Extrait de l’introduction :
« (…) Le propos de ce bouquin, qui entend conserver l’esprit de « masse anonyme », du bouillonnement qui a animé la « zone », n’est pas, ou peu, illustré par des photos dévoilant des scènes de vie collective ou livrant des portraits. Pas de chef, pas de porte-parole. Un choix assumé, à rebours du parti pris de livres publiés depuis 2012, où des clichés mettant en avant certains groupes ou quelques individualités dissimulés derrière l’acronyme « ZAD » – qui pourtant ne représentent pas l’extrême hétérogénéité des occupant-es servent à idéaliser et à personnaliser une aventure avant tout chaotique et collective. (…) Les récits présentés dans les pages qui suivent se font l’écho de ces histoires… La plupart des textes de ce recueil sont inédits. Seuls deux récits sont déjà parus sous forme de brochure. Évidemment, ces pages en appellent d’autres. Afin qu’émergent des paroles jusqu’ici tues ou restées inaudibles. »
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Extraits du livre :
« Dans le bouillonnement un peu fou du petit monde des occupant-es de la Zad, un problème revient constamment : celui de la transmission de l’histoire […].[1] »
Ça commence quand, ces « histoires » ?
À partir du moment où les premiers agris vendent leurs terres au conseil général dans les années 70 ? Ou dans la foulée, avec les occupations de fermes en soutien aux agris déjà menacés par le département et qui refusent de partir ?
Au début des années 2000, quand la relance du projet par le PS suscite la création de l’Acipa ? En 2007, avec l’ouverture du premier squat ? Ou après, suite aux différents appels à occuper ?
Cette histoire à rebondissements n’a jamais cessé de commencer…
Les étés 2009 et 2010, ceux des camps action climat de Notre-Dame-des-Landes et du Havre, ont vu surgir une critique en actes de projets industriels et de leurs alliés à la tête des institutions d’État. Ces moments ont forgé des amitiés qui se transformeront parfois en collectifs. Certains d’entre eux – qui ont noué leurs affinités en se mêlant à l’organisation des camps, aux discussions, aux actions de sabotages, de blocages, de vélorutions ou d’auto-réductions – ont souhaité poursuivre l’euphorie en décidant de vivre ensemble sur la zad.
De nombreuses brochures et autres textes qui circulent sur des tables de presse subversives[2] dévoilent une histoire de la zad racontée par bribes, et constituent un puzzle à assembler. À leur lecture, on se rend compte que les premier-es occupant-es de la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes n’ont suivi aucune direction, mais ont répondu à un appel – lancé par quelques locataires du conseil général vivant sur place et aux alentours –, et qu’avec le mouvement d’occupation c’est une histoire hétéroclite qui a surgi, sans organisation centralisée – n’en déplaise à celles et ceux qui voudraient s’en attribuer l’origine.
Car il s’agit bien d’un groupe informel local – les Habitants qui résistent –, qui en 2008 diffuse un message invitant à occuper les terres et les maisons destinées à la destruction[3], et qui petit à petit a accueilli quelques dizaines de personnes qui ont débarqué pour mettre des bâtons dans les roues du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes : « […] Si nous sommes là, depuis quelques semaines, mois, ou années, c’est parce que nous avons répondu à cet appel […]. Alors à tout-te.s ceux et celles qui ont lancé cet appel, à ceux et celles qui ne se laissent pas faire : nous ne voulons pas seulement exprimer notre soutien, comme une posture distante et extérieure, mais bien dire que nous nous sentons lié-es dans ces idées et dans ces actes.[4] »
Comme le précise un autre témoignage : « Nous n’avons pas été accueillis par des militantes. Mais par des gens du coin, engagés ou pas, avec qui le chemin vers la compréhension mutuelle fut parfois long. Pourtant, leur manière de recevoir n’est pas anodine. On nous a transmis une sorte de légitimité à être illégitimes. S’implanter dans les bois, ou se loger dans les maisons visées par la construction du barreau routier, n’était évidemment pas autorisé. Ces aventures nous ont amenés à vivre des ambiances bucoliques où s’entremêlaient l’hostilité de certains voisinages, les visites de la gendarmerie et le soutien indéfectible de locaux jusqu’alors isolés dans leur refus d’être aménagés. S’organiser a été vital, mais tellement laborieux… Les moments les plus insouciants sont difficiles à raconter car ils ne correspondent que rarement aux images véhiculées par les “récits de lutte”. Nous avons pu faire revivre des rêves d’enfant, monter des cabanes et grimper aux arbres. Évidemment, les plus beaux souvenirs qui nous reviennent en mémoire n’ont rien à voir avec la stratégie ou les paris sur l’avenir. Les joies et les galères partagées ont fait naître des rencontres. Certaines durent encore. Notre victoire est peut-être là. »
L’ouvrage que vous tenez entre vos mains n’a pas été conçu à des fins stratégiques. Il ne propose pas – et tant mieux ! – un son de cloche unique. Pas de grandioses « on », « nous », « la ZAD », à l’unisson. Mais les contributions de vingt et une personnes, d’âges variés et issues d’horizons divers, qui ont vécu sur cette zone – quelques mois ou plusieurs années – et qui ont accepté de livrer le récit d’un moment singulier de leur existence. Certaines sont très liées, quand d’autres ne se côtoient pas, ou plus.
Le propos de ce bouquin, qui entend conserver l’esprit de « masse anonyme », du bouillonnement qui a animé la « zone », n’est pas, ou peu, illustré par des photos dévoilant des scènes de vie collective ou livrant des portraits. Pas de chef, pas de porte-parole. Un choix assumé, à rebours du parti pris de livres publiés depuis 2012, où des clichés mettant en avant certains groupes ou quelques individualités dissimulés derrière l’acronyme « ZAD » – qui pourtant ne représentent pas l’extrême hétérogénéité des occupant-es servent à idéaliser et à personnaliser une aventure avant tout chaotique et collective.
Parmi la cinquantaine de personnes contactées, une trentaine ont répondu. Une dizaine d’entretiens n’ont pas abouti. En cause : la lassitude d’avoir à revenir sur les noeuds d’une « drôle » d’aventure, la crainte d’être récupéré ou la volonté revendiquée de ne pas publier… Il aura souvent fallu insister, quand certaines se décourageaient ou répondaient « à quoi bon ! ». Quand d’autres – blessé.es, écoeuré.es par ce qu’elles avaient vécu sur cette zone – rechignaient à rouvrir leur boîte à souvenirs… L’intention première de cet ouvrage demeure : donner la parole à celles et ceux qui jusqu’ici, pour de multiples raisons, n’ont que peu ou pas été entendues. La diversité des personnes sollicitées et des lieux représentés, leur difficulté à s’exprimer aussi, expliquent souvent les délais – plusieurs années dans certains cas –, avant d’entamer l’écriture d’un récit ou d’accepter l’enregistrement d’un témoignage. Celles et ceux qui ont offert leurs récits ne se sont pas concertés. Certains faits sont donc évoqués à de multiples reprises. Ces répétitions ne sont évidemment pas fortuites : on y évoque les mêmes événements, qui se sont déroulés durant une même période, et qui ont été vécus par des protagonistes foncièrement différents.
La résistance aux expulsions de 2012 est documentée par de nombreuses photos et vidéos. Certaines montrent des camarades qui se déplacent d’arbres en arbres, à dix ou quinze mètres de haut, sur des ponts de singe. Même si ces pratiques de funambules s’approchent du merveilleux, le plus touchant se déroule au pied des arbres. Des dizaines, voire des centaines, de personnes encourageant les amies dans les airs, les applaudissant, jouant de la musique, sifflant, chantant. On y remarque des visages euphoriques, qui crient, qui expriment leur enthousiasme, leur peur, leur solidarité, Pourtant, quelques années plus tard, une fois l’abandon du projet d’aéroport acté, c’est une autre forme d’encouragement qui émergera : celui à dégager de la zad. À laisser place aux porteurs de projets validés par les administrations. À croire que la radicalité était alors perçue comme « utile » : on vous encourage parce que l’image médiatisée est forte et considérée efficace. Mais demain nous n’aurons plus besoin de vous, ni de ce genre de protestation. Alors il faudra partir. Car la plupart de ces camarades sur zone ne se résoudront pas à faire confiance à l’État. À signer des papiers avec la préfecture, à quitter leurs lieux de vie, à devenir raisonnables. Et deviendront par là-même « des problèmes », des « saboteurs du mouvement » (sic). Tristesse. Rage.
Les ouvrages jusqu’ici parus n’ont accordé que très peu d’espace aux témoignages de ces personnes qui ont pourtant donné envie à des centaines d’autres de venir habiter sur la zone. Parmi elles, K., qui a participé aux occupations de la forêt de La Gare de Vigneux, de La Saulce ou du No Name, mais qui, estimant que l’entretien réalisé ne reflétait pas la richesse ni l’intensité de ce qu’elle y avait vécu, a préféré se retirer des pages de ce livre : difficile de résumer ou de mettre des mots sur des moments aussi denses. Avec son accord, voici un extrait de ces palabres qui éclairent sur le parcours, l’implication et la détermination de ces premier.e.s occupant.e.s. Loin, très loin du discours sur l’agriculture ou les communs…
« […] C’est plus tard, au No Name, que j’ai construit ma cabane. Et j’ai pas mal participé aux constructions à l’ancienne Gare de Vigneux, autre lieu occupé où la forêt et les arbres étaient habités. Pour moi, c’était évident de construire et d’habiter dans ces endroits. C’était des positions hyper stratégiques car très difficiles à reprendre en cas d’expulsions. Dans les autres lieux où j’ai pu habiter/résister, les arbres ont toujours été les meilleures solutions pour emmerder la police. Parce que c’est très compliqué pour eux de te demander de descendre. Par exemple, en Tasmanie, j’ai construit des plates-formes à soixante mètres de haut (certains arbres faisaient jusqu’à cent mètres). Lors des chantiers de déforestation, nous venions de nuit, et à l’aide de câbles nous nous accrochions. Le câble était attaché à la plate-forme suspendue en haut de l’arbre, puis passait dans la machine et repartait à la plate-forme. Si la machine bougeait ou si le câble était coupé, la plate-forme et ses occupants tombaient. La police était donc obligée, dans un premier temps, de faire descendre des arbres les personnes qui y étaient perchées. C’est comme ça que j’ai commencé à pratiquer des occupations de forêt. […] »
Nombre de textes évoqués plus haut reviennent sur cette préoccupation – essentielle – de la transmission : « […] Raser une maison, c’est souvent en effacer les traces rapidement, en “nettoyant” scrupuleusement ou en reconstruisant par dessus. Les traces de l’acte de destruction sont des bribes de l’histoire des vaincus qu’il s’agit de faire disparaître. Sauver des décombres quelques poutres, raconter des histoires de ces lieux, prendre des photos avant le désert sont autant d’actes de résistance face à la violence de la réécriture de l’histoire par les dominants. Garder des traces pour que la colère sache exister contre l’oubli…[5] »
L’inévitable question demeure : qui écrit, à quelle fin, de quel point de vue ? Pour beaucoup, l’histoire proposée par les ouvrages à gros tirages à partir de 2012 a été en quelque sorte « kidnappée ». Tout s’est déroulé un peu trop vite : un éloge des cabanes, des portraits héroïques, des habitants incontrôlables – mais tellement « vivants » – de la D281, et puis on est passé à des récits victorieux, à l’écriture d’une légende – auréolée par quelques personnalités issues des réseaux intellectuels universitaires, médiatiques, éditoriaux…
Il aurait fallu se contenter d’une histoire écrite au cordeau, mythifiée, à base d’images symboliques, de communs, de reprises de terres, d’agriculture alternative, de lutte internationale ?
On retiendra plutôt cette mise en garde, prémonitoire : « […] Ce qui se partage aussi, c’est de se battre sans s’en remettre aux politiciens, de ne pas entendre leur langue morte, de ne pas croire leurs promesses. De se méfier de leurs concessions. […] C’est à nous de prendre les choses en main, sans rien attendre de tous les rapaces qui font leur puissance sur notre dos […].[6] »
L’eau chaude, Les cabanes, l’agriculture ou les communs, n’ont pas été inventés par la zad. Par contre, cette zone a offert autre chose : un terrain de jeux, un asile, une zone affranchie de beaucoup de règles, insolente, irréaliste, immature, anonyme. Durant presque une décennie, un grand nombre de personnes en mal avec la société s’y sont retrouvées. Et il aura fallu des années aux forces de l’ordre, et aux groupes dominants sur zone, avant qu’ils n’en (re)prennent le contrôle.
Les récits présentés dans les pages qui suivent se font l’écho de ces histoires… La plupart des textes de ce recueil sont inédits. Seuls deux récits sont déjà parus sous forme de brochure. Évidemment, ces pages en appellent d’autres. Afin qu’émergent des paroles jusqu’ici tues ou restées inaudibles.
Notes :
[1] « Aux révolté.e.s de Notre-Dame-des-Landes. », juillet 2012. In Contre l’aéroport et son monde. Échos de deux mois d’expulsions et de résistances sur la Zone à défendre, janvier 2013, p. 5.
[2] Également disponibles sur des sites internet. Par exemple https://infokiosques.net/
[3] Des habitants qui résistent, « L’aéroport de Nantes, c’est NON », 1er mai 2008. In Contre l’aéroport et son monde. Échos de deux mois d’expulsions et de résistances sur la Zone à défendre, janvier 2013, p. 7.
[4] « Aux révolté.e.s de Notre-Dame-des-Landes. », juillet 2012. In Contre l’aéroport et son monde. Échos de deux mois d’expulsions et de résistances sur la Zone à défendre, janvier 2013, pp. 5-6.
[5] Idem, p. 21.
[6] « Aux révolté.e.s de Notre-Dame-des-Landes. », juillet 2012. In Contre l’aéroport et son monde. Échos de deux mois d’expulsions et de résistances sur la Zone à défendre, janvier 2013, p. 6.
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