Le 20 juin 2018, le village de Bure se réveillait avec près de 200 gendarmes déployés, l’arrestation de 8 personnes et la perquisition de 11 lieux de vie et d’organisation de la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Le procès se tiendra le 1er, 2 et 3 juin prochains. Les personnes arrêtées sont accusées de former une « association de malfaiteurs », accusation fourre-tout, à la fois très lourde de conséquences en termes de peine (jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d’amende) et dont l’usage est éminemment politique.
Un objectif clair : écraser la lutte
La mobilisation du délit d’association de malfaiteurs vise explicitement à terroriser, à défaire les liens, et à dissuader les opposant.es de s’engager. Le champ d’application contemporain de l’association de malfaiteurs élargit la notion « d’association », permettant ainsi une criminalisation de masse.
Ainsi, comme le soulignent des opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure : « Prêter sa voiture, participer à l’achat de tissu avant une manifestation, avoir ses empreintes sur une bouteille plastique, son ADN sur une écharpe, être co-propriétaire ou co-gérant·e d’un lieu collectif où sont trouvées des fusées d’artifice, etc. tout devient présomption de culpabilité, de complicité, et donc de participation à une Association de Malfaiteurs.
Nourrir, accueillir, loger, mettre à disposition des moyens de communication (téléphone, internet, photocopieur, etc.) dans un lieu privé ou collectif relève directement de l’Association de Malfaiteurs, si les personnes accueillies prennent part, ailleurs, à des manifestations où sont commis des actes délictueux ».
Ce qui s’est passé à Bure n’est pas anodin. Et d’ailleurs les questions posées lors des auditions et les moyens de l’enquête mobilisés ne laissent aucun doute : l’objectif est clairement de s’en prendre aux structures qui permettent à nos luttes de vivre et de se défendre, à toutes ces petites ou grandes solidarités qui font vivre nos luttes. À travers les personnes arrêtées, et les questions posées, ce sont en effet les outils collectifs que représentent le soutien juridique, les groupes de soin ou encore les groupes d’automedia qui sont visés.
On se rappelle à ce titre de la fermeture du site Linksunten Indymedia en Allemagne en 2017 après le flamboyant G20 à Hambourg, et des menaces d’interdiction adressées à Indymedia Grenoble en France après la publication de revendications d’actions. L’offensive de l’État vise à détruire les réseaux d’entraide, de soutien et de communication, tout en faisant planer un climat de peur au-dessus de toutes celles et ceux qui s’organisent politiquement, ou qui se montrent simplement solidaires des luttes. À peu de choses près la même stratégie que pour les manifestations : terroriser, par la peine de prison, ou par la menace de la blessure ou de la mutilation, pour dissuader de se joindre à la lutte.
L’utilisation de l’association de malfaiteurs a une histoire, réactualisée à chaque nouvelle affaire : elle a déjà servi à fragmenter des réseaux de lutte et d’amitié grâce à des constructions policières fomentées par les services de renseignement. En janvier 2008, c’était l’affaire dite « des mauvaises intentions » qui envoyait plusieurs personnes en détention, accusées d’avoir fabriqué des engins explosifs (en l’état, des fumigènes artisanaux et des crève-pneus) alors qu’elles se rendaient à une manif au CRA de Vincennes.
C’est alors l’association de malfaiteurs à caractère terroriste qui est mobilisée, tout comme à l’encontre des 9 de Tarnac, en 2009, accusé.es d’avoir endommagé des caténaires avec des crochets posés sur les lignes TGV. Le procès signera la défaite retentissante, pour un temps, de la mobilisation de l’antiterrorisme à l’encontre de militants.
Les fois suivantes, c’est donc la seule association de malfaiteurs qui est mobilisée : à Rennes en 2016, pendant la loi Travail, contre des actions de sabotage de composteurs de métro à l’aide de mousse expansive ; à Briançon en juillet 2018 pour suspicion d’aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière, dans le cadre d’une mobilisation entre l’Italie et la France contre Génération Identitaire ; à Lyon, le 13 novembre 2018 contre une action antifasciste de construction d’un mur en parpaings devant l’entrée du Bastion Social, à Bordeaux dans le cadre des Gilets Jaunes, le 7 décembre 2019, avec l’arrestation de 16 personnes accusées de fomenter des actions violentes dans un « appartement conspiratif » (l’enquête sera entièrement annulée en mars 2021, les avocat.es ayant pu démontrer l’illégalité de la perquisition).
En septembre 2020, à côté de Grenoble, 6 personnes sont arrêtées de nuit près de jardins collectifs, accusées d’avoir voulu monter une ZAD, ou d’être, peut-être, à l’origine des incendies qui illuminent la région depuis quelques années. Les mises en examen pour association de malfaiteurs sont annulées en avril 2021. Plus récemment, l’affaire dite du 8 décembre 2020 reprend le qualificatif d’association de malfaiteurs terroriste à l’encontre de plusieurs personnes arrêtées à Toulouse, Rennes, Vitry-sur-Seine et Cubjac, soupçonnées d’avoir prévu des actions violentes contre les forces de l’ordre, avec comme toile de fond le soutien à la lutte des Kurdes…
RAJCOL, ou RAJ-Collective, Réseau d’autodéfense juridique collective [1] https://rajcollective.noblogs.org/ Soutien financier pour le procès : https://www.helloasso.com/associations/cacendr/collectes/en-soutien-au-proces-des-malfaiteurs-de-bure-1 Détails pratiques pour venir à Bar-le-Duc : https://bureburebure.info/123proces/ |
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