Au fil des « rénovations », « restructurations » et autres « mesures d’embellissement urbain », il n’aura pas échappé aux lecteurices du Popouri que Lyon prend des airs de Beyrouth au cœur des années 80. Est-ce le signe que notre ville est en guerre ? Une guerre menée par les élites et qu’on appellerait « la guerre sociale » ? Pour illustrer notre propos, voici la première partie d’un entretien avec un militant des collectifs d’habitant-e-s en résistance sur le Plateau de la Duchère, dans le neuvième arrondissement de Lyon.
LE POPOULIT-BüRO : Est-ce que vous pouvez expliquer depuis combien de temps existent les collectifs d’habitant-e-s ? Quelle forme ça prend ? Qui se mobilise ? Combien êtes-vous ? Sur quel type de revendication ?
BERTRAND BOSC : Je crois qu’il y a un élément historique intéressant, c’est l’existence du GTI (Groupe de Travail Interquartier), puisque le quartier est composé de 4 secteurs qui portent des noms distincts et une certaine organisation, non pas autosuffisante, mais qui ont une unité de vie. Donc il y a maintenant 16 ou 18 ans il y a eu la volonté de faire un regroupement qui ne concerne pas simplement la défense de son immeuble mais qui soit véritablement au service de l’ensemble de ce Plateau de la Duchère. Il va permettre d’avoir une vision globale et une solidarité à l’intérieur de ce quartier pour l’ensemble des habitant-e-s. Sa création vient de personnes qui sont engagées dans la vie associative et le foyer en a été un des partenaires très présent comme lieu de rencontre, de regroupement et d’expression de libre parole depuis 40 ans qu’on est là.
Donc ça fait une petite vingtaine d’année que les choses sont en place. Moi j’arrive en 2003. On est dans la période où le quartier apprend en regardant une maquette que l’immeuble dans lequel il habitait n’est plus sur la maquette, et donc prend conscience que la réhabilitation du quartier passe par des suppressions de barres. L’élément qui joue à ce moment là va être la mobilisation un petit peu plus large qui va rentrer dans le cadre du Forum Social Local, et qui va permettre dans la réflexion, dans la mobilisation, l’arrivée de militant-e-s, gens extérieurs au quartier venant alimenter la réflexion. La muscler si on peut dire.
POP’ : Donc la composition n’est pas uniquement de gens de la Duchère ?
B.B. : Dans ce cadre-là, ce sera effectivement un peu élargi. 2003, c’est là qu’intervient l’annonce de la démolition de la barre 260 et qui précède la destruction d’une partie de la barre 200. Cela s’inscrivait dans un vieux programme, on savait qu’elles allaient tomber dans le cadre du Grand Projet de Ville. C’était dans les deux ans qui suivaient que les choses allaient se faire. On a aussi implosé la barre 210 fin octobre. Donc on est là avec le FSL qui booste un petit peu la réflexion et on n’est plus simplement sur le problème des désagréments. Des gens bougent, analyse ce que ça signifie ? On avait un gros problème : la 260 est un bâtiment qui avait été rénové il y a moins de 10 ans de fond en comble. La peinture était encore fraîche qu’on décidait de le faire sauter. Cet ensemble de situations nous a amené à prendre contact avec différentes structures qui connaissent aussi des rénovations sur Bron ou sur Vénissieux. Il y a quelques échanges plus ou moins informels. On a été invité-e-s à participer à des manifestations de solidarité, à des informations sur le sujet…
POP’ : Sur les rapports avec les pouvoirs publics, avec qui vous êtes-vous confronté-e-s, avec qui vous pouvez avoir des soutiens éventuellement ?
B.B. : On va parler du GTI de façon un petit peu plus concrète. Il propose des rencontres mensuelles (le premier jeudi du mois de 20 à 22 heures, alternativement au centre social Sauvegarde ou Plateau) qui rassemblent habituellement 30 à 50 personnes qui sont des habitant-e-s. Ces rencontres sont essentiellement sur des thèmes qui tournent autour de la rénovation, destruction, reconstruction… Cela fait l’objet chaque fois d’un compte-rendu envoyé aux officiels. L’adjoint au maire et quelques fois le responsable de la rénovation urbaine à la mairie centrale sont d’ailleurs invités pratiquement systématiquement, sauf exception quand c’est nos oignons. A l’occasion nous invitons aussi le responsable du Grand Projet de Ville pour des interventions spécifiques concernant différents aspects du programme puisque le projet ce n’est pas seulement casser une barre et remettre deux barres à la place. C’est en fait une reconfiguration de la ville, ou en tout cas une manière de faire de cette cité quelque chose qui ressemble à une ville. Dans la conception des architectes : transformer des barres qui sont posées comme ça dans l’espace, reconstruire en copropriété des bâtiments en bordure de route, des magasins en pied d’immeubles. On supprime les éléments qui ressemblent à de la cité et on fait de la ville, on fond la Duchère dans le paysage urbain, en continuité avec Champagne, Ecully, Dardilly, avec la banlieue bourgeoise de l’ouest. C’est l’idée fondamentale en sachant qu’il restera un fond de logements sociaux. Il faut savoir que la terminologie qui est utilisée pour justifier cela c’est « faire de la mixité sociale ». A travers le terme de mixité sociale on a un peu un attrape-nigaud ; ça fonctionne au niveau du discours assez facilement : « Vous voyez, il y a un ghetto, il faut créer de la diversité, ça permettra d’apporter des choses », etc… Ce qui n’est pas complètement faux mais c’est un discours qui en cache un autre, c’est en ce sens qu’il faut pouvoir le dénoncer.
POP’ : Vous êtes des gens, dont je suis aussi, qui pensent que la « mixité sociale » sert à cacher le bannissement des populations les plus populaires, les plus pauvres, notamment d’origine étrangère ?
B.B. : Disons que la mixité sociale c’est un peu un cache-misère. C’est ce que je pense personnellement, et c’est en partie ensemble dans le GTI. En effet, toutes les analyses ne se rejoignent pas obligatoirement. Ce n’est pas un mouvement mais un groupe d’habitant-e-s qui se sentent ensemble responsables et qui essaient de porter des actions communes. Soit pour soulager des difficultés que vivent les locataires. Soit en revendiquant auprès de la mairie des éclaircissements et contester des projets ou faire des propositions. L’analyse qui est faite globalement n’est pas nécessairement reprise par tou-te-s, c’est un lieu de parole pour l’ensemble des habitant-e-s. Quand je parle du cache-misère, je dis à la fois que la misère ne sera plus visible sur place comme avant, mais aussi que c’est un discours convenu qui permet de rallier les esprits et obtenir un consensus mou d’un peu tout le monde. Selon mon analyse il fallait bien faire quelque chose à la Duchère. Or la rénovation d’un quartier comme celui-là ça passe forcément par du béton, mais aussi par un certain nombre d’opération qui concernent l’accompagnement des gens qui sont en souffrance. Pour nous, pour ceux et celles qui vivent ici, il est important de ré-oxygéner la vie du quartier par un renouvellement de présence de gens qui ne sont pas QUE en difficulté. On le voit par rapport à la vie des associations, des structures. Si il n’y avait pas les zones autour pour faire vivre les structures de la Duchère il n’y aurait pas grand chose qui survivrait. On voit bien qu’on est tenu-e-s par un certain type de renouvellement des populations et on ne veut pas nier cela. Mais si je dis que c’est un cache-misère, on voit bien qu’à travers ce thème qui semble assez consensuel cache une politique qui fait main basse sur le foncier. C’est-à-dire que le logement social a beaucoup de mal à trouver des terrains pour se construire. Or qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? On brade le terrain sur lequel il y avait du logement social pour en faire des créations de résidences de promoteurs privés en vue de faire de la copropriété pour des gens de revenus somme toute moyen, mais « moyen-plus » plutôt. Ce qui veut dire qu’on homogénéise sans doute la population par rapport à l’environnement, mais ce faisant on éjecte de ce quartier un certain nombre de locataires qui ne retrouveront véritablement d’autres logements que dans des périphéries un peu plus éloignées. Jusqu’à présent la mairie s’est fait fort de reloger sur place les gens qui voudraient y rester. Mais ils avaient à ce moment-là l’impression que la Duchère était tellement nulle que tout le monde voulait partir et qu’ils n’auraient pas trop de mal à faire le relogement. Manque de pot il y a plus de 60% de gens qui veulent y rester. Et du coup, pas de miracle, il faut attendre que les gens s’en aillent pour que ceux que l’on déloge puissent retrouver sur place un logement. On est dans la phase où les pouvoirs publics sont obligés d’allonger le calendrier pour essayer de tenir leur engagement sur le plan du relogement sur place.
Pour l’instant donc, en ce qui concerne les gens qui sont partis au loin, on ne sait pas trop où ils et elles en sont. En tout cas un projet est en train de se lancer pour le mois de juin qui est de faire un grand pique-nique avec tou-te-s les ancien-ne-s. A ce moment-là on pourra voir ce qu’il est advenu des gens qui ont accepté de partir parce que finalement la pression pour que les gens s’en aillent a été telle que les gens sont partis sur la pointe des pieds en acceptant ce qu’ils et elles pouvaient. Ils/elles ont freiné jusqu’à ce qu’ils/elles ne puissent plus freiner, car à ce moment-là il y a des chantages pas possible…
POP’ : De quel type ?
B.B. : C’est tout simple, les chantages sont à la hauteur de la capacité des gens à y faire face. Donc pour des immigré-e-s, qui ont eu peur que peut-être leur carte de dix ans risquerait d’être remise en cause. Ou : « Si vous ne prenez pas celui-là on ne vous en proposera pas d’autre ». Il n’y a pas de choses qui soient vraiment noir sur blanc dans cette affaire-là.
POP’ : Bien sûr, mais il y a des échos qui circulent.
B.B. : On a pu en tout cas mesurer que les pressions ont été relativement importantes. Pour certaines personnes qui étaient bien insérées, notamment proches de notre équipe de GTI, elles ont résisté aussi fortement que possible. Mais est arrivé un moment (de toute façon ces personnes savaient qu’elles ne pouvaient pas être foutues à la porte sans être relogées) où on pouvait leur proposer des trucs tellement nuls qu’elles se mordraient longtemps les doigts d’avoir fait le forcing en refusant le relogement. Et dans ceux et celles qui ont été obligé-e-s de lâcher prise à un moment ou à un autre, et bien c’est le murage de portes, c’est l’arrêt des ascenseurs… De toute façon on ne répare plus, éventuellement on les met en panne s’il faut. Mais ça c’est une interprétation malveillante !!!
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