Claude Joseph Bernard est né à Noyarey (Isère) le 13 juin 1856, la même année que le parc de la Tête d’Or.
Militant précoce, il est très actif au sein du mouvement ouvrier dans la région de Grenoble dès le milieu des années 1870. En 1879, il est délégué des mécaniciens, des gantiers, des chaudronniers, des cordonniers et des tailleurs de Grenoble au congrès national ouvrier de Marseille. Son activisme le désigne au patronat local qui, dès lors, refuse de l’employer. Il quitte alors Grenoble pour Lyon au tournant de 1880-1881.
Le 1er mars 1881, Bernard essaie un coup de force et proclame la liquidation du Parti ouvrier qui rassemble alors des abstentionnistes aussi bien que des suffragistes. Cela ne conduit qu’à sa propre expulsion et à celle de trois de ses partisans. Toutefois, la fraction abstentionniste s’organise et met notamment la main sur une société dont l’objectif est de faire paraître un journal de revendications ouvrières.
Le 24 avril 1881, Bernard signe une convention conclue entre ouvriers et patrons serruriers pour établir le tarif de la journée de travail. Le syndicat des ouvriers serruriers, fondé dans l’illégalité le 1er juillet 1880, n’est déclaré que le 20 septembre 1885.
Le premier numéro du journal anarchiste le Droit social paraît le 12 février 1882. Joseph Bernard en prend un temps le secrétariat de rédaction, puis quitte Lyon pour Paris à la fin du mois d’avril. D’après le commissaire spécial, Bernard « a annoncé son départ à l’imprimeur du journal, le sieur Pastel, en lui disant qu’il reviendrait peut-être à Lyon, dans sept ou huit mois, mais pour s’établir comme patron après avoir renoncé à la politique [1] ». En réalité, il revient trois mois plus tard, le temps d’épouser Virginie Madignier [2] et retourne, avec sa femme, 21, rue de l’Orillon, à Paris. Ils habitent toujours cette adresse lorsque, dans la nuit du 21 au 22 octobre 1882, un attentat est commis, à Lyon, dans un box du café restaurant l’Assommoir, tuant une personne. La sœur aînée de Virginie, disparue de Lyon, sera ultérieurement condamnée par défaut aux travaux forcés à perpétuité pour meurtre et tentative de meurtre, et Bernard est arrêté un mois plus tard et compris dans une information ouverte pour affiliation à l’Association internationale des travailleurs.
Le 19 janvier 1883, à l’issue du grand procès collectif dit « des 66 », il est condamné à cinq ans de prison, 2 000 francs d’amende et dix ans de surveillance et de privation des droits civils, civiques et de famille, peine confirmée en appel le 13 mars 1883. Alors qu’il est en prison, sa femme donne naissance à une fille, Blanche Émilienne née le 19 juin 1883, dans le 3e arrondissement de Lyon.
Libéré en août 1885, il se consacre à l’action éducative et à la propagande syndicale. Il est notamment élu délégué au Congrès national des syndicats ouvriers tenu à Lyon du 11 au 16 octobre 1886. En 1888, il est conseiller prud’homme et s’éloigne des anarchistes.
Le 1er mai 1890, il prend la tête d’un groupe de 150 manifestants qui est dispersé par la police. L’année suivante, il est arrêté et condamné à 16 francs d’amende, pour résistance aux agents et refus de circuler.
Sa présence continue à être mentionnée épisodiquement dans les réunions anarchistes, où il ne prend toutefois plus la parole. Ainsi, il figure parmi les 800 assistants à la conférence que fait Sébastien Faure sur « le socialisme et son avenir » le 14 décembre 1893 et à celle que le même orateur fait le 1er avril 1897 sur « Dieu, c’est l’erreur ».
C’est le 29 novembre 1898 que le conseil municipal de Lyon ouvre son concours auprès des architectes locaux pour la construction de grilles destinées à clore le parc de la Tête d’Or. Le résultat consacre, deux ans plus tard, un projet présenté par Charles Meysson qui fait scandale. En effet, les candidats malheureux reprochent à Meysson d’être un « étranger » lorsque le règlement du concours stipule que les seuls Lyonnais peuvent concourir. Ils reprochent en outre à son projet d’être le plagiat des grilles du parc Monceau, à Paris. Peu importe, la réalisation de l’« étoile à cinq branches dans un cercle [3] » qui lui vaut le premier prix est confiée, le 8 juillet 1901, à un « excellent ferronnier [4] » en la personne de Joseph Bernard, 303, rue Duguesclin. Pour candidater à la mise en adjudication, la municipalité avait imposé une condition excluant les plus petits artisans manquant l’expérience d’un grand projet. Les soumissionnaires doivent, en effet, avoir exécuté, dans les dix dernières années, des travaux d’une importance de 30 000 francs au moins. L’exécution, « remarquable » selon le Lyon-Horticole, demande un grand investissement. Le lot à attribuer a, en effet, une valeur de plus de 100 000 francs. Joseph Bernard en obtient l’adjudication d’extrême justesse. Son devis se chiffre à 104 800 francs, soit seulement 100 francs de moins que son principal concurrent, l’entreprise Euler et fils [5].
Terminé au cours de l’année 1902, le portail monumental de l’entrée dite « des Légionnaires » mesure 29 mètres de largeur, atteint une hauteur maximale dépassant 11 mètres et pèse 58 tonnes. Toutefois, les grilles semblent n’avoir jamais été inaugurées [6].
Joseph Bernard est un nom extrêmement commun, et une homonymie malheureuse toujours à redouter. La consultation de l’Annuaire Fournier pour 1901 nous apprend que le serrurier Bernard, établi au 303 de la rue Duguesclin, réside à quelques dizaines de mètres de là, 53, cours Gambetta. Par chance, 1901 est une année de recensement, ce qui nous permet d’établir que cette année, vit au 53 du cours Gambetta, une petite famille dont le chef se déclare entrepreneur : Joseph Bernard, 44 ans, sa femme Virginie, 40 ans et leur fille Blanche, 17 ans.
Ce texte de Laurent Gallet est tiré de l’ouvrage publié en juillet 2016 par l’Atelier de création libertaire : Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894) suivi de Aspects de la vie quotidienne des anarchistes à Lyon à la fin du XIXe siècle de Marcel Massard et Laurent Gallet.
http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Histoire-du-mouvement-anarchiste-a.html
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