ASARADURA, Notes de voyage contre le TAV. Eté 2011 – Printemps 2015

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On vient de l’apprendre, le procureur de Turin a réclamé huit mois de prison ferme pour les propos que le romancier Erri de Luca a tenu en faveur du mouvement No TAV. Le message est clair, ce n’est plus seulement la participation au mouvement qui peut déboucher sur un emprisonnement mais un simple discours de soutien. Dans ces conditions, la publication en français du livre ASARADURA, rassemblant des textes provenant du mouvement et faisant le point sur ses dernières années d’existence, est particulièrement bienvenue.

S’ils pensent parvenir à faire taire les No TAV, ils se trompent !

Présentation et extraits du livre ASARADURA, Notes de voyage contre le TAV. Eté 2011 – Printemps 2015.
Anonyme, sans éditeur, 1er juillet 2015
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ASARADURA

ASARADURA, en un seul mot, comme une formule magique, prononcée d’une traite : çavaêtredur. « A sarà düra ! », c’est l’une de ces phrases entêtantes que le mouvement No TAV se répète à lui même, pour conjurer la force déployée à son encontre autant que pour se ré-assurer, à chaque coup dur, de sa capacité à faire face. Magique, la formule l’est devenue avec le temps, à travers les foules qui la prononcent depuis vingt ans, les jours de victoires comme ceux de défaites. Elle dit la brutalité exercée contre le mouvement et en un même souffle son opiniâtreté à poursuivre, car comme toute formule magique, elle met en jeu la transformation du monde, avec toutes les ambiguïtés que cela implique.

Lavanda

Asadura, c’est la formule qui a été choisie pour nommer cette compilation de textes, publiée au début de l’été 2015, à l’occasion de la marche organisée côté français sur le tracé projeté de la ligne TGV Lyon-Turin (marchenotav.noblogs.org). Le livre est construit autour de cinq textes, « des notes de voyages écrites à plusieurs, dont les chemins se sont croisés dans les presidi et les bois de la Val Susa » entre 2011 et 2014. Ces cinq textes, intitulés « Lavanda », restituent la pensée en mouvement que la lutte a su impulser, ce sont des textes stratégiques quoique leur forme soit éminemment poétique. Ils ont été écrit dans le moment immédiat succédant à chaque temps fort du mouvement ; depuis là, ils ramassent les morceaux d’événements qui viennent de se produire et les projettent dans la situation présente, soumettant l’ensemble des composantes du mouvement à la question de ses suites possibles.

Territoires en lutte

Chacun des cinq Lavanda est introduit par un texte, qui resitue la période dans laquelle il a été écrit et est à chaque fois suivi et complété de deux autres textes, l’un rendant compte d’autres luttes ayant cours à la même période en Italie, en France ou en Espagne, l’autre émanant directement de ces luttes. Tous les textes du recueil participent d’une même séquence historique, d’une même aire géographique, aucun n’est extérieur à ce dont il parle, pourtant, ce ne sont pas là leurs points communs essentiels. La cohérence qui les relie est plus certainement celle de rendre compte de territoires en lutte, depuis des coins de rue, des sentiers, des quartiers et des villages, à l’échelle d’une vallée ou celle d’une ville entière. Les questions qui se posent aujourd’hui en Val de Suse sont analogues à celles qui se posent dans les quartiers de Barcelone ou à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le sens de réunir ces textes correspond pour cela à la nécessité de faire circuler l’intelligence des réponses chaque fois différentes, locales et singulières qui y sont apportées.

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Ce qu’il nous reste à faire

Mais cette compilation de textes voudrait pouvoir participer de quelque chose de bien plus grand qu’elle, une réalité qui prendrait corps morceau par morceau, sous les pas de ceux et celles qui voudraient bien participer à lui donner forme. Nous voulons parler de la potentialité inouïe ouverte par l’association possible de tous ces territoires en lutte, depuis l’Amazonie jusqu’au Japon, en passant par le Val de Suse. Bien sûr, il nous reste à inventer toutes les manières, les tours de mains, toutes les habiletés à faire exister, à l’échelle du monde, ce que chacune de ces luttes implique de composition et de tensions internes, de combativité et de ruse. Nous sommes idiots encore, nous n’avons aucune idée de comment fabriquer une force supérieure à partir de la multiplicité et de la complexité propre à chaque combat initié depuis quelque part. Nous ne savons pas comment allier des forces déjà trop hétérogènes pour parvenir à se dire alliés, le fussent-elles de fait. Pourtant, c’est là le seul chemin praticable, en ces temps de catastrophes, si l’on ne veut maintenir vivante l’idée d’une politique possible.

Pour se procurer le livre, s’adresser aux librairies La Gryffe et Terre des Livres à Lyon, à la librairie Antigone de Grenoble ainsi qu’à la librairie Michelle Firk à Montreuil.

(Pour commander en gros, envoyez une lettre à la Gryffe en indiquant l’adresse postale et le nombre d’exemplaires et joignez un chèque du montant total en notant au dos « asaradura ». Comptez 5 € l’exemplaire, frais de port inclus)

Ci-après, un extrait de la conclusion :

Temps rétifs et géographies rebelles

Le TAV n’est pas un grand projet inutile : il est utile économiquement. Le TAV n’est pas une aberration économique ; même s’il coûte beaucoup pour peu de voyageurs, même si les lignes déjà existantes ne fonctionnent pas à plein régime, il sert à étendre et à configurer un monde : un monde où la circulation des marchandises et du capital humain doit toujours l’emporter sur les manières de vivre, ou les décisions communes, sur ce qui peuple une vallée. Le TAV ne constitue même pas à proprement parler une atteinte écologique : “ vous voulez disperser de la roche radioactive dans toute la vallée, et entasser des remblais pourris autour de chaque descenderie ” – “ ah oui mais sinon il y aura plus de camions et donc plus de réchauffement climatique ” – “ d’accord mais là vos trains ils vont rouler au nucléaire, et les déchets alors ”... En fait on s’en fout un peu : accepter ce petit jeu des coûts / avantages c’est déjà accepter une logique gestionnaire, autrement dit c’est accepter une espèce de position de surplomb. En réalité, on ne veut pas défendre le paysage, on fait partie du paysage, et on ne peut pas accepter le passage d’une ligne à grande vitesse qui nous en arracherait...

Tout ça pour dire que le mouvement No TAV n’est pas fondé en raison. Sa puissance ne provient pas (seulement) de sa justesse critique mais bien plutôt de sa masse critique : sa capacité à déterminer un décrochage, pour plein de gens qui se retrouvent à souhaiter et à s’organiser en vue d’autre chose. Le TAV ne passera pas, et quelque chose d’autre se passe en Val de Suse.

Il est impossible de nier pour autant que depuis quelques années, le mouvement est vraiment dans le dur. Privilège d’une lutte qui constitue un étonnant point de passage au réel pour toute une série de pratiques radicales : assemblées autonomes, occupations massives, autodéfense face à la police, actions directes contre les infrastructures du TAV ou de l’État italien, mise en commun à grande échelle de matériel, d’espaces, d’histoires... Le mouvement est dans le dur parce qu’il dispute effectivement un morceau de vallée à l’hégémonie de la réalité capitaliste.

La situation est difficile mais pas au point de perdre confiance. Cette confiance aveugle, agaçante parfois, en vertu de laquelle nombre de valsusains pouvaient nous affirmer il y a cinq ans : “ ne vous inquiétez pas, jamais ils ne pourront implanter leur chantier ” ; et deux ans plus tard, “ de toute façon ils n’arriveront jamais à faire arriver la foreuse jusqu’à la zone de travaux ”... mais, même démenti par les faits, ce sentiment de force diffus se fonde bien sur quelque chose. Et on peut avoir confiance en effet dans la profondeur historique du mouvement d’opposition au TGV Lyon Turin : le mouvement No TAV est une lutte au long cours, qui depuis près de 20 ans a su se réactiver au détour d’un événement (la chute d’un camarade, le recours aux lacrymogènes contre des vieilles dames venues soutenir la Libre République de la Maddalena, etc.), et se déployer en une multitude de modes, au travers des myriades d’existences et de sensibilités, depuis les endroits les plus incongrus : parties de foot sur le bitume d’une autoroute, discussions animées dans l’arrière– cuisine d’un restaurant No TAV, promenades nocturnes par les sentiers des partisans, banquet autour d’un four à pain rendu à l’usage commun...

On peut avoir confiance dans cette sorte de puissance dormante du mouvement, faite de l’accumulation d’expériences dans le temps long, de l’hétérogénéité des pratiques de résistance, de l’enchevêtrement des modes d’habiter et des formes de lutte. Avoir confiance, surtout, dans la puissance qu’implique toutes ces petites différences qui se sont produites et accumulées dans la vie de milliers de personnes, tissant des complicités nouvelles, des dispositions à l’inconnu, d’étranges inclinaisons au partage et à l’insoumission. C’est en ce sens que le mouvement No TAV préfigure ce que pourrait être un processus révolutionnaire réaliste : non pas le bouleversement immédiat et brutal, de fond en comble et ex nihilo, de la réalité, mais une altération subtile d’une sensibilité commune, de fond, qui rende possible et pensable, praticable, toutes les aventures.

La victoire du No TAV est à chercher du côté de cette sécession existentielle et diffuse, discontinue, cette multitude d’écarts qui viennent en quelque sorte retourner l’état d’exception imposé par la police et les aménageurs. Combien de temps les forces d’occupations et leurs barbelés pourront–ils se maintenir à mesure que le territoire No TAV gagne en consistance ? Et plus le Val de Suse rebelle se densifie, plus il se peuple, et plus il rentre en résonance avec d’autres foyers de lutte, dans un coin de bocage comme au sein des métropoles, et selon leurs manières propres de faire sécession, de peupler les territoires qu’ils ouvrent au cœur de la bataille.

Place Taksim à Istanbul, ZAD de Notre–Dame–des–Landes, mouvement des occupations dans de multiples villes d’Europe, Val de Suse, chaque bout de territoire peut devenir aujourd’hui le centre d’une sécession diffuse.

Une hypothèse commence à émerger, celle d’un mouvement qui serait tout à la fois très local et global, à l’échelle européenne au moins, et dont la lutte No TAV serait une concrétisation parmi une myriade de luttes situées, déjà–là ou potentielles. Cette hypothèse, qui s’est affinée notamment lors des camping estivaux organisés depuis 2010 dans la vallée, implique des circulations entre toutes ces localités où s’inventent de nouvelles manières de vivre et de lutter ; elle nécessite une organisation inédite, de territoire à territoire, par laquelle le mouvement No TAV pourrait, en s’approfondissant en lui–même, trouver toujours ailleurs les
voies de sa poursuite.

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  • Le 27 septembre 2015 à 22:22, par bali

    d’après des italiens rencontrés début juillet à Vernaus dans le val de Suza, la traduction de SARADURA qui m’a été donnée est : « ca va être dur... mais c’est possible d’y arriver ».

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