Anzoumane Sissoko (porte-parole du CSP 75) et Denis Godard (20e Solidaires avec tou·te·s les migrant.e.s) sont membres de la Marche des Solidarités.
Le 1er février, en plein conflit sur les retraites, Gérald Darmanin a présenté le projet de loi immigration au Conseil des ministres. Et confirmé que ce texte déjà infâme… allait encore être durci.
La convergence des agendas n’a rien du hasard. Et au-delà du cynisme des manœuvres politiciennes vis-à-vis de la droite, la combinaison de ces deux lois (mais aussi des attaques sur le logement ou sur les assurances chômage) a une logique globale.
Et nous aurions tout à perdre à les dissocier dans le mouvement de riposte actuel.
Car le deuxième front ouvert par le gouvernement sur l’immigration n’est pas une simple diversion qu’il faudrait ignorer pour se concentrer uniquement sur la question des retraites.
Pas une diversion
Ce n’est pas une diversion pour les migrant·e·s et Sans-Papiers tant le projet de loi renforce leur criminalisation (inscription au fichier des personnes recherchées, légalisation de la prise d’empreintes de force, multiplications des lieux d’enfermement, systématisation des OQTF et des IRTF).
Ce n’est pas une diversion pour les millions de travailleurs et travailleuses étranger·e·s, avec ou sans papiers, dont les titres de séjour, raréfiés, seront encore plus précaires, ouvrant à des droits plus limités et susceptibles d’être remis en cause au bon vouloir de l’arbitraire étatique et policier. ( https://antiracisme-solidarite.org/argumentaire-contre-la-loi-darmanin/ )
Mais ce n’est pas une diversion aussi parce que, au-delà des nouveaux reculs pour nos libertés à tous et à toutes que porte ce projet, sa logique nourrit celle qui est portée par l’attaque sur les retraites.
Alors, s’il l’emporte à l’issue de la séquence actuelle, le pouvoir aura mis en place une société encore plus fracturée, atomisée et raciste soumise à un État fort brisant toute notion de solidarité.
Et nous savons bien que des retraites à l’accueil des migrant·e·s, en passant par l’hôpital ou l’école, les arguments sur le manque de moyens sont de simples mensonges. Les actionnaires du CAC 40 croûlent sous les dividendes, Total annonce des bénéfices records et l’État d’Emmanuel Macron vient d’annoncer qu’il avait plus de 400 milliards d’euros à dépenser pour l’industrie de mort.
Le 6 décembre dernier, à propos de son projet de loi, Gérald Darmanin dévoilait le fond de la logique du gouvernement : « on veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent ».
Il visait bien sûr d’abord les étranger·e·s présenté·e·s, dans un registre ouvertement raciste, comme délinquants potentiels, profiteurs d’allocations… Mais la simplicité populiste de la formule porte bien plus loin.
C’est à cela que voudraient nous réduire Darmanin et Macron : bosser ou rapiner. Si tu ne bosses pas, tu rapines. Si tu ne veux pas être dans la catégorie « rapine » il faut bosser. Et il suffit de traverser la rue pour pouvoir « bosser ». Bosser jusqu’au tombeau, bosser dans n’importe quelles conditions (celles des patrons), à n’importe quel prix.
Et si tu n’acceptes pas, alors ça veut dire que tu rapines. Le crime ce n’est pas de tuer ou de violer, c’est de bénéficier des allocations chômage ou de la retraite ou du droit à un salaire décent. Le crime c’est l’idée même de solidarité.
Bosser jusqu’à crever. A la RATP, depuis octobre, une prime de 150 euros par mois a été mise en place. La condition : ne jamais être absent, que ce soit pour maladie ou parce que ton gamin est malade… ou pour grève.
Haute exploitation
Le projet de loi de Darmanin prévoit que, désormais, le critère de régularisation pour les sans-papiers se fera sur la base des « métiers en tension ». Le terme de « métiers en tension » est un terme patronal. Ce qu’il nomme ainsi ce sont, en réalité, des secteurs de « haute exploitation » pour les travailleurs et travailleuses. Ceux dans lesquels travaillent déjà les Sans-papiers.
Ce sont ces conditions de « haute exploitation » (salaires faibles, conditions de travail dégradées, durée du travail) qui expliquent les difficultés patronales à trouver une main d’œuvre « légale » qui les accepte sur la durée.
Alors, avec l’attaque sur les retraites, sur l’assurance chômage, contre les immigré·e·s, l’État veut forcer les séniors, les chômeurs et chômeuses, les bénéficiaires du RSA et les étranger·e·s à « bosser » à ces conditions. Avant de généraliser ces conditions pour tou·te·s.
Celles et ceux qui ne veulent pas ? Qui exigent l’égalité des droits, des revenus décents, de meilleures conditions de travail ? Ce sont celles et ceux qui « rapinent ». Celles et ceux dont « on » ne veut pas.
Il nous prend pour des "on"
Le « on » de Darmanin est volontairement indéfini mais porte tout le venin idéologique de la politique du pouvoir. Il dit « viens faire partie de notre « on », celui du pouvoir, des riches et des patrons. Qui masque sa réalité de classe derrière la nation, la patrie, les « valeurs » de la République.
L’autre de ce « on », c’est celui ou celle accusé·e de profiter, qui refuse l’inégalité, l’étranger·e de préférence, mais aussi celui, celle qui manifeste, qui s’organise, qui grève. Et la criminalisation des étranger·e·s précède et légitime celle de tous ceux et celles qui résistent.
Sur la question des retraites, pour l’instant, Macron, Borne et Darmanin, n’ont pas réussi à prendre la majorité d’entre nous pour des « on ». Pour l’instant. Il n’est pas sûr que ce soit le cas sur la question de l’immigration.
Mais si nous n’arrivons pas à briser ce « on » de Darmanin, raciste, nationaliste, il nous reviendra comme un boomerang cassant toute possibilité de faire triompher dans la lutte et par la lutte nos conceptions de solidarité. Condition pourtant nécessaire pour gagner, sur les retraites comme sur la loi Darmanin.
Unité et solidarité
Des centaines de collectifs, associations, syndicats ont signé un texte commun contre la loi Darmanin, Uni.e.s contre l’immigration jetable. Il faut rejoindre cette dynamique, en nourrir le mouvement de lutte actuel.
Mais les tribunes et appels ne suffiront pas. Il faut que cela se traduise par des mobilisations concrètes. Tout comme la victoire sur les retraites ne gagnera pas uniquement par des sondages d’opinion, la victoire contre la loi Darmanin ne sera possible que par une mobilisation active et visible de millions d’entre nous.
Ces victoires nécessitent une unité qui ne peut être soudée que par la démonstration active de la solidarité : Français·e·s, Immigré·e·s, Même Macron, même combat. Pour défendre nos retraites et contre la loi Darmanin.
Nous, avec la Marche des Solidarités, avec les collectifs de Sans-Papiers, sommes partie prenante de la lutte pour défendre nos retraites et tous nos droits dans nos quartiers, nos écoles, celles de nos enfants, sur nos lieux de travail.
Nous nous adressons, ici, à toutes celles et ceux qui sont mobilisé·e·s sur les retraites, et notamment les membres des organisations syndicales, les assemblées locales, les Interpros...
Portez, construisez, participez à la lutte contre la loi Darmanin. Faites-en un enjeu du mouvement actuel.
Imposons la régularisation immédiate des Sans-papiers des secteurs dits « en tension » dès maintenant, à commencer par les grévistes de DPD et Chronopost en lutte depuis plus d’un an. A commencer par les Sans-papiers travaillant sur les chantiers des JO.
Il n’y a pas besoin de nouvelle loi pour cela.
Ensemble on peut gagner. Il n’y a qu’ensemble que nous pouvons gagner.
Le 8 février,
Anzoumane Sissoko et Denis Godard
Des premières journées nationales de mobilisation sont appelées contre la loi Darmanin, appelées par le cadre de l’Ucij, le 18 février (sur la question des politiques d’expulsion et d’enfermement) et le 4 mars sur tout le territoire.
Nous préparons une journée nationale le 25 mars - contre le racisme et contre la loi Darmanin - avec des manifestations régionales dans toutes les grandes villes du pays à l’occasion de la Journée internationale contre le racisme.
Les collectifs de la Marche des Solidarités
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