1) Manif du 9 mars et occupation de l’amphi Mathiez
La lutte contre la loi travail démarre à Dijon le 9 mars avec des rassemblements devant les lycées Castel et Eiffel et une grosse manif de plusieurs milliers de personnes. Dans cette manif, il y a une forte présence des syndicats CGT, FO et Solidaires, mais avec des attitudes pas toujours claires. Dans certaines boites, la CGT a appelé à manifester sans appeler à la grève, ou, dans des organismes publics (caisses de sécu par exemple) sans même déposer de préavis. Ce qui fait que les personnels sont obligés de prendre des congés pour manifester. La manif défile sous la pluie et s’éloigne du centre ville. Arrivée à la rue de Mirande, le gros des troupes syndicales s’en va boire un coup et la jeunesse remonte la rue en direction du campus universitaire. Ça aboutit à l’occupation de l’amphi Mathiez, en images et en musique ici.
2) Manif des 17 et 24 mars, poursuites des occupations et premières intimidations policières
Le 17 mars un bonne manif festive démarre sous le soleil, s’échappe sur les voies du tram, revient sur la place du 30 octobre et finit à la fac. Le bâtiment droit-lettre est évacué par l’université en prévision de l’arrivée des manifestants ce qui provoque la réaction indignée de l’Uni. L’occupation de l’amphi Mathiez se poursuit de manière sympathique. Le 21 mars, des camarades viennent chahuter le maire de Dijon François Rebsamen, qui est vite rentré au bercail après s’être gavé de soupe ministérielle. Nouvelle manif le 24, au cours de laquelle la tension monte avec les flics qui bloquent le cortège. C’est aussi le jour où la presse se fera l’écho des violences policières au lycée Henri Bergson. Malgré la répression qui s’annonce, le mouvement a toujours la grosse pêche.
3) Manif du 31 mars et tournant répressif
A la fin de la manif du 31 mars, il est prévu de diffuser le film « Merci patron » de François Ruffin sur une place. On ne parle pas encore de « nuit debout » mais plutôt de « nuit rouge ». Après la promenade habituelle, la foule retourne à son point de départ, la place de la libération. Utilisant la sono d’un camion syndical, un étudiant propose de diffuser le film de Ruffin sur la place. Mais les CRS bloquent la rue de la Liberté et commencent à s’embrouiller avec les manifestants. Ils gazent abondamment la place. Le temps de tourner la tête et tous les camions syndicaux sont partis. Quelques groupes tiennent tête aux forces du désordre et la foule se disperse sur un temps assez long pour se reformer un peu plus loin. Apparemment les flics en profitent pour faire des interpellations brutales sur des lycén(ne)s retardataires. Après un jeu du chat et de la souris entre manifestants et CRS dans la ville, la manif reprend boulevard de la Trémouille et oblique pour rejoindre la rue Devosge vers la place de la République. Le portail de l’ancien cinéma l’Alhambra, désaffecté depuis peut-être 20 ans, ne résiste pas à la détermination populaire et s’ouvre pour permettre un commencement d’occupation. L’idée est lancée de passer le film dans le cinéma désaffecté. Mais en fait, personne n’est chaud pour rester coincé dans le ciné tout noir et défoncé alors que les flics encerclent la zone. Du coup la foule choisi plutôt de démonter les fauteuils (tellement pourris qu’ils se détachent tout seul) et de les installer en mode barricade dans la rue. Tel est l’épisode des fauteuils dans la rue qui énerve tant le lecteur du Rien Public. Les CRS viennent peu à peu au contact.
Les fauteuils sont replacés sur les diverses avenues qui mènent à la place de la république. Là, il y a des gros tirs de lacrymos et des charges massives. La place de la République est elle aussi toute enfumée. Des flics en civils surgissent pour faire des interpellations musclées. Là où je me trouve, la foule réagit dignement et retire un camarade des pattes du flic qui voulait l’embarquer. Mais d’autres keufs surgissent pour asperger tout le monde à la gazeuse. Je ne vois plus clairement la suite. Une gamine boite à côté de moi car elle a pris un tir de flashball dans la jambe. Ils sont comme ça les CRS, ça les dérange pas de tirer sur une place où il y a des familles qui attendent le tram.
Après, bah, c’était un peu fini. Les flics ont fait un peu des chasses à l’homme (la femme) dans les rues et Dijon semble détenir le triste record du nombre d’interpellations par rapport à la taille de la manif : 23 personnes ont passé la nuit au poste. 3 personnes ont écopé de peines de prison ferme en comparution immédiates – même si elles sont reparties libres et que leur peine sera sûrement aménagée. On a retrouvé une vingtaine de balles de Flashball suite à l’intervention place de la République.
Le 5 avril, une manif lycéens/étudiants est prévue. Je discute avec des syndicalistes CGT pour savoir s’ils comptent s’y joindre. Ils me répondent qu’en fait c’est juste les groupes « extrémistes » ou les « libertaires » qui manifestent ce jour-là. Je leur dis que ça semble surtout être des étudiants et des lycéens et que peut-être les autres syndicats de salariés (FO, Solidaires), vont y aller (ce qui est faux évidemment). Ils me répondent qu’il faut se concentrer sur le 9 avril pour ne pas lasser les troupes.
4) Manif du 9 avril et début du mouvement « Nuit Debout »
Samedi 9 avril, après une manif plutôt tranquille, vers 17h, une foule de plusieurs centaines de personnes se rassemble place Wilson dans le cadre de la « nuit debout ». Les premières prises de paroles débutent et les premières divergences apparaissent sur le fait de chasser la police des abords de la place. Finalement les flics s’éloignent et les prises de paroles se poursuivent. Il y a des interventions générales sur les raisons qui nous poussent à nous réunir sur cette place et certaines sont réussies et stimulantes. Mais de nouvelles dissonances apparaissent. De très jeunes personnes viennent au micro et font remarquer que si nous avons pu nous installer sur cette place, c’est qu’on a bien voulu nous laisser faire et que pour lutter efficacement contre la loi travail il faut bouger, mettre le désordre dans la ville, prendre d’autres places, bloquer les voies etc. Ils ont moins d’aisance verbale que les autres intervenants, ils n’appartiennent apparemment pas non plus au même milieu social, mais je trouve leur propos plus concret, plus cohérent et il va se révéler à mon avis plus réaliste que tout ce qui allait se dire par la suite. Ces jeunes se font un peu huer, et d’autres intervenants viennent expliquer autoritairement ou laborieusement pourquoi ce n’est pas la bonne méthode. La plus grande partie de la foule tient à avoir sa « nuit debout ». Viens alors une dame assez bourgeoise d’apparence qui nous explique que ça serait bien de former un premier groupe pour élaborer une nouvelle constitution… On parle bien apparemment de la constitution de la France, rien que ça ! J’hallucine un peu. Après on nous explique la gestuelle des « nuit debout » façon « indignés » pour dire qu’on est d’accord pas d’accord etc. Et les groupes se constituent dans le parc. A côté du groupe des « constitutionnels », il y a tout de même un groupe un peu plus concret sur l’organisation du mouvement, l’intendance, la manière de coordonner et de rendre compte des diverses assemblées etc. Là-dessus, la véritable intendance arrive, parce que d’autres manifestations militantes ou festives étaient prévues de longues dates dans la ville ce soir-là et qu’elles se sont déportées sur la fameuse « nuit debout » (et notamment la fête annuelle du quartier libre des lentillères). Vient donc assez miraculeusement sur la place de quoi boire, de quoi manger, de quoi lire sur des infokiosques et des concerts. L’ambiance monte sur la place mais c’est une ambiance festive et non plus une ambiance studieuse.
Le film de François Ruffin « Merci patron » est diffusé un peu avant minuit. Je n’ai pas vu le bout des concerts de cette « nuit-debout », mais le lendemain il y avait bien peu de monde sur la place, 3 ou 4 personnes en début d’après-midi qui réinstallaient quelques tables et engageaient une discussion assez déprimante avec un type qui se plaignait du fait que quelques bancs avaient été déplacés dans le parc et que c’était un scandale. En fin d’après-midi, il y avait une vingtaine de personnes sur la place pour poursuivre les discussions. Je me dis que les gamins qui ne parlaient pas très bien au micro avaient peut-être une plus grande intelligence politique que la majorité des autres participants à cette « nuit debout ». Du moins si le but est de faire reculer un gouvernement sur une loi et d’affaiblir la logique et les forces qui inspirent cette loi, alors il est sans doute plus efficace de continuer à manifester, faire la grève, bloquer, « mettre le bordel », plutôt que de discuter des grands principes de la démocratie sur une place.
Lundi 11 avril, l’amphi Mathiez est évacué.
Les « nuits debout » se poursuivent place Wilson. Samedi 16 avril après-midi, quelques dizaines de personnes y étaient rassemblées. J’y ai rencontré des jeunes gens motivés et sérieux, parfois un peu timorés, parce qu’ils veulent donner une bonne image du mouvement (les lecteurs du Rien Public sont restés bloqués sur les quelques bancs déplacés). Ils ont ouverts un site pour déposer leurs comptes rendus et font face à des problèmes matériels du fait que la mairie coupe l’alimentation en électricité de la place. Leur fil directeur est la convergence des luttes.
5) Et la suite…
Depuis le 31 mars, le mouvement a connu des revers à Dijon, mais tout peut rebondir. Les syndicats ne vont s’y joindre que pour éviter d’apparaître à la traine d’un mouvement important. Quoiqu’on en pense, ils peuvent apporter une aide matérielle et logistique conséquente. C’est un point important. Si le mouvement souhaite s’émanciper vis-à-vis des syndicats qui traînent des pieds il doit développer ses propres moyens. On le voit bien avec l’aide non négligeable qu’apportent les collectifs des tanneries et des lentillères en termes de cantines, de matériels, de savoir-faire, etc. Évidemment ils ne peuvent pas être partout, mais c’est ce type de supports qu’il faut entretenir et développer et qui pourra servir pour d’autres luttes.
A bientôt en manif ou en assemblée !
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