Alors que la prolongation de l’état d’urgence devrait être discuté samedi en conseil des ministres et son principe vraisemblablement accepté jusqu’au 15 juillet (AFP), nous ressortons de nos cartons cette petite brochure de suivit qu’avait fait la caisse de solidarité en janvier dernier. Alors que ce qui était prévu pour être un dispositif d’exception commence à s’installer comme une nouvelle norme il semble donc que la caisse de solidarité ait visé juste quand en introduction de cette brochure elle nous disait il y a un an : « c’est là la vocation de tout régime d’exception que de se généraliser »
Aujourd’hui comme hier, « Il s’agit donc de prendre acte et d’organiser notre solidarité, contre l’état d’urgence mais aussi contre la répression au quotidien. »
Sommaire :
La généralisation de régimes d’exception qui existent au quotidien
Décompte d’activité donné par le gouvernement
Le discret retour de l’apologie du terrorisme :
Inventaire non exhaustif des joies de l’état d’urgence
Bribes de discours saisies ça et là
La généralisation de régimes d’exception qui existent au quotidien
En assemblant cette brochure nous essayons de donner un aperçu de l’infinité des réalités que crée l’état d’urgence pour les personnes qui le subissent. Face à la multitude de petites histoires, il nous a semblé utile d’en présenter quelques-unes qui, par leur banalité ou leur rareté, permettraient d’éclairer l’ampleur du phénomène. Les chiffres bruts du Ministère qui introduisent la brochure témoignent d’une certaine ampleur quantitative que nous avons choisi d’appuyer d’un inventaire non exhaustif de cas concrets. La brochure se termine sur quelques bribes de témoignages qui permettront peut-être de donner du corps à ces expériences.
Le caractère spectaculaire de ces multiples histoires ne doit pourtant pas masquer la réalité. Bien sûr la disparition de la différence entre Justice et Police entraîne une concentration de pouvoir dans les mains de l’administration. Cette concentration de pouvoir augmente machinalement les possibilités de nuisance répressive et s’accompagne chez les policiers d’un sentiment accru d’impunité. Toutefois, aucun des dispositifs mis en application n’est une réelle nouveauté. Les interdits de stades sont déjà soumis à des systèmes de pointages au commissariat. Les personnes sous contrôle judiciaire expérimentent déjà les joies de l’assignation à résidence. La perquisition est un acte de police quotidien. L’occupation militaire du territoire est continue depuis l’invention de Vigipirate. Les Zones de Sécurité Prioritaire (ZSP) connaissent déjà le quadrillage généralisé du territoire. Croiser un agent de police exposait déjà à l’ « outrage et rébellion » avant qu’il ne soit assorti de la désormais fameuse « apologie du terrorisme ». Et avec deux morts depuis le début de l’état d’urgence l’activité létale de la police se trouve dans sa moyenne annuelle. D’ailleurs ce n’est pas la police de l’état d’urgence que dénoncent 18 adolescents en portant plainte contre les policiers de la BAC de leur quartier pour « violences volontaires aggravées », « agression sexuelle aggravée », « discrimination » et « abus d’autorité » en décembre 2015. L’activité de l’appareil répressif pendant l’état d’urgence apparaît bien comme la généralisation d’un état de non-droit déjà en vigueur quotidiennement sur tout un tas de territoires.
Au quotidien, les personnes perçues comme musulmanes ou arabes et plus généralement « extra-européennes » subissent déjà plus de contrôles d’identité, ils ont déjà plus de chance d’être emmenés au poste, d’être poursuivis et finalement condamnés. Tout comme être identifié comme militant soumet déjà à une attention particulière de la police. C’est aussi plus généralement les pratiques sociales des classes populaires qui sont criminalisées : une certaine propension à pratiquer l’échange en refusant la taxe, à utiliser la rue bruyamment, à produire soit même ou encore à traverser les frontières. Ces populations, les territoires où ils vivent, sont déjà sujets à des régimes d’exception.
L’état d’urgence c’est la généralisation de tous les régimes d’exception qui existent au quotidien, c’est bien là la vocation de tout régime d’exception que de se généraliser. La dynamique répressive est à l’enflement des dispositifs : La BAC c’est déjà la généralisation d’un régime d’exception propre à la capitale, les centres de rétention sont créés quand le pouvoir socialiste légalise une pratique de rétention extrajudiciaire. Vigipirate, conçu comme un état d’urgence « light » et donc à vocation temporaire, devient permanent à sa troisième activation. L’enfermement des mineurs est passé avec les Établissements Pour Mineurs (EPM) du stade de l’exception à celui de pratique commune, alors même que les discours disaient que leur création visait à faire disparaître les quartiers pénitentiaires pour mineurs... C’est le propre de toute institution de chercher à augmenter son champ d’action, comment s’attendre à une autre approche de la part des institutions répressives.
Il s’agit donc de prendre acte et d’organiser notre solidarité, contre l’état d’urgence mais aussi contre la répression au quotidien.
39, rue Courteline 69100 Villeurbanne
caissedesolidarite [ chez ] riseup.net
06 43 08 50 32
Décompte d’activité donné par le gouvernement (au 7/01/2016)
3 021 perquisitions administratives (103 pour le Rhône)
366 interpellations (dont 316 Gardes à vue)
346 ouvertures de procédures judiciaires (chiffres du 02/12)
3 ouvertures d’enquêtes préliminaires et 1 mise en examen par la section antiterroriste du parquet de Paris
21 procédures pour apologie de terrorisme
500 armes saisies (dont 41 armes de guerre, dont certaines détenues légalement et dont 200 chez un seul collectionneur)
202 découvertes de stupéfiants
381 assignations à résidence (dont 10 dans le Rhône)
464 Infractions constatées
3 mosquées fermées (chiffres du 02/12)
Le discret retour de l’apologie du terrorisme
Avec 255 affaires pour apologie du terrorisme recensées par le ministère de la justice un mois après les attentats de novembre, les « chiffres sont finalement assez proches de ceux de janvier » pour Laurence Blisson, secrétaire générale du syndicat de la magistrature. Sur les 129 suites pénales engagées au 11 décembre, seules deux informations judiciaires, qui donneront suite à une enquête, ont été ouvertes. Pour le reste, 20 requêtes ont notamment été déposées devant le juge des enfants, 26 ont été classées et, surtout, 47 affaires ont été jugées en comparution immédiate.
A Trappes, Montpellier ou Versailles, des condamnations à six mois de prison ferme sont tombées depuis le 13 novembre pour des propos tenus après des soirées bien arrosées.
A Caen, le 10 décembre, un lycéen de 18 ans a ainsi écopé d’une peine de trois ans de prison, dont deux ferme, pour avoir posté plusieurs dizaines de pages de messages Twitter faisant l’apologie du terrorisme, et menacé l’imam, réputé libéral, de la mosquée de Drancy. A Beauvais, un homme de 19 ans, fiché S et sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire, a été condamné le 9 décembre à dix-huit mois de prison dont six ferme pour avoir publié, durant six mois, de nombreuses photos à la gloire de Daech sur Facebook. A Hendaye, un Espagnol de 19 ans a été condamné à un mois de prison ferme, le 17 novembre, pour avoir écrit sur Facebook « Que la France meure, elle ne mérite que ça ! »
A Marseille, début décembre, c’est pendant un débat en classe sur les attentats qu’un lycéen menace de « kalasher des juifs ». Dix mois ferme. Une sanction plus sévère que la moyenne, mais sans rapport avec une éventuelle radicalisation du jeune homme de 19 ans, note son avocat, Olivier Kuhn-Massot. Un casier déjà chargé et une société tendue par l’état d’urgence auront accru la peine, selon lui. Reste que le lycéen fera bien un tour par la case prison. « On envoie un jeune qui n’est pas du tout radicalisé aux Baumettes. Que croyez-vous qu’il va se passer à sa sortie ? »Dans l’écrasante majorité des cas, les auteurs sont jeunes – plus du tiers sont même mineurs.
Le Monde.
Inventaire non exhaustif des joies de l’état d’urgence
Pour une vue encore plus vertigineuse se reporter au travail de la Quadrature du net (plus mis à jour depuis le 18/12).
14 novembre.
- La préfecture du Nord interdit la vente d’alcool entre 20h et 8h. « Considérant que la consommation d’alcool contribue à la levée des inhibitions et qu’elle facilite les comportements agressifs et violents à l’origine de nombreux troubles à l’ordre public » (arrêté levé le 26/11)
20 novembre.
- TGV Marseille-Rennes. Mickaël, 27 ans, regardait un film d’action en compagnie d’un autre homme, en gare de Massy (Essonne), la police évacue le train et lui saute dessus pour l’arrêter. Des passagers auraient trouvé suspects son comportement et son aspect.
21 novembre.
- Lyon (Rhône). Le centre ville est bloqué pendant une heure suite à une alerte à la bombe déclenchée par un cartable d’écolier oublié dans un bus.
25 novembre.
- Paris. Un couple est interpellé dans son appartement. Le jeune homme avait crié à des policiers qui frappaient un homme en bas de chez lui « Ce n’est pas la peine de le frapper comme ça, lâchez-le ! »
26 novembre.
- Paris. La police débarque au squat le Massicot. L’intervention est musclée : fusil braqué et placage au sol. Anthony, un militant américain qui rentre de soirée se fait embarquer au comico. Il a 30 jours pour quitter la France.
- Malakoff (Île-de-France). Un membre de la legal team de la Coalition climat est convoqué au commissariat, il est assigné à résidence jusqu’à la fin de la COP21.
29 novembre.
- Montdidier (Somme). 200 armes et 170 gramme de cannabis découvert lors d’une perquisition chez un homme de 42 ans qui se dit « fan de Zztop » et avec une « éducation catholique ». Le tribunal l’a finalement condamné à 8 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 18 mois. Les scellés ont été confisqués.
1er décembre.
- Carquefou, Nantes, Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Sept perquisitions administratives : "Sept personnes ont été interpellées à Saint-Nazaire pour des faits d’infraction à la législation sur le séjour des étrangers, indique la préfecture de Loire-Atlantique. Une personne a également été interpellée à Nantes pour détention de stupéfiants."
- Calais (Pas-de-Calais). L’arrêté préfectoral du 1er décembre 2015, pris en application de l’état d’urgence, réprime de 7500 € d’amende et de 6 mois d’emprisonnement le fait d’être à pied sur l’emprise de la RN 216, et de refuser de s’y soumettre à un contrôle d’identité, qui pourra être fait à tout moment sans réquisition du procureur. Cette subtilité concernant les contrôles d’identité à tout moment légalise l’arrestation des personnes sans document d’identité, pouvant déboucher sur leur placement en centre de rétention, en complément de la possibilité d’emprisonnement. On note au passage que sous l’état d’urgence, une simple décision administrative du préfet peut transformer le fait de marcher à un endroit donné en un délit passible de prison.
3 décembre.
- Agde (Hérault). 7h20, une salle de prière perquisitionnée. "Des documents prouvant un lien avec ce responsable et un imam soupçonné d’appartenir à la mouvance salafiste étaient recherchés. Rien de probant n’aurait été découvert."
- Lyon (Rhône). Le préfet interdit toutes les manifs dans six arrondissements lyonnais sur neuf, les 4 et 5 décembre. Il récidivera plus tard.
7 décembre.
- Clermont-Ferrand (Auvergne). Le soir, deux personnes se font arrêter alors qu’elles collaient des affiches appelant à une manifestation le 12/12 et sont convoquées le 8/12 au commissariat.
8 décembre.
- Argenteuil (Val d’Oise). 21h, perquisition dans la maison Baytouna (une association d’aide aux femmes seules en grandes difficultés sociales). "Défonçant toutes les portes et retournant tout sur leur passage, les forces du désordre ont mis à sac ce qui doit être un lieu de repos et d’apaisement pour nos sœurs malmenées par la vie. Portes enfoncées au bélier, contenu des téléphones et ordinateurs copiés. Trois fouilles au corps sur une même femme, avec commentaires sexistes et islamophobes. "C’est du gâchis [de porter le voile]. Vous êtes jeune, belle et bien gaulée". "- Je suis sûr que t’es une petite coquine. – Pourquoi vous dites ça ? - Je dis ce qui me passe par la tête…"
- Annecy (Haute-Savoie). Perquisition dans un restaurant de spécialités des Balkans. "Si deux personnes ont été interpellées et reconduites à la frontière, en revanche, « ni drogue, ni rien d’intéressant n’a été découvert par les policiers », assure le magistrat. Et de conclure : « Il n’y a pas eu de suite à cette action. »"
- Paris. Une personne assignée à résidence arrive en retard à l’un des pointages au commissariat car elle assistait à l’audience du tribunal administratif qui devait statuer sur son assignation, la Justice traîne et son affaire est finalement jugé une heure trop tard. Dès sont arrivée chez les flics cette personne est interpellée et c’est une nouvelle perquisition et 24h de garde à vue qui l’attendent.
- Orly (Val-de-Marne). Un salarié de l’aéroport est licencié on lui reproche des absences et retards « injustifiés », des bavardages « intempestifs » mais surtout le « non-respect du référentiel vestimentaire ». En clair, le port d’une barbe non « rasée de près ».
10 décembre.
- Paris. L’opération « Thérapie par le rire », lancée par une poignée d’activistes écolos, est rapidement interrompue par une quarantaine de policiers. Contrôles d’identité et dispersement au nom de l’interdiction de manifester.
- Castres, Mazamet, Aussillon (Tarn) . Quatre perquisitions administratives. "Toutes concernent des foyers où réside au moins une personne soupçonnée de radicalisation dans sa pratique de l’Islam. Aucun élément suspect n’a été relevé ni aucune procédure incidente enclenchée à l’occasion de ces quatre perquisitions."
- Dreux (Eure-et-loire). Le préfet Frédéric Clowez confirme que les perquisition visent des musulmans pratiquants : « Ce ne sont pas des gens qui sont inquiétés dans des affaires judiciaires. Nous sommes dans une optique préventive. »« On s’intéresse aux gens qui ont une pratique particulièrement assidue, qui changent de comportement ou d’apparence vestimentaire. »
15 décembre.
- Vals-près-le-Puy et Le Puy-en-Velay. Deux perquisitions qui "ne semblent avoir donné lieu à aucune découverte." Saint-Julien-Chapteuil : l’individu ciblé a été placé en garde à vue. "Des saisies ont été réalisées à son appartement. Il s’agirait de divers documents ainsi que de produits stupéfiants."
17 décembre.
- Castres (Tarn). 5 heures du matin, deux perquisitions administratives. La première n’a donné aucun résultat. La seconde a permis la saisie d’une centaine de grammes d’herbe de cannabis.
18 décembre.
- Sarthe. Deux perquisitions administratives, à Allonnes et La Ferté-Bernard. Au total, sur le département, depuis la déclaration de l’état d’urgence « pour des faits de possession illégale d’armes et de trafic de stupéfiants, et apologie du terrorisme. Ce sont seulement 17 % des perquisitions qui ont reçu une suite judiciaire »
- Creil (Oise). Plusieurs armes ont été saisies, mais elles étaient détenues légalement par un tireur sportif. "L’homme aurait tenu publiquement des propos sur les attentats du 7 janvier 2015 ’visant à les excuser’, selon une source proche de l’enquête."
5 janvier.
- Savigny-sur-Orge (Essonne). Perquisition administrative à une heure du matin, 50g de cannabis, un pistolet à grenaille et un scooter volé retrouvé au domicile d’un homme de 20 ans.
- Haute-Savoie. Une employée du tunnel du mont blanc est renvoyée suite à des soupçons de radicalisation.
- Épernay (Marne). Perquisition administrative dans la soirée, sans résultat.
7 janvier.
- Montauban (Tarn-et-Garonne). Trois perquisitions administrative, sans résultat.
- Paris. Un homme qui menaçait des policiers avec un couteau est abattu en pleine rue sans qu’aucune arme non létal n’ait été utilisée avant. L’acte de cette personne manifestement déséquilibrée est tout de suite qualifié de terrorisme.
13 janvier.
- Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne). Dissolution de l’association culturelle en charge de la gestion de la mosquée locale, le ministre de l’intérieur déclare : « Il n’y a pas de place dans la République pour des structures qui provoquent, qui appellent au terrorisme ou appellent à la haine. »
Bribes de discours saisies ça et là :
Joël : assigné à résidence
« Mes amis n’osent plus m’appeler sur mon téléphone, et ils sont persuadés que mon matériel informatique a été saisi. J’ai également été retiré de listes mail d’information sur les actions militantes. Mes proches préfèrent venir me voir, mais plutôt à l’extérieur. Ils ont peur que mon appartement soit sur écoute. » S’il n’a pas retourné son appartement à la recherche de micros, c’est parce que Joël ne veut pas « tomber dans le piège de la paranoïa, ou l’on mélange l’imaginaire de James Bond et l’extrapolation des moyens réels des services de renseignement. Je suis pragmatique, ils ont déjà redéployé tous leurs moyens sur le djihadisme ». Il n’empêche : un ami venu lui apporter des spéculoos et qui avait mystérieusement annoncé au téléphone avoir « quelque chose pour lui » a eu droit à une fouille en règle en repartant par le métro.
Pour rationaliser, il lit beaucoup, énormément : en quelques jours, il a épluché toutes les unes de journaux des années 36 à 40, pour se documenter sur la montée des nationalismes et le déploiement de dispositifs sécuritaires par les radicaux de gauche de Daladier. Et même s’il se « tient en alerte sur Internet » en suivant frénétiquement l’actualité, il « passe plus de temps à prendre le ressenti des gens qu’à se tenir au courant de ce qu’il se passe ». Branché sur le climat de tension qui entoure sa prison sans barreaux, Joël réévalue la distance qui sépare l’Etat de droit de sa suspension. « On bascule dans des dispositifs sécuritaires parce qu’on n’y croit pas. Sur l’état d’urgence, on voit bien que c’est dangereux mais une partie semble rationnelle. » Difficile de lui donner tort : selon un sondage Ifop, 91% des Français ont approuvé le vote express de la loi.
Tous les matins, Joël se réveille au son des JT radio, qui relaient le flot presque ininterrompu de propositions sécuritaires, charriées par la gauche comme par la droite, sans discernement. De son troisième étage, derrière ses fenêtres embuées, il essaie de prendre un peu de hauteur. « La sécurité crée un couvre-feu permanent. En mettant un policier dans chaque rue, on conditionne les gens à penser qu’on peut être frappés n’importe où. Le sentiment de protection et d’insécurité cohabitent dans le même corps, dans le même mouvement. En ce moment, six militaires patrouillent sur le marché de Malakoff. Mais avant ça, qui s’y serait senti menacé ? »
Télérama.
Hassan : aucune suite
Une fois la perquisition terminée, les policiers ont emmené Hassan en bas de l’immeuble. Il y avait là une clio blanche de la Dépêche du Midi, dont est descendu un homme habillé de noir et cagoulé, équipé d’un appareil photo. Ils ont organisé une séance photo avec Hassan menotté, pendant 20 minutes, sous les fenêtres de ses voisins. Des projecteurs éclairaient la façade de l’immeuble. Hassan a eu l’impression d’être choisi sur des critères physiques pour cette mise en scène : il est Arabe, grand, sportif, porte la barbe. Une fois le spectacle terminée, les policiers sont remontés avec Hassan dans son appartement puis sont partis, dix minutes plus tard. Aucune charge n’est retenue contre lui, il n’a pas été amené en garde à vue. En insistant, un papier lui a été montré : selon les policiers c’est un ordre de la préfecture pour la perquisition. L’opération donne surtout l’impression d’avoir servi à produire l’image d’un monstre pour les médias. Dans une vidéo de La Dépêche filmée lors de la perquisition, « les policiers posaient tout fiers avec leurs mitraillettes en bas de l’immeuble ».
Malgré les bleus, les éraflures et la machoire gonflée, Hassan ne s’est pas fait examiner par un médecin. on a senti la nécessité de tourner vite la page. Ce n’est qu’un mois après la perquisition qu’il a réussi à rendormir tranquillement. Sa fille de 7 ans prend peur à chaque fois qu’elle voit des hommes habillés en bleu « elle a peur qu’ils reviennent ». « Je ne peux plus faire confiance à l’état ».
L’image de Hassan, menotté, apparaît d’abord en illustration d’un article sur une perquisition administrative débouchant sur une saisie de 1.5Kg de cannabis. Cela est fait pour induire que Hassan est l’auteur, ce qui est une façon de nuire.
Cette même photo, est abondement utilisée sur des sites d’information plus ou moins sérieux. « Elle sort quand on fait la requête « attentats » ou « islam radical » sur Google » déplore Hassan. Au moment où nous avons recueilli son témoignage, il n’envisageait toutefois pas porter plainte, persuadé que ça ne servirait à rien et désireux de se faire oublier. Cette photo a été reprise par de nombreux médias, y compris à l’étranger.
Observatoire de l’état d’urgence à Toulouse
Massoud et Dina : aucune suite
Malgré la peur et les larmes, Dina cherche à comprendre. « C’est un ordre du préfet », est la seule réponse. Contactée, la préfecture de Seine-Maritime confirme et justifie la perquisition au motif que « M. M fait l’objet d’une fiche S » et « qu’il est connu des services de renseignement pour entretenir des relations avec des représentants radicaux caucasiens ».
Ce motif – qu’il conteste –, Massoud M espérait ne plus jamais en entendre parler. Il lui a déjà valu le rejet de sa demande de naturalisation française et de tous ses recours, jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Lors de son entretien avec les services de police spécialisés en juin 2009, M. M avait fait état de son soutien à la cause indépendantiste tchétchène. Il était loin d’imaginer que cette déclaration motiverait le rejet de sa demande de naturalisation, l’année d’après. Selon l’arrêté du ministère de l’immigration de l’époque, M. M aurait « revendiqué [son] attachement à la cause indépendantiste tchétchène et déclaré entretenir des relations avec les membres de cette rébellion armée », qui perpètre des attentats dans son pays d’origine, est-il souligné.
Une interprétation erronée, se défend M. M : s’il n’a jamais nié que sa famille et lui avaient été, par le passé, en contact avec certaines figures indépendantistes, il n’a plus eu aucun contact avec eux depuis son arrivée en France, en mai 2004, assure-t-il. Quant à son soutien à la cause tchétchène, « ça oui, bien-sûr », il l’assume : « Je n’allais pas être du côté des Russes qui ont détruit mon village et massacré les miens ! » Cela ne fait pas de lui pour autant quelqu’un qui a pris les armes ou commis un attentat, souligne-t-il.
Après deux heures de recherches infructueuses, les policiers sont repartis. Sans rien. Ni armes, ni drogues, ni explosifs. « Aucun élément en lien avec une activité terroriste n’a été mis en lumière », confirme la préfecture. Un silence de plomb s’est alors installé dans l’appartement. Dina a encore tremblé plusieurs heures. Puis elle s’est attaquée au nettoyage et au rangement de l’appartement, comme pour effacer les traces de ce passage qu’elle voudrait pouvoir oublier. Les dégâts psychologiques, eux, seront plus longs à réparer.
« Je ne me sens nulle part en sécurité », s’étrangle Massoud. « L’État français a-t-il prévu de réparer les dommages collatéraux de ces perquisitions violentes ?, questionne Me Madeline. Au motif de vouloir assurer la sécurité du territoire en réalisant des procédures à titre préventif, on ne peut pas agresser et traumatiser des gens. » L’expertise psychologique qu’elle a demandé pour ses clients, qu’elle juge « victimes de l’état d’urgence », confirme le traumatisme et le stress engendrés par l’événement. Et préconise un accompagnement psychologique sur la durée.
La famille M se retrouve aussi stigmatisée. « Depuis la perquisition, les voisins nous évitent », soupire Dina. Ses amies du quartier ne décrochent plus. Même la communauté tchétchène les fuit. La famille M ne leur jettent pas la pierre : « Nous aussi, à leur place, on aurait pensé que des gens perquisitionnés ont forcément quelque chose à se reprocher. »
« Perquisitionnés. » Le mot est désormais marqué au fer rouge sur leurs fronts et leur porte. « Dix ans qu’on habite ici, on n’a jamais eu de problème, et, du jour au lendemain, on est devenus des suspects », lâche Dina. Elle n’ose pas demander de l’aide à leur office HLM pour la réparation de la porte, « trop honte ».
Vu de l’intérieur.
Kenzat et Elvira : obligation de quitter le territoire français
L’état d’urgence, « nouvel outil contre les sans-papiers » ? C’est ce que redoute le collectif Réseau éducation sans frontières (RESF) en Isère, où deux familles Roms ont fait l’objet de perquisitions début décembre. « Il semble évident qu’on assiste à une volonté de terroriser les familles afin de les faire disparaître », estime RESF. De fait, l’une d’entre elles s’est volatilisée dès le lendemain de sa perquisition, le 9 décembre, et alors qu’elle était suivie depuis plus de deux ans par RESF. (…)
Reste qu’un mois après la perquisition de leur domicile - au cours de laquelle aucun interprète n’avait été dépêché - Kenzat et Elvira ignorent pourquoi ils ont été visés. Sollicitée par Le Monde, la préfecture de l’Isère refuse de faire connaître ses motivations. « Mais la personne a bien vu l’ordre de perquisition et le procès-verbal puisqu’elle les a signés, précise le service de communication. Elle peut demander à les consulter. » Le jour J, aucun exemplaire n’a été laissé à la famille.
Le 22 décembre, une assignation à résidence de 45 jours renouvelable a en revanche été délivrée en mains propres à Kenzat et Elvira. Elle n’est pas liée à l’état d’urgence mais au code des étrangers et à l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) notifiée à la famille la veille de la perquisition. « La perquisition avait peut-être pour but de faciliter la recherche des passeports de la famille » pour organiser leur expulsion, suppose une militante de RESF.
Le 7 janvier, des gendarmes se sont une nouvelle fois rendus au domicile de la famille « pour leur apporter la photocopie de la notification d’assignation à résidence, ajoute cette militante. Cette "visite" a été l’occasion de mettre la pression sur la famille, en leur demandant de venir le lendemain à la gendarmerie avec leur passeport ».
Lorsqu’ils vont pointer au commissariat, deux fois par semaine, Kenzat et Elvira rapportent qu’une fonctionnaire de gendarmerie leur réclame des photos des enfants. Le père est persuadé que c’est pour préparer des laissez-passer consulaires en vue de leur expulsion. Alors il s’y refuse. « Dès qu’un voisin sonne à la porte, j’ai peur que ça soit la police qui revient », confie Elvira tandis que son époux répète : « Je suis venu ici parce que la France, c’est la liberté. »
La fille aînée de la famille, 17 ans, est en deuxième année d’un CAP hôtellerie. La plus jeune, 10 ans, est en classe CE1 pour l’inclusion scolaire. Le fils de 13 ans suit quant à lui une 5e Segpa. Dans son collège, des professeurs se sont cotisés avant Noël pour aider sa famille qui vit d’une allocation de subsistance (280 euros) du conseil général. « On n’a pas de levier par rapport à leur situation, on ne sait pas quoi faire », regrette-t-on à RESF, où l’on a toutefois réuni une quinzaine d’attestations de personnels de l’établissement en faveur du jeune garçon. Un jeune garçon qui, d’après son père « dort mal et ne mange presque rien ».
« Il aimait aller chez son oncle », raconte Kenzat. Cet oncle qui s’est volatilisé avec femme et enfant après avoir lui aussi subi une perquisition, le 9 décembre. L’opération n’a rien donné, mais de peur d’être expulsée, la famille, qui était aussi sous le coup d’une OQTF, a quitté son appartement en moins de 24 heures. En abandonnant leur domicile, les parents ont en outre déscolarisé leur fille de 6 ans. « Toutes les stratégies de régularisation ont volé en éclats. Tout a été saboté », regrette une autre membre de RESF qui suivait la famille. D’ici un mois, les parents auraient pu faire valoir trois années de scolarisation pour déposer une nouvelle demande de titre de séjour. « La perquisition les a complètement laminés, rapporte-t-elle. Au Kosovo, ils ont fui les persécutions. Il était inenvisageable d’y retourner. » Elle repense à la petite fille : « Elle avait peur que la police revienne. Je revois sa maman me dire : ’Mais pourquoi, pourquoi ?’ »
Vu de l’intérieur.
Inconnu n°1 : aucune suite
Dans l’agglomération lyonnaise, le jeudi 26 novembre, à 19h30, à l’heure où les enfants s’apprêtent à aller se coucher, la maréchaussée prépare un mauvais coup. Quatre fonctionnaires de police en civil forcent le portail d’une maison collective et tambourinent à la porte. Le motif ? Ils souhaitent (selon toute probabilité) remettre une assignation à résidence à quelqu’un. Le problème c’est que cette personne n’habite plus là depuis un an. Les policiers ne se satisfont pas de ces explications et annoncent qu’ils vont visiter toute la maison et contrôler l’identité de toutes les personnes présentes.
C’est sans compter sur le refus de ces dernières. Les policiers, sûrs d’eux et arrogants, évoquent évidemment l’état d’urgence qui, selon eux, leur donne tous les droits. Après quoi ils se mettent à souligner le manque de civisme des habitants et annoncent qu’ils demandent des renforts ainsi qu’une autorisation formelle de perquisitionner. En plus des menaces habituelles (« on va vous embarquer »), d’autres, plus adaptées au contexte, sont proférées : l’accusation d’apologie du terrorisme, nouveau délit dans le code pénal, est ainsi brandie à l’encontre d’un habitant qui se moque de leurs piètres talents d’enquêteurs et remet en cause l’utilité de l’état d’urgence.
Apparemment les flics ne reçoivent pas l’autorisation de fouiller la maison et ils doivent rebrousser chemin la queue entre les jambes. En partant, ils gueulent « Bon, on va vérifier qu’il habite bien là et on revient ! » Le lendemain, vendredi 27 novembre, dans un second cas, une habitante d’une autre maison se fait contrôler en bas de chez elle par deux flics qui prétendent chercher quelqu’un... qu’elle ne connaît absolument pas. Les flics insistent pour contrôler les personnes présentes au domicile. La locataire refuse qu’ils entrent et qu’ils contrôlent une amie venue prendre le café avec son gamin. Nouvelle menace de revenir bientôt.
Caisse de solidarité
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