Le 3e comité interministériel « égalité et citoyenneté », dont le but est d’aboutir à une loi fin 2016 répondant au « problème des banlieues » est défini comme suit : "Face aux inégalités territoriales, aux difficultés frappant nombre de nos concitoyens qui se sentent relégués, entravés dans leurs projets ; face au chômage de masse, notamment des jeunes, à l’insécurité, à la montée des communautarismes, il faut poursuivre et amplifier la mobilisation de l’État et de toute la société. Répondre à ces attentes dans la durée c’est le sens du Comité interministériel Égalité et Citoyenneté." [1]
Cette définition, donnée lors du premier comité qui a eu lieu le 6 mars et reprise par le deuxième du 2 octobre 2015 n’est pas anodine et s’inscrit dans un contexte "post Charlie". Deux mois après le 7 et le 9 janvier 2015, dates auxquelles des attentats ont visé une supérette casher et la rédaction du journal Charlie Hebdo, causant la mort de 20 personnes à Paris et en région parisienne. L’ambiance est au durcissement des mesures sécuritaires avec le déploiement de militaires dans les rues, aux suspicions des institutions sécuritaires à l’égard des personnes catégorisées comme arabes ou musulmanes, à la chasse contre toute personne qui ne se relierait pas à l’unité nationale, multiplication des agressions racistes islamophobes. C’est ce contexte, toujours prégnant aujourd’hui, qui porte ce projet de loi, troisième acte suite aux deux premiers comités qui se sont déroulés respectivement en mars et en octobre 2015 contre la « ghettoïsation des quartiers ». [2]
Le logement : chacun sa chance, le riche vaincra
La réponse proposée par le gouvernement à la ségrégation des quartiers est dans le titre deux du projet : « Mixité sociale et égalité des chances dans l’habitat. » L’avant-projet de loi comporte la volonté de décentrer une partie des logements sociaux hors des zones prioritaires afin de favoriser la mixité sociale. Rappelons ici que ce sont les préfets qui sont chargés d’examiner la situation de chaque commune et, éventuellement, de dresser un constat de carence, droit quasiment jamais exercé. Le projet de loi souhaite cependant renforcer le pouvoir coercitif du préfet à l’encontre des communes reconnues carencées. Pour cela, il peut conclure avec un bailleur social une opération de construction de logements sociaux et délivrer lui-même l’autorisation d’urbanisme nécessaire, ou récupérer le contingent communal afin de loger les ménages éligibles, notamment DALO. Information utile, à rappeler à Michel Delpuech en temps voulu.
Loin d’interroger les causes sociales et systémiques de la mise à l’écart et de la stigmatisation des quartiers populaires, il propose une réponse symbolique semblant répondre au dictat de la « mixité sociale », dont on sait qu’en ce qui concerne les logements sociaux elle sert surtout à contrôler et hiérarchiser les pauvres. En effet, l’attribution de logements HLM, préalable à l’installation dans logement social qu’elle que soit sa localisation, relève parfois de logiques racistes et hiérarchise les candidats en fonction de leur revenu, cherchant à éviter les « mauvais payeurs ». L’argument de la mixité sociale peut servir à évincer les éléments les plus indésirables, justement au nom de la diversité, sans qu’un contrôle des logiques de discriminations ne soit réellement possible. Plus largement, on se demande le sens de lutter contre une ségrégation qui repose pour partie sur des différentiels de capitaux économiques énormes en disant : « on va lutter contre la ghettoïsation en faisant cohabiter riches et pauvres ». On aurait pourtant aimé lire : « On va lutter contre la ségrégation en luttant contre la pauvreté, pour d’avantage d’égalité entre les personnes » (c’est dans le titre de la loi non ?). Mais égalité des chances ne veut pas dire égalité. L’égalité à la française semble vouloir nier qu’égalité signifie l’absence de hiérarchisation ou de discrimination. L’égalité des chances n’est en rien porteuse d’égalité effective entre les individus, tant elle promeut au contraire compétition au sein de la méritocratie à la française, dans laquelle la richesse est associée à un droit gagné par l’école ou l’initiative individuelle. Le système ne cherche pas à endiguer la pauvreté mais bien à la contrôler, la justifier, c’est ce que permet l’égalité des chances.
Détruire la jeunesse : en faire des « citoyens »
C’est dans cet axe qu’on saisit le mieux les volontés gouvernementales. Attribuant la montée de la révolte à l’encontre des puissants à une méconnaissance de la république, une série de mesures sont mises en place afin de reformater « la jeunesse », l’assujettir aux directives capitalistes et l’absoudre de tout esprit critique. Deux mesures sont mises en avant : la réserve citoyenne et le service civique.
- La réserve citoyenne a été créée par le gouvernement quelques mois après les attentats de Charlie à Paris pour faire se rencontrer les élèves français et des adultes qui acceptent bénévolement de propager les « valeurs de la république ». Cette initiative suit les déclarations de la ministre de l’éducation nationale qui refuse de voir dans l’école un lieu de débat et de construction critique, mais souhaite imposer « des valeurs ».
Najat Vallaud-Belkacem a ainsi déclaré le 14 janvier 2015 :« Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les "Oui je soutiens Charlie, mais", les "deux poids, deux mesures", les "pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?" Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs ».
La réserve citoyenne est ainsi présentée comme devant incarner les valeurs de la république et de la laïcité. La mise en application de ces valeurs depuis (mais aussi bien avant) janvier 2015 s’est traduite par une suspicion accrue à l’égard des personnes de culte musulman, ou de personnes remettant en cause le bienfondé de mesures gouvernementales, comme l’état d’urgence. La réserve citoyenne, s’inscrivant dans ce contexte, ouvre les portes des écoles à des prêcheurs d’une laïcité dévoyée et des valeurs qui semblent davantage incarner l’autoritarisme que la fraternité. Le Premier ministre soutient ainsi fièrement des personnes comme Élisabeth Badinter qui affirme qu’il ne faut pas avoir peur de "se faire traiter d’islamophobe" pour défendre la laïcité. Plus largement, quel respect de l’égalité de croyance ? De qui se moque-t-on lorsque Manuel Valls porte une loi qui s’intitule « égalité et citoyenneté » tout en affirmant, comme le 4 avril dernier que « l’essentiel, c’est la bataille culturelle, identitaire ». Qu’on se rassure, à l’heure qu’il est les 5000 personnes qui s’étaient portées volontaires n’ont pas encore eu l’occasion d’étaler leur dogme dans les écoles, la ministre tardant à mettre la mesure concrètement en application.
- Deuxième point fort de ce volet, l’extension des services civiques. Pour répondre à l’engagement du président de la République de proposer une mission de service civique à tout jeune qui en fait la demande – actuellement, il y a en moyenne 4 candidatures pour une offre de mission –, le projet de loi vient diversifier les structures d’accueil en étendant le dispositif aux organismes HLM et à « certaines entreprises du secteur public constituées sous forme de personnes morales de droit privé ». Et effectivement, depuis plusieurs mois, des centaines de jeunes sont apparus dans les agences Pôle Emploi par exemple pour aider les chômeurs et chômeuses à utiliser les outils numériques. Si le discours officiel évoque un engagement volontaire au service de l’intérêt général, la réalité dont témoignent les jeunes est bien différente. A Pôle Emploi, les services civiques sous-payés et non-formés pour accueillir les chômeurs. A ce sujet nous vous conseillons l’excellent article de La Rotative.info
La citoyenneté ne semble plus vouloir dire être tributaires de droits, mais bien se conformer à une norme imposée par les dominants, et se mettre à leur service. La citoyenneté dans la bouche de Manuel Valls semble être soumission : soumission au dogme capitaliste, soumission à une vision impériale et raciste du monde et de la France. C’est affirmer que la pluralité d’opinion, la solidarité et le respect, bases de la citoyenneté, doivent être oubliés au profit d’une vision parcellaire, stigmatisante et discriminante.
La lutte contre les discriminations : le paravent d’une politique raciste et inégalitaire
Sans peur du ridicule, le Premier ministre met en avant dans cet avant-projet de loi la lutte contre les discriminations. Si les mesures citées précédemment peuvent sembler dérisoire au vu des chantiers auxquels elles s’attaquent, les mesures concrètes de lutte contre les discriminations sont, elles, dans les faits inexistantes. Plusieurs articles viennent faciliter la répression des délits de provocation, diffamation ou injures fondées sur les origines, l’identité ou l’orientation sexuelle. Et puis c’est tout. Ah non, plusieurs expérimentations concernant l’accès à la langue française sont aussi présentes dans l’avant-projet. Si on peut saluer la lutte contre illettrisme, la chasse aux dialectes et surtout à l’utilisation de la langue arabe ou romani à l’école nous rappelle surtout que la langue est affaire de pouvoir.
La mise en place d’un CV anonyme annoncée en grande pompe en mars n’aura pas lieu. Deux mois après son annonce en mars, le 19 mai, François Rebsamen, ministre du Travail, rejette le « caractère obligatoire de l’anonymisation des CV. Beaucoup de bruits pour rien. Pourtant, de nombreuses études réaffirment que la discrimination à l’embauche est une réalité. Le site de l’institut Montaigne en propose une analyse [3]
L’étude proposée souligne que les Français d’origine extra-européenne sont les plus touchés par la discrimination. Insistant sur la faible documentation disponible pour mesurer les discriminations à l’embauche, l’étude insiste sur le fait que les discriminations sont non seulement raciales (les personnes d’origines extra-européennes sont plus fortement stigmatisées), mais aussi religieuses. Les résultats révèlent une forte discrimination à l’égard des juifs et des musulmans. En réponse, la principale mesure de lutte contre les discriminations à l’embauche proposée par le projet de loi consiste à « dialoguer » avec les entreprises... Nous voilà rassurés...
En fait, en creusant, des mesures ont bien été prises, mais étonnamment elles apparaissent concrètement davantage discriminante que l’inverse. Le deuxième comité acte par exemple le port de « caméras piétons » pour les forces de l’ordre. Présentée comme devant limiter les contrôles au faciès et les violences policières, elles servent surtout depuis le début du mouvement social contre la loi El Khomri et son monde à filmer les manifestant.e.s, à accentuer le fichage et à compléter le dispositif répressif.
Surtout, on se demande un peu où est la lutte. Les textes parlent bien de lutte contre le racisme et les discriminations pourtant... Il n’y a rien sur la recrudescence des actes islamophobes (plus de 18% d’augmentation en 2015 [4]) en France. Rien. Ce n’est pas étonnant quand on voit Manuel Valls matraquer encore lundi 4 avril 2016 qu« il faut faire la distinction entre ce qu’est un voile, un fichu porté par les femmes âgées, et la revendication d’un signe politique qui vient confronter la société française » et de faire un trait d’humour « »Ne nous voilons pas la face, c’est le cas de le dire, dans tous les domaines". Manuel Valls participe fortement au climat nauséabond, il ne le combat pas. 64% des discriminations surviennent dans les institutions, et le laxisme de la justice sur ce domaine laisse place à toutes les dérives.
Vaulx-en-Velin : tenons leur tête !
C’est donc à Vaulx-en-Velin le 13 avril que se réuniront Manuel Valls mais aussi une dizaine de ministres, dont Emmanuel Macron (Economie), Emmanuelle Cosse (Logement), Audrey Azoulay (Culture) et Myriam El Khomri (Travail), mais aussi Hélène Geoffroy, maire de Vaulx jusqu’à il y a quelques semaines (remplacée actuellement par Pierre Dussurgey) et maintenant Secrétaire d’état à la politique de la ville.
La commune n’est pas choisie au hasard. Les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1990 ont en effet marqué un tournant dans les révoltes populaires. Dix ans après la révolte des Minguettes, Vaulx-en-Velin s’embrase. Déjà en 1979, le quartier de la Grappinière, à Vaulx-en-Velin est le terrain d’affrontement entre des jeunes et les forces de l’ordre : c’est le début de nombreuses émeutes urbaines. En 1985, un jeune de 15 ans, Berded Barka meure à cause de violences policières. Il roulait à mobylette sans casque lorsqu’il croise deux ilotiers [5]., qui, selon les témoins, lui lancent leur talkie-walkie à la tête. Transporté à l’hôpital, il meurt peu après. Les tensions s’accumulent. Le 6 octobre 1990, une voiture de police heurte une moto. Le passager, Thomas Claudio, meurt sur le coup. Le policier Auriol et ses collègues prétendent que la moto roulait trop vite et qu’elle a glissé. Les témoins affirment que la police lui a coupé la route. Le lendemain des faits, de sérieux affrontements opposent les jeunes aux policiers qui procèdent à de nombreuses interpellations.Un supermarché est pillé et incendié.
Certaines pratiques de la police sont dénoncées (port d’armes illégales, de cagoules, etc.). Le père de Thomas porte plainte et l’avocat de la famille tente d’obtenir l’inculpation de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Le 17 mars 1992 Oriol et Laurent Assebille (conducteur de la moto) comparaissent en correctionnelle accusés tous deux d’avoir involontairement causé la mort de Thomas Claudio par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements ». Verdict : Relaxe pour le policier, 3 mois avec sursis pour Laurent Assebille. Le 8 octobre 1990, Le Progrès de Lyon titre en “ une ” : “ Vaulx-en-Velin. L’émeute ”. Suit cette phrase de commentaire reprise dans l’article des pages intérieures : “ Neuf ans après Vénissieux, la maladie des banlieues n’est toujours pas guérie ”. A partir de là, le "problème des banlieue" est essentiellement abordé sous l’angle de la politique de la ville et envisagée sous l’angle du logement, axe que l’on retrouve dans l’avant projet de loi. Les actes racistes et l’abandon plus général d’une partie de la population sont gommés par la concentration des mesures pour les quartiers au sein d’un Ministère de la Ville. Rien ne change. En 1992, toujours à Vaulx-en-Velin, Mohamed Bahri, 18 ans, est tué par les gendarmes alors qu’il tente de forcer un barrage au volant d’une voiture volée. S’en suivent 3 nuits d’affrontements. Vaulx-en-velin a été et est toujours le terrain d’expérimentation de politiques de la ville qui tendent surtout à détruire les quartiers.
Depuis les années 1990, les Vaudais et les Vaudaises n’ont rien perdu de leur rage et de leur passion. Vaulx-en-Velin dénonce depuis des années les harcèlements policiers. Vaulx-en-Velin où les habitant.e.s ont monté en 2013 le collectif "On Vaulx Mieux que ça" pour dénoncer le sort réservé aux personnes Rroms dans leur commune. Vaulx-en-Velin, dont était originaire Umüt, tué par la police. Vaulx-en-Velin, dont les collèges et lycées se mobilisent depuis des années, que ce soit pour l’accès au logement comme lors de la mobilisation du collège Henri Barbusse en 2013 ou contre la loi El Khomri et son monde aujourd’hui, avec les lycéennes et lycéens déter de Robert Doisneau. Entre non respect du droit au logement, violences policières et répression des collèges et lycées, Vaulx-en-Velin semble être à la pointe des pratiques sécuritaires en France. Depuis le 4 avril, le lycée Doisneau et d’autres tiennent tête à ce gouvernement malgré une répression féroce. Leur mobilisation est admirable. Dès maintenant et le 13 avril, rejoignons-les !
Ce projet de loi est la mise en pratique de l’analyse islamophobe, raciste et élitiste du gouvernement des colères qui grondent. Plus largement, c’est une réponse dans la pratique peu effective, mais dans les discours c’est une réponse autoritaire, anti-pauvre et sécuritaire. A l’heure où les précaires de toutes sortes envahissent la rue et crient leur colère et leurs revendications, le gouvernement les méprise. Le deuxième comité interministériel s’est tenu à Mureaux (Yvelines) le 26 octobre 2015. La date choisie coïncide avec la mort de la mort de Zyed et Bouna, électrocutés dans un transformateur électrique de Clichy-sous-Bois lors d’une course-poursuite avec la police. Les flics responsables de leur mort ont été relaxé Il faut quand même là souligner que Manuel Valls déclarait le 20 janvier "Qui se souvient des émeutes de 2005 ?". Le 26 octobre, sans un mot sur les violences policières, il affirmait son mépris vis-à-vis des quartiers et révoltes populaires en affirmant " lutter contre la ségrégation ».
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