[Brèves du Bistrot 5] Les malfaiteurs poursuivis par les méchants

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Bure | Gilets Jaunes

Ce texte traite du délit « d’association de malfaiteurs », un fourre-tout juridique de plus en plus utilisé pour criminaliser les militants et mouvements politiques aujourd’hui. Il est tiré du numéro 5 des Brèves du bistrot, journal distribué à l’occasion des bistrots de la caisse de solidarité tous les premiers jeudi du mois. Vous retrouverez ce journal en version pdf à la fin de l’article.

Le 22 février se tenait une discussion à Lyon autour du recours au délit d’association de malfaiteurs. Ce chef d’inculpation naît au début du XIXe siècle dans le droit français puis évolue jusqu’à caractériser aujourd’hui un groupement ou entente établie dans le but de commettre un crime ou délit puni par plus de cinq ans d’emprisonnement. Concrètement il est remis au goût du jour par Chirac en 1986 (après avoir été aboli par Mitterand) pour lutter contre le terrorisme islamique juste après des attentats en France en lien avec la guerre au Liban. Comme beaucoup de ces législations, elle étend progressivement son champ d’application : le grand banditisme en fait d’abord les frais dans les années 90 jusqu’à la recrudescence actuelle de son utilisation dans la criminalisation de militants ou groupes politiques dont le coup d’envoi a été donné en 2008 avec l’affaire Tarnac.

Trois affaires ont été présentées pendant cette soirée dont nous relayons ici quelques éléments tant elles exemplifient parfaitement le recours à géométrie variable de l’association de malfaiteurs par le pouvoir.

À Limoges d’abord, S. est en détention provisoire depuis bientôt un an. Ce qui lui est reproché ? Une trace de son ADN retrouvée sur le portail d’une gendarmerie à l’intérieur de laquelle des véhicules ont été incendiés en septembre 2017. Une enquête spéciale est ouverte qui donne lieu notamment à la sonorisation -la pose de micros- dans son appartement, la surveillance de ses conversations téléphoniques et la mise en place de filatures pour lui et plusieurs personnes supposées comme étant en lien avec lui. Plusieurs perquisitions simultanées donnent lieu à des saisies massives de matériels, S. est arrêté. Son avocat a fait une demande de remise en liberté refusée en novembre 2018, pourtant le seul élément à charge contre lui dans cette affaire c’est la correspondance de son ADN à proximité de la gendarmerie. Or, d’une part l’ADN ne constitue pas une preuve dans le droit français, d’autre part l’ADN de S. a été saisi illégalement, à son insu et alors qu’aucune condamnation n’avait été prononcée à son égard. Aujourd’hui S. se pourvoit en cassation, et repassera donc devant le juge prochainement.

À Bure, depuis juin 2018, des personnes sont sous contrôles judiciaires et ont interdiction de se voir. Quatorze perquisitions sont menées autour de Bure mais aussi en région parisienne, huit personnes subissent des gardes-à-vue à rallonge entre 48 et 60 heures d’interrogatoire. Le délit d’association de malfaiteurs donne à la police certaines mesures particulières : les garde à vue peuvent être prolongée jusqu’à 96h, comme lors d’une garde à vue antiterroriste.L’instruction pour association de malfaiteurs courrait déjà depuis un an au moins, en juin 2017 avait ainsi lieu une première série de perquisition à Bure ; les moyens de surveillance déployés alors sont colossaux : écoutes téléphoniques, sonorisation, balises placées sous des voitures, recours à des IMSI catcher : des sortes d’aspirateurs à données téléphoniques avec un rayon d’action défini. L’instruction continue aujourd’hui, cela signifie que chaque nouveaux éléments que le couple police/justice décide de criminaliser peut être relié à ce fourre-tout juridique.

À Toulouse, une personne est en détention provisoire depuis plus d’un mois soupçonnée d’avoir pris part aux manifestations des Gilets Jaunes. Le 2 février, R. fait du baby sitting dans un appartement, descendu fumer une clope dans la rue, il se fait contrôler par la police ; pas ses papiers sur lui, direction le poste où il refuse un fichage ADN ce qui lui vaut une GAV. Suivent les perquisitions et saisies de matériels dans les jours suivant ; fait risible, s’il n’était pas aussi grave, R. est accusé de constituer une association de malfaiteurs... tout seul ! Son dossier d’accusation est clairement vide mais R. semble connu des services de renseignements alors la police cherche à tout prix à le charger et, « pour le confort des enquêteurs », comme l’a dit la juge lors de la mise en appel de sa détention, il est maintenu en détention.

Pas simple de reprendre sa respiration devant un tel déploiement de moyens policiers. Mis en difficulté par des mouvements politiques de grandes ampleurs ces dernières années -ZAD, loi travail, gilets jaunes- le pouvoir semble avoir choisi l’association de malfaiteur comme contre-attaque juridique. Carte blanche aux flics pour trouver des éléments à charges, arrestations et maintiens en détention sans aucune preuve ; c’est sur c’est un peu étouffant.
D’où la nécessité d’échanger à ce sujet. Pour rediscuter des moyens de protection dont on dispose d’abord ; aucun dossier ne fait mention d’un crackage d’une adresse mail riseup ou d’un compte Signal par exemple, bon à savoir. L’occasion aussi de se rappeler à quel point le téléphone constitue un outil de surveillance - des conversations, des déplacements- sans sombrer dans la paranoïa, restons vigilants.
Et puis, les flics sont pas tout puissants. Des tas d’erreurs émaillent les dossiers d’accusation, ils se trompent de personnes, écoutent le mauvais téléphone, comprennent mal ce qui se joue entre les gens. La qualification d’association de malfaiteur ne peut pas non plus tenir éternellement, et le camouflet reçu par l’Etat après la relaxe des accusés de Tarnac peut nous donner du courage pour les batailles juridiques.
Plus généralement enfin, il apparaît que ce chef d’inculpation a la capacité de viser des groupes. Ce qui est recherché ici c’est l’instillation de la peur chez tous les proches d’accusés, peur d’être concerné à son tour si on entre en relation avec ces personnes. Ce qui est attaqué ce sont les liens que l’on tisse, les communautés que nous construisons et c’est sur ce terrain que nous pouvons répondre ; pour reprendre les derniers mots d’un texte paru sur l’affaire de Bure : « Si nous sommes malfaiteurs, alors soyons innombrables à l’être, à nous fondre les un-e-s dans les autres, à faire des collectifs et des réseaux de collectifs, ici et partout ailleurs, en tenant étroitement et affectivement le fil qui nous relie tout-e-s, celui d’une indéfectible solidarité ! »

Plus de précisions sur ces affaires, voir notamment :

Limoges : https://labogue.info/spip.php?article292&lang=fr
Bure : https://reporterre.net/Avec-Bure-nous-sommes-toutes-et-tous-des-malfaiteurs
Toulouse : https://www.mediapart.fr/journal/france/170219/toulouse-sur-fond-de-gilets-jaunes-resurgit-le-spectre-d-une-affaire-tarnac
ou plus récemment : Les malfaiteurs se ramassent à la pelle

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