Parce que voir et savoir que les copines se sentent mal, cela ne suffit pas pour que la balance penche de notre côté.
Les mots, les mots, pour désigner les maux, sont nécessaires. Non pas pour convaincre de la nécessité de s’organiser mais comme témoignage à vif esperant trouver écho chez d’autres.
Au delà du discours portant sur les risques et la prévention de ces risques mal vécus, il s’agit plus ici de désigner les moments irritants que nous avons en commun, et se demander vers quoi nous voulons nous diriger, ensemble.
Car on a tous et toutes une copine ou une soeur, ne fais pas semblant de ne pas savoir.
UN ESPACE POUR SE RETROUVER ?
Une fête pour qui ? Puis, la fête pourquoi ? Ben pour tout le monde, pour rien, comme ça ! N’importe quand et n’importe où, s’inviter à la joie, enfin, à ce qui nous arrange, à ce qui les dérange. Eux, qui nous veulent ternes, froid.es, silencieux et silencieuses, subissant nos journées sans vivre nos nuits.
Il n’y a pas de fête plus réussie que celle où les ami.es se lâchent, trouvent l’espace pour exprimer ce qu’ils et elles ont besoin d’incarner.
Oui mais voilà, quand on observe que les ’fêtes’ sont remplies de mecs, on en vient à penser que les soirées sont faites pour eux.
D’ailleurs, ils le pensent eux mêmes, les voilà à l’aise.
Dans le noir, à l’abri du jugement public, l’agression est plus ou moins subtile. De la main au cul à l’invitation incessante, c’est le travail au corps ou le retournement de cerveau qui guette les proies.
Car c’est bien de cela dont il s’agit - un terrain de chasse. Un espace pour chercher, trouver et traquer sa proie. C’est leur territoire, et nous en sommes, au final, les invitées.
Un espace pour se retrouver entre pélos.
Et souvent aussi, très souvent, entre bourges, quand il ne s’agit pas d’un concert punk.
« Oh, mais n’exagérons rien, séduire est millénaire, naturel ! Tu prends tout mal ! Un peu d’humour ! »
Peut-être, peut être-pas, la rhétorique vaincra. Ce qui est certain, c’est la défaite de la complicité lorsque le consentement n’y est pas. Non, je n’ai pas envie. De te parler. De te prendre avec des pincettes, au risque de te vexer, au risque de me faire insulter, au risque de partir essouflée ou d’attaquer. Aux risques diplomatiques :
il connait le pelo qui connait la meuf du pelo qui est assis la-bas, putain ça va partir en cooooouuuilles !
C’est dans leur nombre, et dans le manque de répit et de sérénité qu’intervient l’agressivité ambiante. De toute part, tout le temps, les coups surgissent. Or s’éclater et être apte à la rencontre quand sa garde est montée n’est pas possible. Prendre le risque d’être vulnérable dans ces conditions ne me semble pas conseillé (ça va, la phrase est bien tournée ? C’est dla merde oui !).
Une meuf toute seule ne sort pas, sauf si c’est une salope. Puis une meuf qui porte des fringues qui la mettent en valeur, c’est une salope, et elle le sait. Une meuf qui porte des fringues amples qui puent est une pôvre tox’ perdue. Elle est prête à tout. Et l’autre là bas, c’est une gouine, j’ai jamais baisé une gouine...
On est sexy, et exotiques alors, le bourgeois venant se rincer l’oeil dans les bafonds, quand il a pas l’audace d’aller se payer une pute. De toute façon, nous, âmes perdues, sommes toutes des putes en devenir, mais on ne le sait pas encore, un jour on comprendra. Il ne fait que profiter d’une situation existante, mouarf, il ne fait rien de mal.
Une meuf qui est dans une cave sombre d’un veux squat pourri à 4h du matin,
est là pour se faire troncher. Une femme qui se respecte ne reste pas là. Il est si ‘clair’ que l’espace est ‘dangereux’ qu’une femme qui ne désire pas se faire troncher ne reste pas. Si tu n’as pas peur, c’est que t’aimes ça, le danger. Si elle vient avec sa copine, c’est qu’elle veut un plan à trois. Haha, elle dit qu’elle a un copain ! Il lui permet de venir à ce genre de soirée ! C’est qu’une pute !
Il m’attend aux toilettes. Il connait mon prénom car il a écouté les conversations. Il me suit sur la piste et me colle discrètement.
Ma parole, n’allumez pas vos joints les meufs, vous allez partir en parano !
Prévenir ces risques là, c’est autre chose que de prévenir des maladies avec des capotes ou des peines trop lourdes grâce à un « bon avocat ».
Comment faire quand c’est partout, tout le temps, déjà toujours présent ?
« Traîner ensemble » entre freaks alors, n’est pas suffisant. Eh quoi, je dois rester pendant 10 heures avec la même combinaison de personnes ? Comment faire pour approcher de nouvelles têtes ? Puis, avancer en groupe, n’est pas toujours la meilleure technique pour rencontrer un individu.
Se retrouver, ouais on entend souvent ça. Mais avec qui ? Entre qui ?
On retrouve la même agression que « dehors », à comprendre en-dehors du cercle amical alterno, avec l’illusion d’être à l’abri, ce qui nous rend vulnérables.
INVITER ?
« L’organisation, c’est tout le monde ! ».
Ou comment éviter le blâme, car blâmer c’est maaaal. Au lieu de critiquer, il faut faire, c’est ça ?
« Ici, c’est chez personne, c’est chez tout le monde !"
Non, ici c’est chez toi. Tu organises la fête.
Tu aimerai partager ton espace, l’ouvrir, et te débarasser de ton rôle de propriétaire, ou pas selon les personnes, il n’empêche que ce lieu t’es familier, tu connais le terrain, les enjeux, bref, tu joues à domicile, c’est donc bien chez toi, même quand tu n’y dors pas et n’y pisses pas forcement.
Tu aimerai peut-être que l’exclu, le véner, le vagabond et le fêtard s’y sentent à l’aise (parfois c’est bien flatteur aussi)...tellement à l’aise, « comme à la maison », qu’ils finissent par dire eux-même :
« Ici c’est chez personne, ici c’est chez tout le monde ! ».
Tu ne sais pas tout, tu n’es pas partout, tu ne peux tout prévenir.
Inutile donc de participer à cette milice patrouillant et contrôlant les relous.
Préventif, le rôle est douteux à mon sens. Puis ça fait un peu froid dans le dos, non ?
Trop occupées que nous sommes à être les petites mains de cette vaste entreprise (oh, mais qu’ai-je dit !), cachées derrière nos tables de presse et autres guichets de service, nous ne colorons plus l’espace que nous revendiquons pourtant.
« Euuuh, oui, t’as raison, mais là il faut que j’aille m’occuper des lumières... on essaiera de faire mieux la prochaine fois..."
Nous gérons, puis profitons parfois à tour de rôle, parfois à la fin de l’évènement.
Colorier l’espace, de nos propres gestes et attitudes, c’est imposer l’ambiance désirée, c’est s’armer et s’aimer comme nous le souhaitons, désarmer l’oppression, désamorcer une situation pesante. C’est inviter, de nos propres corps, à nos propres risques, assumant les mots proposés auparavant sur l’affiche.
Etre présent, être visible, c’est être disponible.
Non, je n’aurai pas le réflexe d’aller ‘chercher la Maitresse’ à la table d’entrée pour lui désigner le coupable, qui, peut-être, mais c’est pas sûr, me fait chier. D’ailleurs, il est passé où ? Merde, je l’ai paumé dans la foule...
Ca rappelle le temps des mouvements sociaux, le nez dans l’urgence et les nerfs à bout.
Ploum ploum tralala, Apathie vaincra.
Inviter donc, c’est prendre la responsabilité non pas des actes et des anecdotes existantes, mais de l’ambiance facilitant leur application.
« C’est qui qui organise ?
Ici y a pas de chef ! Nous sommes tous responsables !
Ok ok..."
RESPIRER ?
La non-mixité choisie, même entre amis.
Se retrouver entre femmes, entre gouines ou toute autre identité n’étant pas perçue ou ressentie comme dominante.
Bref, quand t’es blanc et grand et beau et musclé t’as moins de problèmes, même si, oui, c’est parfois dur d’être le « mec de service » :
tu n’as pas le droit d’être ni sensible, ni pleurer, ni trop PD, puis c’est toi qu’on appelle pour la bagarre, même si t’as pas envie.
Mais t’as quand même moins de problèmes, car tu n’es pas pris en chasse, arrête de chouiner c’est vraiment injuste.
Nous, femmes, jeunes et fraiches, sommes le reflet de la réussite, nan ?
Pour nos amis nous reflétons la réussite de leur soirée ainsi que de leur capacité à nous entourer correctement- leur dire que nous subissons le moment au lieu d’en profiter, et les voilà face à leur impuissance.
Pour les emmerdeurs, nous serons le reflet de leur virilité et de leur pouvoir de séduction, passe-t-elle par la conviction ou par un corps chaud-bouillant.
Dans tous les cas nous demeurons le miroir des agissements de l’homme, l’ombre de sa gloire, étant négligées si l’on se défait de la couture qui nous coud à leur chevilles, rappelées au risque que nous prenons en nous essayant sur les chemins de l’autonomie.
Quelle vexation quand on informe d’une volonté de créer un espace non-mixte pour femmes, sur le lieu même de la fête.
Un espace où les femmes peuvent se retrouver entre elles sans les hommes, pour respirer un moment...
Voui, chez les femmes aussi il y a de l’érotisation non-consentie, faut-il le préciser à force de l’avoir entendu, mais, désolée Messieurs, on règle nos comptes entre nous.
Loin de vos regards, ça vous fait parfois un peu trop kiffer les matchs de boue de nanas déterminées, on prend pas ce risque-ci...
« Non, mais attends, meuf ! franchement y a des copines elles se baladent torse nu et tout, jte jure, personne les a emmerdé, on les a entouré et tout ! et puis même, si y en a un qui te fait grave chier, on le dégage direct ! franchement si tu veux le taper on le défonce pas de problème, même jte laisse passer devant et tout, c’est à toi de faire je sais bien ça, et moi je suis là au cas où, pas de problème je ferai pas le bonhomme ! mais franchement un endroit non-mixte ici ça sert à rien, ça se passe pas comme ça ici, les gars qui viennent ils sont pas de ce genre là tu vois, ça à riiiien à voir ici !!! nan franchement ça fait que séparer les gens si on fait un espace non-mixte ! Mais ! On est entre amis ! »
Oui, t’es mon pote mais je veux pas que tu t’assois près de moi quand j’ai besoin de repos. Car, parfois même par compassion, ils vivent nos drames étant proches de nous, sans avoir pourtant notre expérience pour dominer les premières rages. Alors, il nous faut gérer nos ennuis, et leur conséquences sur nos mecs. Puis leur en parler c’est souvent difficile, pour maintes et maintes raisons.
La rhétorique fatigue, et quand on est fatiguées, on est irritables, l’agression vient derrière. On en veut aux emmerdeurs, aux hommes qui veulent ’dédramatiser’ la situation, et aux femmes qui s’en sortent bien parce qu’elles sont en couple et assez défoncées pour être insouciantes et faire des généralités de leur vécu.
« Mais c’est si dommage de vous cacher ! On est là nous ! »
Chevalerie, c’est sympa mais non.
Ne vous inquiétez donc pas ! Enfin, si, inquiétez vous, s’il vous plait, mais pas comme ça.
Un endroit pour respirer dedans avant d’expirer dehors, pour prendre des forces avant de retourner dans le tableau de chasse.
Peu importe tes invités, peu importe leur niveau social ou intello, je ferai pas confiance à ton propre frère.
Parce qu’avec moi, il ne se comportera pas comme avec toi ! Ma réalité n’est pas la tienne ! Merde !
« Mais c’est à vous, les femmes, de vous organiser ! Et vous vous y prenez mal ! »
Nous réglons nos problèmes et nos auto-critiques en interne.
Un espace pour reprendre son souffle, pour rencontrer d’autres femmes, pour signaler notre présence et volonté, pour briser l’isolement, est indispensable quand on ne veut pas être toujours en guerre.
C’est bien excitant et flatteur d’avoir des potes meufs énervées, déterminées et volontaires, ça fait kiffer l’entourage, mais voilà, on a pas toujours envie de se battre.
Que tu sois d’accord ou non, l’espace de femme se crée automatiquement.
Tu verras très souvent un attroupement de meuf dans un coin.
Alors tu vois, malgré l’interdiction d’ériger une tente avec une pancarte : « pour les meufs », on se réunit.
Tu nous empêcheras pas de nous retrouver :
Par contre, tu nous empêcheras de communiquer notre solidarité à d’autres, car tu empêcheras notre visibilité.
Alors, les filles qui s’en sortiront ce soir-là seront celles qui seront accompagnées de leur mec, ou d’un groupe de meuf souvent déjà cristallisé. Ou celle qui fait très peur ou celle qui parait complètement timbrée.
Ce sont moins les expériences qui traumatisent que leur enchaînement rapide :
il n’est pas nécessaire de vivre une agression de fou pour se retrouver K.O, essoufflée, fatiguée...
inutile d’attendre le spectaculaire pour agir.
Voilà, beaucoup de mots pour dire des choses pourtant simples, quand on s’écoute.
Que la fête continue ! Pour un carnaval permanent !
Nous ne serons plus fortes que plus folles !
N’arrêtez pas la musiqueeeeee...
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