Écrin II lumière/Je ch*e sur Monplaisir

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Au même titre que Gerland ou Confluence (vous vous souvenez « Perrache » ?), l’ancienne banlieue industrielle lyonnaise de Monplaisir est devenue le bac à sable des promoteurs immobiliers. Banalisation urbaine et gentrification sont le prix à payer dans cette brave métropole. Un simple échantillon ici, mais qui vaut de l’or.

Afin d’apprécier ce titre à sa juste valeur sans doute faut-il l’accompagner de moult paillettes, celles dont ces bons promoteurs arrosent et assaisonnent notre belle métropole, car c’est ainsi qu’elles paraissent sur la réclame immobilière en mousse dont ils sont aussi les émérites auteurs.

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Bientôt ici votre résidence Vol de Grues cendrées. Avec Cogebouyg habiter devient un véritable 6e sens pour votre ADN

Je n’avais nullement vocation à dresser cet éloge en me levant avant hier matin. Et ce n’est qu’alors que je consultais les nouveautés du catalogue Béton 2022 constituant l’unique rubrique de Lyon Métropole du site Skyscraper, que l’idée m’en est venue. Qu’il soit remercié ici.

Connaissez-vous ce forum Web ? Il s’agit du must pour les grutiers, marchands de béton du coin. Qu’ils officient en tant que professionnels ou en tant qu’amateurs, tous y cherchent leur flânerie quotidienne, dos renversés contre le bitume tiède de la Part Dieu, yeux tournés au ciel, rêves aspirés par quelque vertigineux concours de taille. C’est peu dire donc qu’il faille se montrer aficionados du langage métropolitain, partie prenante de ses bienfaits, pour s’y complaire. Autrement n’en abusez qu’à dosage homéopathique. Bien évidemment cette vitrine de la banalisation de la ville, n’est le lieu ni d’une critique de la densification, ni de la croissance urbaines. Vous n’y aborderiez ces thèmes qu’au risque d’attirer les insultes, ou bien de causer des infarctus parmi les rangs de ses vétérans les plus féroces, qui n’y sont pas préparés.

Si je le consulte, bon an mal an, et en dépit de ses impacts sur mon espérance de vie, c’est que je suis historien de l’architecture et que, précautionneux de garder une trace photographique de tout ce que la métropole fout par paquets à la benne, j’y découvre quelques fois les prochains projets destructeurs qui séviront ici ou là.

Triste veille que celle qui conduit à la poursuite de futurs fantômes. Mais comment définirais-je mieux ce loisir qui peut vous sembler tout à la fois matérialiste et en même temps plus volatiles que l’opium ? De même qu’il paraîtrait illusoire de prétendre obtenir un entretien satisfaisant d’un ancêtre déjà passé de l’autre coté par le service d’une boule de cristal, arriver à temps est toujours de bon aloi aussi quand il s’agit d’un lieu ou d’un fait.

Ce matin là, donc, mon sang ne fit qu’un tour en découvrant une page déjà ancienne du site que j’avais négligée. Dès lors il s’agissait de jouer la course contre l’implacable sort qui frappait une remarquable bâtisse située 30 rue Nestor, à Monplaisir, afin de lui tirer le portrait.

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32 rue Saint Nestor, lyon-Googlemap 2021

Je volais à la rencontre de ma pauvre maison. Pourtant à ce stade ce n’était plus du retard, j’aurais dû mettre mon réveil il y a trois mois. Une grue d’acier déjà avait poussé à sa place. Vous n’imaginez pas ma déception à la découverte du très inexpressif tas de gravats grattés et repassés avec passion par quelques grosses machines. Si le terrain déjà bien ratissé et comme creusé par endroit par de parfaits jardiniers, il y a peu de chances qu’il profite un jour à un quelconque projet de permaculture.

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Comme j’avais prévu de rapporter mes prises photographiques à une matière historique, je prolongeais ma route par un détour jusqu’aux archives municipales que j’effectuais sous la pluie tout en maudissant le sort. A présent j’avais autant le cœur à glaner ces quelques éléments que de me consacrer à l’analyse d’un vulgaire rapport d’autopsie. Heureusement , je m’ambiançais en songeant au magnifique futur projet immobilier qui allait sortit de terre et dont le petit nom, Écrin de lumière, donnait déjà l’eau à la bouche.

Histoire d’un truc démoli (qui n’existe plus du tout)

Voici pour l’histoire que je synthétise au moyen des documents que j’ai rassemblés à la va-vite :

Le Villa datait de 1921 et était la propriété de Jean Vergne, son commanditaire, qui, à juger de son statut d’entrepreneur en maçonnerie, est possiblement intervenu dans le chantier comme maître d’œuvre.

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Plan de la maison Vergne en 1921 (344w 374-AML)

100 ans donc. Grand coup de pied dans sa gueule, un moyen comme un autre de se faire souhaiter son anniversaire.

Cette démolition intervient trois ans après celle d’autres éléments bâtis attenants, établis à l’est, au numéro 32, notamment un édifice un peu plus ancien pourvu sur la rue d’un pittoresque portail au sol pavé. En repassant le film des plans de ville qui se sont succédé sur l’ensemble du site, on replace dans l’ordre les strates de ce pêle-mêle générationnel. Ainsi, en s’établissant à l’emplacement précis du potager de la maison, l’industrie imposait sa nouvelle façon d’exploiter le sol au carrefour du XXe, annonçant les bouleversements structurels du quartier. C’est dans cette étape décisive que s’inscrit la précédente maison. En 1925 encore les registres du commerce font état d’une activité en cohérence avec ses origines industrielles et attestent la présence d’une carrière de mâchefer. A quelques 25 années de là enfin, on trouvait le Garage Saint Mathieu traversant par dessus l’îlot sur la rue du même nom, toujours aux mains de la même famille Vergne, avec pignon sur rue Antoine Lumière.

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Secteur 285 détail (AML) en 1907 et 1943

Quant au plan en élévation accompagnant l’autorisation de construire de la maison principale de 1921, il ne laisse rien présager de l’opulente modénature en ciment moulé qui a été mise en œuvre. D’esprit très classique d’ailleurs son ornementation allait bien vite tomber en désuétude au cours de la décennie.

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Toute cette réalité étant morte, pour compter sur un visuel, j’ai dû recourir à Streetview de Googlemap, multinationale garante des souvenirs de la métropole, pour l’évoquer convenablement.

A coté de la maison de 1921, une autre petite maison, adjacente, plus modestement ornée, mais plus ancienne. Le panorama laisse songeur, une cour arborée, un mur en pisé festonné par une petite glycine qui essaie de garder le sourire, des détours vers un jardin et un hangar en bois. Bravo Lyon, je ne pensais pas qu’on en était à traquer de tels ornements jusque dans leurs derniers recoins. Fort heureusement le futur projet compense, on le verra, par la noblesse de sa destination sociale.

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30 et 32 rue Saint Nestor pris en direction de l’ouest

En louchant sur les détails, et puisque j’en suis à me fier à Googlemap pour le bon déroulé de cet examen, je note que la fermeture métallique d’origine visible jusqu’en 2009 disparaît du portail entre cette date et 2012, remplacée par du neuf.

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Portail au 30 rue saint Nestor en 2008

On mesure ainsi la longévité d’un tel investissement, elle est faible. Or un propriétaire s’engage rarement dans ce genre de dépense quand il a la certitude qu’une vente prochaine lui rendra sa jouissance nulle dans les années à venir. Ce défaut de vision sur le long terme traverse chacun de nos gestes. C’est le rythme à laquelle se recompose sans cesse la ville productiviste. Elle ne peut avoir que mépris pour les labeur de la veille puisqu’elle peut les abolir d’un vulgaire claquement de doigt. Et le capitaliste ne regarde jamais une dépense qui sort d’une autre poche que la sienne comme coût véritable. Il ignore que les ressources qu’elles impliquent sont puisées dans un sol commun et la question de limitation de ressources n’est ainsi jamais invoquée comme frein.

Se loger dans un écrin

Alors, êtes-vous le brillant topaze 117 carats plaqué or massif de Damas destiné à orner ce magnifique écrin urbain, écrin de longue date éclaté à la poudre par 3 générations de promot’, que constitue Monplaisir ? Probablement pas. Et, si vous dormez sous tente, adepte de camping urbain, il y a encore moins de chances que cette gamme de nouveaux logements s’adresse à vous.

En parcourant la notice de ce chef d’œuvre on découvre en effet des prix qui défient l’imagination :

T2 à partir de 336 000 € , soit 8 076 euros le m2, pardon, il manque une virgule quelque part, je dois faire un produit en croix ou comment ça se passe ? J’espère que vous avez commencé à mettre un peu de coté avant ces 100 dernières années.

Mais on découvrira aussi quels tarifs incomparablement dégressifs sont pratiqués à l’intention des futurs résidents thunés désireux d’accéder à l’intimité monplaisiroise dans un 85,45m2 de rêve, ce qu’ils feront en déboursant 797 000 euros seulement, soit 9320 euros/m2 cette fois, une obole.

Excusez si je suis vulgaire mais, whaou je suis tout seul dans mon appart’ à 8000 euros le m2, quelle vue subtile et délicate j’ai depuis mon balcon hors œuvre, 1er étage, d’où je contemple paisiblement le monde cramer.

A aucun moment le PDF ne précise s’il demeure possible en déboursant 25 000 euros d’acquérir les 3m2 de toit terrasse indispensables à ses exercices réguliers de gainage ou de Moonwalk. Aussi, il s’agit de rester vigilant sur les informations à venir et OGIC pourrait faire des promo.

Mais je parle, je parle, je manque surtout à mes devoirs les plus élémentaires en oubliant de vous présenter un petit visuel du programme. Comme l’agence laisse traîner ses merdes publicitaires dans la rue, je me permets de partager le panneau très confidentiel que voici :

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Conclusion en forme de rien

Au terme de cent années de recomposition urbaine l’ex-quartier prolo de Monplaisir aligne des offres rivalisant avec les parquets de la place Bellecour. Qui l’eût cru ? Sûrement pas le père Vergne qui avait le cul posé sur une mine d’or mais ne le savait pas.

Tout va pour le mieux, l’exploitation de la rente foncière assure de beaux jours aux belles sociétés philanthropiques du logement lyonnais. Il faut continuer à bâtir dans la métropole, et qu’importe si le renouvellement au cœur des pôles urbains sert de bras armé à la gentrification. Mais quoi de moins étonnant dans une ville où l’Hôtel Dieu, symbole historique de l’assistance aux plus démunis, est devenu un parc d’attractions pour riches, et quoi de moins naturel dans une métropole encore hantée par le spectre de Gérard Collomb . [1]

Ce billet prend fin. Avant de le publier j’ai amplement débattu quel titre tirerait le mieux parti des sonorités délicates du patronyme du projet que je m’emploierais dans ces lignes à critiquer. Il s’agissait de trouver une rime, un calembour, une contrepèterie peut-être, quelque chose d’aussi subtil qu’élégant en somme. Après avoir longuement oscillé entre « Crin de mulet » et « Merde cru 2021 », j’ai opté pour le titre prosaïque que vous avez découvert. Tout écrin de lumière soit-il, il ne méritait pas non plus un sonnet. Je conclus et on m’excusera ce titre insultant pour l’équipe de promoteurs/architectes/bétonneurs qui œuvre consciencieusement à sa réalisation, qu’elle n’en prenne décidément pas ombrage, car assurément elle en vaut une autre dans ce laboratoire urbain terne et sans mystère qu’est devenu la ville de Lyon.

PierreD
Article paru dans le blog http://www.depierreetdebout.fr/

Notes

[1Simple métaphore, Gégé se porte bien, il y a donc peu de chance qu’il revienne vous hanter.

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