Ce qui est vrai à l’échelle d’une gare, d’une université, d’un atelier ou d’un hôtel l’est a fortiori au plan du quartier, de la ville entière, du département, de l’entreprise, de la corporation, et, surtout, du pays. Si chaque courant a légitimement le droit de proposer ses modalités d’action et d’expression, on ne pourra pas parler d’indépendance de classe tant que les dates et mots d’ordre de mobilisation, les stratégies d’action et les appréciations à porter sur les coups qu’il convient d’assener ou pas au gouvernement au plan central seront décidés à Montreuil, par le staff de Mélenchon ou même dans des discussions informelles au sein des milieux d’extrême-gauche ou autonomes. A toutes les échelles utiles, au plan sectoriel comme géographique, il convient de désigner des instances de coordination et de décision de la lutte, seules légitimes à s’exprimer en son nom ; à négocier – ou à refuser de négocier – avec telle ou telle branche du patronat ou du pouvoir politique ; à proposer dates et modalités, dans le cadre des orientations générales validées par les grévistes.
Sur l’attitude à adopter envers le pouvoir
L’attitude des instances centrales des syndicats envers l’État est, de manière générale, calquée sur celle en vigueur à la SNCF. Alors que les cheminot.e.s sont en grève, le calcul de la direction de la CGT est de s’appuyer sur le mouvement pour obtenir un infléchissement du gouvernement sur le plan proposé, tout en participant aux réunions de « concertation » que celui-ci convoque. Si les marges de manœuvre syndicales sont de l’ordre de zéro, ce que les centrales reconnaissent à demi-mot en moquant ces mêmes réunions auxquelles elles se rendent, cette attitude de participation dénote plus fondamentalement le refus d’une tactique de déligitimation du pouvoir. Ce refus est confirmé par les déclarations récentes de Martinez appelant le gouvernement à redescendre sur terre et précisant qu’il n’a jamais été question de le « faire tomber ».
A l’inverse, il convient selon nous de proposer au mouvement ouvrier et au mouvement de lutte, non pas de se fixer l’objectif immédiat et purement verbal de faire tomber le gouvernement, mais, dans un premier temps, d’opter pour la rupture franche avec celui-ci, et ce tant qu’il mettra en œuvre la restructuration capitaliste. Que chaque projet gouvernemental en cours de discussion ou à venir vienne se heurter au refus ostensible de s’asseoir à la même table que lui. C’est, précisément, ce que rendent possibles les formes autonomes d’organisation comme les coordinations, telles que la SNCF, par exemple, en a connu en 1986 – et qui peuvent imposer dans certain cas aux instances syndicales de se soumettre à la discipline collective du mouvement, ou, mieux, de céder la place aux délégués élus par les grévistes.
Cette vérité que la démocratie bourgeoise, c’est toujours la démocratie des riches et des coups de matraque pour les pauvres lorsqu’ils relèvent la tête ; et, partant, que nous n’avons jamais, depuis la Commune, accepté de reconnaître la légitimité du pouvoir de classe de la bourgeoisie est bonne à rappeler en temps de lutte. Mais, sans être révolutionnaire, des pans entiers de la société – dans le monde du travail mais pas uniquement – n’acceptent pas les mises en cause de droits fondamentaux économiques et sociaux telles qu’elles sont induites par l’offensive capitaliste en cours. Sans renoncer à faire du mouvement une tribune pour nos idées, il s’agit de proposer à ces secteurs sociaux, à cette étape, un front unique loyal, qu’il convient de rendre possible en écartant aussi bien le suivisme vis-à-vis des états-majors de gauche et syndicaux qu’une certaine posture soi-disant « radicale », qui refuse d’autant plus toute forme de « compromis » qu’elle se situe en dehors de la réalité.
Sur le rôle des communistes
Le rôle du mouvement communiste révolutionnaire est, en tous les cas, décisif. Qu’il existe sous forme de noyaux informels ou de structures constituées, participer à la mise en œuvre de cette politique, œuvrer à établir à chaque étape une juste compréhension de ses possibilités d’action et les mettre à exécution, est une tâche qui lui incombe au premier chef. Encore faut-il que celui-ci s’en donne les moyens ; qu’il rompe avec l’attitude consistant à jouer soit un rôle de commentateur impuissant à la manière d’une certaine ultra-gauche, soit à se croire, chaque groupement pris séparément, comme l’avant-garde indiscutable du prolétariat, à la manière de certains courants trotskistes.
Pour ces raisons, nous proposons d’instituer la pratique de réunions de tendance, destinées, avant et après chaque événement d’importance du mouvement, à rassembler les communistes internationalistes et la gauche communiste pour un échange de vue et pour bâtir une véritable politique dans le mouvement, en donnant, chaque fois que cela est possible, un caractère décisoire et effectif aux décisions susceptibles d’être prises ensemble – et ce pour défendre les intérêts immédiats de notre camp social, mais également pour, au-delà des cercles existants, construire l’organisation révolutionnaire du prolétariat communiste.
Ces éléments de mots d’ordre, d’organisation, d’attitude politique et de rassemblement des révolutionnaires nous semblent pouvoir être utilement proposés à la discussion au sein du mouvement et à son occasion. Formons le souhait que du front unique et de l’auto-organisation des prolétaires jaillisse un joli printemps de lutte et de victoire contre l’infecte société capitaliste et ses commis du moment !
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info