A la dernière édition du QueerMarket, je vous parlais de violences conjugales queer. La soirée qui suivait, vous avez été plusieurs à m’interpeller. Vous m’avez partagé des prises de conscience, des doutes et demandé parfois des précisions sur les chiffres annonçant que le taux de violences étaient identiques voire supérieures aux relations hétérosexuelles. Avec en première ligne les personnes bi-es.
Je m’avance peut-être en écrivant ces lignes, puisque je ne vous ai pas encore entendu et peut être même jamais rencontré. Paillettes, shows, pride, fêtes, techno. Nous fêtons ou questionnons nos amours queers. Queers comme un synonyme de LGBTQIA+ ou queer comme une dissidence politique des normes ? Avons-nous la prétention d’en sortir, de ces normes ? Qu’est-ce que nos discours créent comme nouveaux cadres ? qui incluent-ils et excluent-ils ? Qui jugeons-nous désormais comme « toxique » ou « problématique » ? combien de fois par semaine utilisons-nous ces termes pour construire une frontière entre eux et nous ? A la relecture des violences intracommunautaires, je me demande bien si cette frontière n’est pas une illusion. Une illusion utile. Utile parce que nous cherchons, utiles parce que nous éprouvons, vivons une dissidence. Reformer le groupe ou s’en extraire pour en créer un nouveau ?
Dans le groupe j’implose, à l’extérieur je m’attriste. Quand j’ai embrassé le lesbianisme, très vite la fierté a été la méthode de survie et de lutte. Tout à coup se hurle : « bravo les lesbiennes », « lesbiennes ne sont pas de femmes », « le féminisme est la théorie, le lesbianisme est la pratique ». Et on se met alors à claquer des doigts et à applaudir silencieusement en guise d’approbation collective. Passer l’urgence de la survie, un doute m’envahit et un goût amer se propage dans mes amours. J’avais avancé en croyant, coûte que coûte, que l’homosexualité me sauverait des dogmatismes, des normes sexuelles, des normes de genre et des rapports de pouvoir. Quand peu à peu l’illusion politique s’étiole, c’est mon nouveau monde qui s’effondre !
Avec une femme aussi la violence existe.
Avec une femme aussi la jalousie se normalise jusqu’à la fusion dévorante.
Avec une femme aussi un script sexuel s’ancre. Passive pendant que l’autre se frotte à ma jambe. J’attends : « le lesbianisme est la pratique ».
Mon illusion pailletée s’effondre et moi avec. Je ne sais plus où réfléchir ni à qui parler. Ne pas trahir la communauté et ne pas donner du grain à moudre aux discours antiféministes. Et pourtant… Dans ce nouveau groupe, j’implose.
J’avais tellement peur qu’on me mette dans la liste « toxique », « problématique » que j’ai essayé encore et encore. Et plus ma partenaire avait ces codes de « la commu » plus mes doutes et mon sentiment d’imposture grandissait. Dire qu’il m’était plus simple d’être en relation avec des « hétéro » me semblait scandaleux.
Têtue en 2023 titre un article : « Bi cherche bi ». Pour être franche à part le titre, l’article est très léger. Mais les mots sont là : fuir la biphobie dans les relations lesbiennes. En riant, des exs me disent : « ça y’est t’as sombré chez les hétéras », quand pour la 1re fois, je relationne avec un homme.
Est-il honteux de dire qu’aujourd’hui je n’arrive plus à relationner avec des filles ? J’avais mis, ou alors on m’avait vendu, un idéal si merveilleux… qu’elles ne peuvent que me décevoir. Tandis que j’ai placé les hommes si bas dans mon estime politique… que le moindre geste d’humanité m’apparaît comme un exploit.
Je ne réponds pas à ce paradoxe et il me dérange. J’ai d’abord aimé les filles puis le polyamour arrivant je me suis autorisé un désir pour les hommes. Comme s’il n’y avait pas d’illusions à leurs bords. Je vois leurs travers à 50km.
Les filles ça a été mon combat, mon trauma familial, mes premiers amours… et la désillusion me fait si mal que je n’y arrive plus.
Heureusement ou malheureusement… depuis 1 an et demi dans l’association Hélices nous organisons des groupes de parole sur la bi/pansexualité. Même si je suis sensée être l’animatrice de ce temps, je pleure souvent d’émotions. J’entends, chaque fois, des voix qui osent dire : « je me sens mal dans les milieux queers, j’ai toujours peur de dire que je suis bi, alors je ne parle que de telle relation pour être intégré-e. » Alors sans vraiment de pride et de paillettes, on se retrouve au bureau des plaintes, sans savoir où est notre « famille choisie ».
Et peut-être que nous allons reproduire et produire, nous aussi de nouvelles normes – incluantes / excluantes en pensant créer un nouveau paradis.
Mais je crois, chère famille « queer », en notre capacité de remise en question. Et qu’au gré des voix bisexuelles qui s’élèvent, nous saurons élargir les rangs, chercher des amours meilleurs sans traquer X ou Y comme un produit toxique, chercher à « s’aimer les un-es les autres ». Y-a-t-il vraiment plus queer que de briser les frontières ? je vous le demande, essayons.
@romane.faure-mary.autrice (instagram)
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