Nahel aurait pu rejoindre la liste des statistiques de la place Beauvau – le quinzième automobiliste tué par la police depuis 2022. Sauf que cette fois, la pilule ne passe pas. La scène a été filmée et devient virale sur les réseaux sociaux et les plateaux télés. Difficile de justifier l’exécution devant les images et la bande-son accablantes (« tu vas te prendre une balle dans la tête ! », « shoot ! »). Les journalistes n’ont pas d’autre choix que de remettre en cause la version policière (le fameux « le policier a tiré pour sauver sa vie »). Des députés NUPES montent au créneau. Les avocats de la famille de Nahel menacent de poursuivre quiconque prétendrait que Nahel a un casier judiciaire. L’adresse du meurtrier fuite sur Snapchat [1]. La situation est telle que Gérald Darmanin est obligé de ravaler sa morgue et de confesser des « images extrêmement choquantes » et des « gestes pas conformes aux instructions et à la loi de la République ». Tout cet arrière-fond (la scène filmée et diffusée immédiatement « sans attendre les résultats de l’enquête », Nahel est adolescent, ça se passe en région parisienne, dès les premières nuits ça part en émeutes...) aboutit à ce fait rarissime : le meurtrier est lâché par sa hiérarchie et l’appareil judiciaire. Ce fonctionnaire, décoré par l’ancien préfet de police Didier Lallement pour son « courage face aux gilets jaunes » [sic], devient le fusible qui saute. Contrairement à tous ses collègues, auteurs de coups de feu comparables dans des circonstances comparables et laissés libres, il est écroué deux jours plus tard.
Mais l’incarcération du policier et les déclarations de Macron (« un acte inexplicable et inexcusable » à propos de l’exécution de Nahel) ne suffisent pas : la mécanique de la révolte s’est enclenchée. Les cibles sont claires : principalement les hommes en bleu, les commissariats, les mairies et tout ce qui ressemble à un batiment public. En novembre 2005, les émeutes avaient mis deux semaines à se propager à l’ensemble du territoire. Ici, le mouvement se généralise dès le deuxième soir. À Fresnes, le poste de garde de la prison est attaqué. Des bus et des tramways sont incendiés dans plusieurs villes. De courtes vidéos de policiers en civil et de matons reconnus dans la rue et pris à partie circulent. À certains endroits les policiers sont obligés de reculer. Le concert de Mylène Farmer au stade de France est annulé 🎶 Tout est chaos 🎶
Les jours suivants, malgré l’important déploiement policiers (jusqu’à 45 000 forces de l’ordre) les émeutes continuent. À certains endroits, elles commencent dès la fin d’après-midi. Pierres et mortiers contre lacrymogènes et LBD40. Là où les emeutiers de 2005 avaient bravé l’état d’urgence et lutté dans un relatif isolement, des appels à rassemblement et à manifestation dans les centre-villes circulent dès les premiers jours. Qui débouchent sur de nouveaux affrontements avec la police dans plusieurs grandes villes (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Saint-Etienne...). Extension du domaine de l’émeute. Et comme toute cette hostilité à la police se produit dans un contexte d’« inflation galopante » (avec une essence à presque 2 euros [2]) les pillages se multiplient : galeries marchandes, supermarchés et autre magasins voient leurs vitrines éventrées et leurs marchandises récupérées. Rentre chez toi Bruno Lemaire.
Devant un tel événement, avec pour une fois une réponse à la hauteur du crime, le parti de l’ordre a sonné la mobilisation générale. Les journalistes du Monde ne craignent pas d’affirmer, contre l’évidence, que « Les violences commises en France n’ont désormais plus grand-chose à voir avec la mort du jeune Nahel » (2/7/23). Le pouvoir, lui, en est réduit à faire appel à Killian Mbapé et l’équipe de France pour lancer des appels au calme et inviter tout le monde à sagement rentrer chez soi. Les menaces de Dupont-Moretti vis-à-vis des parents dont les enfants seraient arrêtés au cours des émeutes, côtoient les appels au calme « par respect pour la famille » de ces crapules de politiciens. Avec en toile de fond des mobilisations fascistes repérées à plusieurs endroits (Lyon, Angers, Lorient et Chambéry). Derrière les appels à « laisser la justice faire son travail » et les « messages d’apaisement », on sent une certaine fébrilité des pouvoirs en place. Il n’y a pas beaucoup d’interlocuteurs « raisonnables » avec qui négocier quoi que ce soit quand les troubles touchent désormais plusieurs centaines de communes simultanément.
Devant de tels assauts [3], une telle détermination et un tel courage, la situation exige que nous en soyons. Ces moments de révoltes sont tranchant. Tout est facilement lisible. On est soit du coté des émeutiers, soit du coté du maintien de l’ordre et de la réaction.
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