Curieuse conception du métier de journaliste, que celle de Monsieur Jean-Didier
Derhy, qui nous a produit un article sensationnaliste ce lundi 2 mai au titre
vendeur « Affrontements entre la police et des militants anarchistes ».
Le seul sensationnel ferait sourire s’il n’était pas l’occasion pour ce monsieur
prétendant être journaliste (s’il en a le statut, il ne semble pas pour autant
pas en avoir le métier, vu les méthodes dignes de tabloïd qu’il utilise), de
cracher sur des manifestant-e-s victimes de violences policières en endossant
complaisamment la version policière officielle, tout en jetant l’opprobre sur
les anarchistes rendus responsables de la violence en dédouanant les
policiers.
Visiblement, « l’insécurité » seule n’est plus vendeuse, il faut lui rajouter «
l’hydre anarchiste », à la belle manière des méthodes journalistiques lors des
lois scélérates, tout cela en amalgamant l’ensemble des manifestant-e-s avec la
mouvance anarchiste. Or si sans aucun doute nombre d’anarchistes étaient
présent-e-s à cette manifestation (d’autres n’y étaient pas), il est plus que
probable que la majorité des manifestant-e-s ne se reconnaissent pas dans ce
qualificatif, en tout cas le festival des résistances n’a jamais revendiqué
cette étiquette, regroupant des personnes de tendances différentes.
Mais bon, dès qu’il s’agit de calomnier, l’épouvantail « anarchiste », et les
représentations collectives qui y sont attachées, forgées par les médias à
partir de quelques faits divers datant de plus d’un siècle, est de bon usage. Ce
n’est pas avec les quelques médias dont dispose le courant libertaire que
celui-ci pourra contrecarrer une telle propagande dans un journal à grand
tirage. Ce n’est pas avec ces quelques médias qu’il pourra empêcher que ne soit
briser les vies des manifestant-e-s interpellées.
Car oui, il s’agit bien de propagande.
Cette piteuse tentative de justification de l’intervention d’un groupe d’agents
de la BAC, sans brassards (tel que l’ont pointé de nombreux témoins), au milieu
des manifestant-e-s, alors qu’ils défilaient dans le calme, place des Terreaux,
repose sur un faux de la plus belle espèce. Les policiers auraient poursuivi un
groupe ayant commis des dégradations dont ferait partie l’interpellée alors
qu’elle a arrêté des individu-e-s au hasard, celle-ci en premier, et ce pour
faire un exemple après quelques dégradations le long de la manif.
Piteuse version : il faut bien justifier le matraquage d’une manifestante, à
grand coup de tonfas, l’usage d’une arme électrique sur celle-ci, devant des
centaines de personnes, place des Terreaux, l’usage massif de gaz lacrymogènes.
Pourtant la photo du journal Le Progrès publiée en illustration contredit
elle-même l’article : où est le masque de la manifestante, où sont les
soi-disant « couches de vêtements » ? Où est la violence quand celle-ci est
maîtrisée à terre par 4 agents ? Où sont les brassards des policiers ? Mais
l’Etat devait avoir le dernier mot.
Rien n’y fait, il faut couvrir. Pensez, on pourrait parler de violence
policière, d’Etat policier...
D’ailleurs, même Amnesty International s’y met et parle « d’impunité policière
de fait », quand la commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS)
relève l’augmentation significative des faits de violence illégitimes de la
part d’agent de la force publique. Ici, l’épouvantail du « jeune délinquant qui
l’a bien cherché » ne marchait pas pour justifier le débordement policier, il
fallait de celui de « l’anarchiste violent-e » (sic).
Que des manifestant-e-s se soient défendu-e-s contre des individus sans brassard
intervenant sans sommation en leur sein, qui ont par la suite sorti des tonfas,
dans un contexte où la possibilité d’attaques fascistes sur des manifestations
n’a jamais cessé d’exister, ce n’est guère étonnant. Qu’ils aient accouru en
voyant une manifestante arrêtée au hasard se faire rouer de coups, cela relève
de l’assistance à personne en danger. C’est en tout cas la version des
manifestant-e-s, et de nombreuses personnes présentes Place des Terreaux ont pu s’en
rendre compte avant que la place ne soit aspergée de gaz lacrymogène.
Que des agents de la force publique montrent un tel manque de professionnalisme
dans leur métier au point d’user d’une telle provocation est plus inquiétant.
Quant à la prétendue « découverte » à l’arrivée à l’hôtel de police du fait que
l’interpellée était UNE manifestante, quelle blague, puisque c’est à visage
découvert qu’elle s’est fait tabasser au vu et au su de l’ensemble des badauds
place des Terreaux. On est loin du mythe de « l’anarchiste masquée ». Qui plus
est, la reprise sans conditionnel de l’accusation selon laquelle cette
manifestante aurait frappé un policier à la main est non seulement contraire au
respect de la présomption d’innocence, et constitue de ce fait un délit de
presse et un déni de justice, puisque cette personne qui a été interpellée
était précisément en position de médiation tentant de calmer le jeu.
Pour justifier toute cette belle théorie, Monsieur Derhy ne se contente pas de
cette touchante convergence de vue avec la police : il nous sert une leçon de
science politique de comptoir : les vilains anarchistes ou militant-e-s
d’extrême gauche (de son point de vue forcément des hommes, sexisme quand tu
nous tiens !) « demandent généralement à des jeunes filles de se vêtir de
plusieurs couches de vêtement (pour ne pas identifier leur sexe » (sic). Bien
entendu, pour monsieur Derhy, celles-ci n’ont sans doute pas le cerveau
suffisamment développé pour effectuer des choix par elles-mêmes. Il faut
qu’elles soient manipulées par de vilains « groupes d’extrême gauche » (tous
masculins ?). Et voici que celui-ci en rajoute sur sa théorie fumeuse : cette «
utilisation des filles » (sic) serait une vile tactique de communication. Que des
filles puissent faire leurs propres choix politiques de manière égale à leurs
camarades masculins n’effleure visiblement pas l’esprit de monsieur Derhy : si
ses fantasmes policiers n’avaient pas non seulement pour effet de « couvrir »
des violences policières effectives dont ont été témoins plusieurs centaines de
personnes (traîner un ou une manifestant-e interpellé au hasard, quel que soit
son sexe, en le/la tabassant à coup de matraques relève des violences
policières, de même qu’une intervention sans brassard au milieu de
manifestant-e-s), mais encore de condamner d’avance cette personne à la «
double peine » que constitue le tabassage ET les condamnations pour violence et
rébellion dont sont victime trop de manifestant-e-s, on pourrait en rire,
quoique. Mais ici, des faits graves se sont produits et le futur d’une personne
qui s’est interposée en tant que médiatrice est en jeu. Celle-ci a été, comme 3
autres interpellés, placée en détention provisoire, rajoutant à la violence, la
garde à vue, l’inacceptable emprisonnement.
Quant à la « brillante » conclusion de l’article sur « deux groupes
d’anarchistes » s’affrontant place Saint Paul, on ne peut qu’en sourire avec
pitié. Et dénoncer avec véhémence les arrestations de personnes qui ont été
effectuées, à la suite de cette bagarre, encore une fois au hasard. Décidément,
pour monsieur Derhy, quiconque se dispute, ou est violent, est forcément «
anarchiste » (sic). Monsieur Derhy montre une telle méconnaissance du courant
anarchiste, précurseur du syndicalisme, du pacifisme, un des premiers à avoir
pris part à la lutte pour le droit à l’avortement, pour l’objection de
conscience, contre le colonialisme, pour l’écologie, le droit au logement, et
tant d’autres questions touchant à la justice sociale..., qu’on ne saurait que
conseiller à ce monsieur de lire un peu, se renseigner, et retourner à l’école...
de la vie. De se trouver une conscience éthique, également.
Curieuse conception de la déontologie journalistique que la sienne. On attend
encore ce monsieur qui fustige les « dégradations matérielles » des
manifestant-e-s mises au rang de violence, le même courage pour dénoncer les
violences incacceptables CONTRE LES PERSONNES lors de cette manifestation, les
expulsions quotidiennes de sans-papiers qui envoient nombre de celles et
ceux-ci à la mort, l’usage récurrent de coussin, de baillon, les violences en
zone d’attente par la Police de l’Air et des Frontières qui ont fait plusieurs
morts ces dernières années, ce qui était l’objet de la manifestation. Toutes
ces violences dénoncées par des associations « anarchistes » telles qu’Amnesty
international et la Ligue des Droits de l’homme. Mais nous n’avons sans doute
pas les mêmes valeurs, ni la même éthique.
Monsieur Derhy pleure ses banques et
couvre des brutalités, dans un article digne de Minute. Quant aux
manifestant-e-s, ils et elles expriment leur révolte devant une politique qui
brise, violente et tue des être humains. Tout un monde qui les sépare.
Halte à la calomnie, non à la criminalisation du mouvement social !
Nous reproduisons ci-dessous l’encadré de l’article démonté ici point par point, ainsi que dans « Réponse aux calomnies du Progrès » par Pilouz. Un monument de sexisme ordinaire couplé à une désinformation grotesque et une ignorance crasse. Dhéry veut faire vibrer les lecteurs et lectrices du Progrès, et on sent le journaliste bien informé (!).
Afin que Monsieur Dhéry cesse de se ridiculiser, vu qu’il n’a apparemment pas le temps de se rendre sur le terrain, on ne saurait que trop lui conseiller de parcourir quelques ouvrages de sciences politiques paru ces derniers temps qui parlent entre autres des pratiques d’action directe et de celles et ceux qui les mènent :
L’altermondialisme en France , La longue histoire
d’une nouvelle cause, sous la direction d’Eric AGRILOLIANSKY, Olivier FILLEULE & Nonna MAYER, Editions Flammarion, janvier 2005.
Le renouveau des mouvements contestataires , Isabelle SOMMIER, Editions Champs-Flammarion, 2003.
Les Blacks Blocs , La liberté et l’égalité se manifestent, Françis DUPUIS-DERI, Editions Atelier de Création Libertaire, Lyon, 2005.
Comment lutter , Lilian MATHIEU, Editions Textuel 2004.
Travailler à côté de la Préfecture peut sévèremment nuire à la déontologie journalistique. C’est exactement ce qu’il s’est passé lundi.
Lu dans Le Progrès du lundi 2 mai 2005.
Des opérations bien préparées
Depuis quelques temps, certains groupuscules d’extrême gauche rodent des méthodes plutôt originales. Dans les manifestations, ils repèrent, sur le trajet, les cibles politiques ou symboliques (comme Air France ou des banques) qu’ils vont attaquer. Ils demandent généralement à de jeunes militantes de se vêtir de plusieurs couches de vêtements (pour ne pas identifier leur sexe) et de porter des masques.
Ainsi, pour des petites opérations commandos ponctuelles (tags, vitres brisées ), un petit groupe très mobile sort du cortège, effectue sa mission avant de se fondre, de nouveau, dans la masse du défilé.
Ainsi, très rapidement, les auteurs peuvent se changer pour redevenir de paisibles militantes. Impossible dès lors pour les forces de l’ordre de les identifier. L’utilisation des filles, lors de ces coups de forces, comporte quelques avantages en matière de communication. En cas d’interpellation, l’opinion publique sera plus émue de voir une jeune étudiante traînée par les policiers dans un véhicule.
C’est exactement ce qui s’est passé, samedi.J-D. D
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