Ce texte a été rédigé par des militant-es autonomes du milieu lyonnais. Il est le fruit d’une réflexion initiée à la suite du mouvement contre l’extrême-droite en juin-juillet 2024 mais qui s’ajoute à d’autres interrogations antérieures.
Lorsqu’on entre dans les sphères militantes de la gauche lyonnaise et qu’on gravite autour, on finit toujours par atterrir sur du contenu du média étiqueté extrême Gauche de Lyon Insurrection. Qu’il s’agisse du compte Instagram, du compte X (anciennement Twitter), ou encore du canal Telegram, ce média géré par des personnes anonymes diffuse très régulièrement du contenu politique en rapport avec les mouvements sociaux à Lyon. La nature du contenu est assez large : images et vidéos de manifs, diffusion d’appels à rassemblement et suivi actif des mobilisations. Ce média, se voulant être une alternative aux médias d’informations traditionnels, a émergé début 2019, pendant la mobilisation des gilets jaunes, se développant en parallèle d’autres comptes sensiblement similaires dans leur ligne militante tels que Cerveaux Non-Disponibles, Le Peuple Uni ou encore Marcel sur X. Aujourd’hui, Lyon Insurrection et ses 30000 followers (Instagram) occupe donc une place centrale dans le milieu militant lyonnais. Cette position entraîne selon nous plusieurs effets sur le milieu militant lyonnais : loin d’être uniquement le simple relai des collectifs et des luttes en cours dans la ville, le média dispose en réalité d’un véritable agenda militant confus qui fait à la fois la promotion des cortèges offensifs et des meetings du Nouveau Front Populaire durant la dernière séquence électorale.
Comment Lyon Insurrection peut-il, en l’espace d’un mois, passer de l’insurrection aux élections ?
C’est ce même agenda confus qui par ailleurs n’inclut par toutes les luttes - notamment antiracistes, décoloniales et anticarcérales - et qui pose donc sérieusement problème en termes de ligne politique et de représentation des luttes portées à Lyon. Interpellé à plusieurs reprises, le média semble être fermé aux critiques avec plusieurs comportements attestant d’un refus de se remettre en question ou de se déconstruire sur des sujets pourtant primordiaux. Alors que de nombreuses critiques circulent dans le milieu depuis plusieurs années, la dernière séquence nous a amené à considérer qu’il est important de les porter plus largement. En outre, si l’occultation de certaines luttes primordiales et des comportements problématiques posent déjà de sérieux problèmes, la transformation de Lyon Insurrection en base arrière médiatique du Nouveau Front Populaire est doublement problématique. Loin d’être deux critiques séparées, elles donnent à voir une certaine logique révélatrice de la ligne politique du média et par la même occasion, de ses limites.
Un agenda militant et des comportements problématiques
Si on peut saluer l’engagement du média dans les luttes antifascistes et anticapitalistes en ce qu’il permet de démocratiser et visibiliser certaines thématiques, il est cependant sain de pointer du doigt leur manque d’investissement dans les luttes antiracistes, anticarcérales et décoloniales mais également sur des luttes queers, féministes, handis...la liste est longue. Que ce soit volontaire ou non, le fait de mettre en lumière des rassemblements et manifestations plutôt que d’autres lorsque l’on dispose d’une communauté importante provoque des effets sur la dynamique des mouvements. Leur position monopolisitique leur arroge la possibilité de choisir sciemment quelles luttes mettre en avant, ou non. On peut notamment citer l’absence de partage d’évènements militants féministes ou LGBTQIA+, ou l’absence de relais pour les rassemblements organisés par les collectifs de travailleur-euses du sexe et de partage pour le Jour du Souvenir Trans. Cependant lorsque cela leur apporte de la visibilité, par exemple le partage d’un appel pour une manifestation lesbienne contre l’extrême droite, Lyon Insurrection semble plus enclin à diffuser ces appels. Il est donc légitime de se demander qui est au service de qui ? La lutte semble finalement apporter plus de visibilité à Lyon Insurrection que Lyon Insurrection n’en apporte à la lutte.
Un élément de réponse peut se trouver dans leur traitement de la lutte antiraciste, décoloniale et anticarcérale : en effet Lyon Insurrection semble bouder plusieurs de ces collectifs. L’une des raisons évoquées en privé par les personnes derrière le média auprès d’autres associations ou collectifs serait une volonté de ne pas s’affilier à un collectif qui les aurait « harcelé ». Il s’agit plutôt d’un questionnement légitime sur leur récupération d’un rassemblement contre les violences policières dans le cadre du mouvement Black Lives Matter pour le relier au mouvement des Gilets Jaunes et donc gommer l’aspect systémique et raciste des violences commises par la police.
Plus récemment en mai 2024, on peut aussi évoquer le refus de partager la manifestation annuelle contre les violences pénitentiaires et l’abolition des mitards coorganisée par le collectif Idir Espoir et Solidarité pour plutôt mettre en avant une autre manifestation à Oullins contre les PFAS. Les manifestations Justice pour Idir ne sont que rarement partagées, ce fut aussi le cas pour l’évènement autour de l’anniversaire de la mort de Nahel en juin 2024. Et lorsque certains évènements sont finalement jugés dignes d’être partagés par le média, c’est encore une fois dans une volonté de réappropriation : les appels pour les manifestations en soutien à la Palestine ou anticarcérales sont modifiés et certaines informations sont retirés des visuels originaux afin de mieux coller à la direction artistique du média et se mettre en avant en supprimant les collectifs organisateurs.
Il semblerait que Lyon Insurrection soit en capacité de hiérarchiser les luttes et de décider de ce qui doit être visibilisé ou non. Cette situation est problématique. Ces pratiques ont fait l’objet de nombreuses critiques au sein du milieu militant lyonnais mais l’une des méthodes préférées de Lyon Insurrection pour silencier les divergences et les critiques sur les réseaux sociaux est le blocage. Des faits de menaces personnelles ont également été rapportés et circulent parmi les militant-es. En effet, après avoir cherché à leur exposer des critiques se voulant constructives, plusieurs militant-es ont reçu par message privé de la part de Lyon Insurrection, notamment via Instragram, un message leur donnant rendez-vous à une adresse précise afin de « s’expliquer en face à face ». Des méthodes dignes d’une bande masculiniste. Le pouvoir du monopole semble monter à la tête des membres du média. S’ajoute enfin la problématique de l’opacité dans la gestion de Lyon Insurrection qui est contraire à nos modes d’organisation collectifs et autogérés. Venant d’un média se revendiquant d’une gauche radicale, il est pourtant difficile de dégager une ligne politique claire. Au contraire, c’est davantage la confusion qui prévaut.
En 2020, lors de l’affaire Axelle, dans une vidéo partagée sur leur compte Instagram on peut entendre les propos suivants : « vous ne donnez pas à la police le moyen de se faire respecter » ; « les politiques n’ont pas les couilles de faire le ménage » ; « faut les mettre en prison, ou dans des caves » ; « y en a raz-le-bol de laisser des gens nous complexer parce que sinon on va nous traiter de raciste ». On peut se questionner sur l’utilisation d’un vocabulaire identifiable comme issu du milieu d’extrême droite notamment avec le terme « insécurité », clairement connoté. Cette idée d’insécurité n’est jamais évoquée lorsque les personnes qui la génèrent ne sont pas racisé-es. Le propos de la vidéo est de présenter l’insécurité comme un sujet tabou pour la gauche, on peut légitimement se demander à quelle gauche Lyon Insurrection s’adresse alors. On peut aussi questionner l’idée de légitimation de la police et du système carcéral, portée par un média présentant une ligne se voulant anarchiste et prétendument révolutionnaire, donc en contradiction directe avec les propos présentés dans cette vidéo.
Pourtant, Lyon Insurrection ont été l’un des premiers à construire une représentation radicale par une esthétique émeutière. On ne dénombre plus la diffusion de nombreuses photos et vidéos qu’on pourrait réunir autour du qualificatif de « riot porn », qu’on peut aussi traduire par « porno d’émeute », c’est-à-dire toute image romantisant l’insurrection (belles photos de cortèges de tête, allant des feux de poubelles aux vitrines brisées, etc.).
C’est dans cette logique que toute l’année Lyon Insurrection est prompt à mettre en avant les banderoles réalisées par des militant-es autonomes, lors des manifestations massives du 1er mai ou durant le mouvement des retraites, pour mieux s’approprier le leadership de la radicalité en étant aussi le principal relai des différentes sauvages au cours des mois de mars et d’avril 2023. Puis dans le même temps invisibiliser complètement les messages et les banderoles révolutionnaires lors de la séquence contre l’extrême droite. (Pour approfondir sur la question de l’émeute citoyenne et de son inconséquence politique et stratégique, voir l’article d’Artifices sur le mouvement des retraites).
Comment peut-on partager de tels discours, évacuer sciemment un bon nombre de luttes fondamentales et en parallèle se revendiquer d’extrême gauche ? Comment dégager une ligne politique claire quand on mêle la promotion des meetings du NFP d’une part et les photographies de vitrines brisées d’autre part ? Alors que le monopole de mise en lumière de certaines luttes conduit à l’invisibilisation et la délégitimation d’autres combats, voilà que cette même logique nourrit désormais une tendance à la pacification. Ceci s’est particulièrement observé lors de la dernière séquence politique contre l’extrême droite. Ce média, au lieu d’ancrer en profondeur les luttes menées au quotidien à Lyon par de nombreux collectifs, s’enferme plutôt dans un mouvementéisme dont il est le seul à vraiment tirer profit.
De l’insurrection à la pacification, la trajectoire d’un média radicool
La séquence de lutte contre le mouvement d’extrême-droite en juin-juillet 2024 a en effet laissé apparaître des dynamiques de pacification, contraire aux ambitions révolutionnaires que nous portons dans nos luttes et que Lyon Insurrection semblait défendre à ses débuts post Gilets-Jaunes. Par pacification, nous entendons l’idée selon laquelle le soutien au NFP et le vote seraient les seules issues du moment politique dans lequel nous étions plongé-es. Et si la séquence électorale contenait en elle-même une faible portée transformatrice (l’enjeu était avant tout d’éviter l’arrivée du RN au pouvoir), le média a activement contribué à mettre en avant des député-es et futur-es élu-es dans une perspective strictement électoraliste. Lyon Insurrection a déployé l’ensemble de ses moyens pour afficher un soutien clair à l’alliance des partis de gauche du NFP : appels à manifestation pacifiques, relai de meetings sur Lyon sans jamais chercher à donner voix au chapitre à d’autres alternatives.
Pourtant au même moment, différents collectifs lyonnais cherchaient à développer une voix parallèle, autonome et critique via le Comité de Lutte de Lyon (CLL), multipliant des initiatives telles que des assemblées générales antifascistes. Aucune de ces initiatives n’ont été relayées par le média. En outre, cette stratégie de soutien inconditionnel au NFP couplée à la possibilité d’invisibiliser des luttes provoquent des effets néfastes sur les luttes et leur représentation. S’engager de manière non-critique pour le NFP amène au fait de soutenir notamment la candidature de Sandrine Runel, adjointe au maire et candidate du NFP dans la 4e circonscription du Rhône, également connue pour avoir ordonné l’expulsion de gymnases occupés par des femmes et enfants à la rue en attente d’une solution d’hébergement. Une telle candidature permet de pointer du doigt plus largement les contradictions de la mairie écolo de Lyon, « prête à réquisitionner des bâtiments » selon les termes de ses élu-es mais qui en réalité expulsent sans vergogne les squats et occupations. Le pouvoir de visibilisation du média et une approche plus critique aurait pu permettre de mettre en lumière les pratiques répressives et politiques fascisantes de la part d’aspirant-es élu-es dressés en rempart du fascisme à venir. (Sandrine Runel : Nouveau Front mais toujours impopulaire... - Rebellyon.info).
Pour couronner le tout, le média, conscient de sa position centrale, a posté une story Instagram hasardeuse durant la séquence électorale. Rapidement supprimée, cette dernière appelait clairement « au calme », au moins jusqu’au 7 juillet – au soir du second tour des législatives. Si l’on peut déjà pointer du doigt le fait que Lyon Insurrection cherche clairement à donner une conduite à tenir lors de cette séquence, cette dernière fait complètement le jeu de la pacification à des fins électoralistes, voyant le mouvement social en cours comme ayant pour seul objectif d’assurer un maximum de voix au NFP. Des « appels au zbeul » à la moraline électoraliste, cette trajectoire témoigne une forme d’inconséquence stratégique et politique, révélatrice d’une ligne confuse.
De nombreux points posent donc sérieusement problème en ce qui concerne le média. Nous refusons d’être réapproprié-es et récupéré-es à des fins qui plus est pacificatrices. Rappelons que ce sont les luttes du quotidien menées par différents collectifs lyonnais depuis des années, qui nourrissent la vitalité de nos luttes et non leur simple mise en lumière. Œuvrons donc collectivement à une visibilisation qui nous ressemble et non celle que l’on nous impose actuellement. Nous avons notre mot à dire sur la manière dont sont diffusés nos combats et n’avons besoin d’aucune représentation extérieure au milieu, sous peine de reproduire les mêmes spécialisations militantes qui amènent aux impasses actuelles. Face à cela, il faut envisager de développer d’autres moyens collectifs, plus transparents et inclusifs de partage d’informations et de forces de visibilisation, tout en évitant une dynamique monopolistique similaire. Cet enjeu se pose évidemment à Lyon mais également dans les cercles militants d’autres villes.
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